LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 octobre 2024
Rejet
M. HUGLO, conseiller doyen faisant
fonction de président
Arrêt n° 1093 F-D
Pourvoi n° W 23-16.579
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 23 OCTOBRE 2024
La société La Poste, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° W 23-16.579 contre le jugement rendu le 23 mai 2023 par le tribunal judiciaire de Saintes statuant selon la procédure accélérée au fond, dans le litige l'opposant au CHSCT de l'établissement de [Localité 4], dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits du CHSCT de [Localité 3], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations écrites de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société La Poste, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat du CHSCT de l'établissement de [Localité 4], après débats en l'audience publique du 25 septembre 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (président du tribunal judiciaire de Saintes, 23 mai 2023), statuant selon la procédure accélérée au fond, et les productions, le 21 juillet 2022, la société La Poste (La Poste), a annoncé par voie de presse la modification de sa gamme de courrier à compter du 1er janvier 2023, prévoyant notamment le remplacement de la « lettre rouge » par une « e-lettre rouge », courrier digital imprimé par La Poste, pour les envois urgents distribués le lendemain (« J+1 »), l'allongement de « J+2 » à « J+3 » du délai de distribution de la « lettre verte » pour les envois courants et, pour les envois importants, une « lettre turquoise services plus », suivie, distribuée à « J+2 » et susceptible d'être collectée par le facteur dans la boîte aux lettres de l'expéditeur.
2. Lors de sa réunion du 11 octobre 2022, au cours de laquelle la nouvelle gamme courrier lui a été présentée, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l'établissement de La Poste de [Localité 3] a décidé de recourir à une expertise pour projet important au sens de l'article L. 4612-12 du code du travail.
3. Par acte du 24 octobre 2022, La Poste a fait assigner le CHSCT de l'établissement de [Localité 3], aux droits duquel est venu le CHSCT de l'établissement de [Localité 4], devant le président du tribunal judiciaire aux fins d'annulation de la délibération du 11 octobre 2022.
Examen du moyen
Sur le moyen pris en ses deuxième et quatrième branches
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première et troisième branches
Enoncé du moyen
5. La Poste fait grief au jugement de la débouter de sa demande d'annulation de la délibération du CHSCT de l'établissement de [Localité 3] du 11 octobre 2022 ordonnant une expertise pour projet important, alors :
« 1°/ qu'aux termes de l'article L. 4614-12 du code du travail, dans sa rédaction, encore en vigueur à La Poste, antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, le CHSCT peut faire appel à un expert agréé "2°) en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail prévu à l'article L. 4612-8-1" ; que ne constitue pas un projet important pour les personnels d'établissements affectés à la distribution du courrier une modification purement commerciale de l'offre de services ne nécessitant aucune formation nouvelle des facteurs et n'exigeant d'eux aucune tâche nouvelle, et en application de laquelle ces facteurs conservent leur tournée dont le périmètre et les points de distribution demeurent inchangés ainsi que les horaires de travail, et les moyens mis à leur disposition pour l'accomplir, seule étant amendée la structure interne de la tournée par mise en place, selon les jours, sur la même tournée, de parties de tournées à plus ou moins faible densité ; que pour valider l'expertise projet important ordonnée le 11 octobre 2022, le tribunal judiciaire a retenu que "Les documents versés aux débats établissent que cette nouvelle offre commerciale, qui porte notamment de deux à trois jours le délai de distribution du courrier ordinaire, s'accompagne d'un renforcement de la distribution pilotée initiée en 2023 [...] ; que cette distribution pilotée, bien que relevant des PIC [...], a une incidence directe sur les conditions de travail des facteurs soumis à la gestion des flux. Le document intitulé "Nouvelle Gamme Courrier" élaboré dans le cadre de la commission de dialogue social de La Poste en date du 6 septembre 2022 indique ainsi : "Mise en oeuvre en 2017, la distribution pilotée repose sur trois grands principes :1-Le pilotage par les PIC des plis mécanisés uniquement, 2-Des jours de distribution conformes aux délais de la promesse client, 3-L'adaptation des arrêts du facteur à l'étalement des flux à distribuer et l'augmentation du groupage des objets à chaque point de remise. Plus les délais de distribution sont longs, plus le groupage peut être élevé, dans le respect de la promesse client." ; [...] que précisément, ce groupage élevé modifie significativement la configuration des tournées des facteurs, en raison de l'instauration de deux zones de tournées quotidiennement parcourues, l'une allégée (zone A) et l'autre dense (zone B), définies chaque jour par la distribution pilotée et desservies selon les jours A et B déterminés par un calendrier national [...] ; [que] l'essentiel des distributions est ainsi chaque jour concentré sur un périmètre réduit de la tournée, multipliant dans cette zone dense les points de distribution et par voie de conséquence les arrêts des facteurs, leur rythme de travail s'en trouvant ainsi modifié" ; qu'en se déterminant aux termes de tels motifs impropres à caractériser un projet important, le tribunal judiciaire a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;
3°/ qu'en retenant à l'appui de sa décision que "Cette nouvelle configuration suppose de surcroît un changement des méthodes de tri sur les plateformes de distribution du courrier tel que décrit par le document intitulé « Amélioration du pilotage des flux à destination des agents" : " = la fusion et le classement sur table (sur casier 5 colonne) deviennent les standards métier", quand cette "standardisation" de la méthode préexistante de classement sur table au lieu de classement debout dans un souci de préservation de la santé des facteurs, ne pouvait être considérée comme un changement significatif des conditions de travail nécessitant le recours à l'expertise le tribunal judiciaire a derechef violé l'article L. 4614-12 du code du travail. »
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article L. 4612-8-1 du code du travail, demeuré applicable à La Poste, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail.
7. Selon l'article L. 4614-12, 2°, du même code, demeuré applicable à La Poste, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l'article L. 4612-8-1.
8. Le jugement retient que la nouvelle offre commerciale de La Poste, qui porte notamment de deux à trois jours le délai de distribution du courrier ordinaire, s'accompagne d'un renforcement de la distribution pilotée laquelle a une incidence directe sur les conditions de travail des facteurs soumis à la gestion des flux, qu'en effet le document intitulé « Nouvelle gamme courrier » du 6 septembre 2022, élaboré dans le cadre de la commission de dialogue social de la Poste, indique que « Plus les délais de distribution sont longs, plus le groupage peut être élevé », qu'or ce groupage élevé modifie significativement la configuration des tournées des facteurs en raison de l'instauration de deux zones de tournées quotidiennement parcourues, l'une allégée (zone A) et l'autre dense (zone B), définies chaque jour par la distribution pilotée, que l'essentiel des distributions est ainsi chaque jour concentré sur un périmètre réduit de la tournée, multipliant dans cette zone dense les points de distribution et par voie de conséquence les arrêts des facteurs, leur rythme de travail s'en trouvant ainsi modifié. Le jugement retient encore que le gain de productivité obtenu par le groupage des objets à chaque point de remise, accru par les délais de distribution portés à « J+3 » dans la nouvelle gamme courrier, a vocation à être utilisé pour la distribution d'autres produits, accroissant d'autant le volume d'activité des facteurs, le document intitulé « Nouvelle gamme courrier » du 6 septembre 2022 indiquant à ce titre que « Le métier historique du facteur est consolidé en donnant un avenir au courrier grâce notamment à la mutualisation maximisée avec le colis, la distribution des imprimés publicitaires et le déploiement des services de proximité (courrier, colis, IP, services de proximité) ».
9. Le président du tribunal judiciaire, qui en a déduit que la généralisation et l'élargissement de la distribution pilotée par les plateformes industrielles du courrier modifiaient de manière significative l'organisation du travail des facteurs et des agents des plateformes de distribution du courrier, a pu retenir l'existence d'un projet important au sens de l'article L. 4614-12, 2°, du code du travail.
10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société La Poste aux dépens ;
En application de l'article L. 4614-13 du code du travail, condamne la société La Poste à payer à la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés la somme de 3 600 euros TTC ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois octobre deux mille vingt-quatre.