LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 octobre 2024
Rejet
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1089 F-D
Pourvoi n° D 23-13.987
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 23 OCTOBRE 2024
Le CHSCT de la PPDC Nantes Sud, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 23-13.987 contre le jugement rendu selon la procédure accélérée au fond le 16 mars 2023 par le tribunal judiciaire de Nantes, dans le litige l'opposant à la société La Poste, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat du CHSCT de la PPDC [Localité 3] Sud, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société La Poste, après débats en l'audience publique du 25 septembre 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, Mme Sommé, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (président du tribunal judiciaire de Nantes, 16 mars 2023), rendu selon la procédure accélérée au fond, la société La Poste (La Poste) a annoncé par voie de presse le 21 juillet 2022 une modernisation de son offre commerciale concernant la gamme courrier au 1er janvier 2023 pour répondre aux nouveaux usages des clients. Par anticipation, un essai d'étalement plus important des flux gérés par les plateformes industrielles du courrier a été réalisé sur une période d'observation du 27 septembre au 28 octobre 2022 sur différents sites, dont celui de [Localité 4].
2. Une réunion extraordinaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la plateforme de préparation de distribution du courrier [Localité 3] Sud (le comité) s'est tenue le 21 septembre 2022.
3. Le comité, considérant qu'il s'agissait d'un projet important pour les conditions de travail, au sens de l'article L. 4612-8 du code du travail, a voté, le 21 septembre 2022, une délibération décidant de recourir à une expertise et désignant le cabinet CEDAET pour y procéder.
4. Par acte du 5 octobre 2022, La Poste a fait assigner le comité devant le président du tribunal judiciaire pour solliciter l'annulation de cette délibération.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses cinq dernières branches
Enoncé du moyen
6. Le comité fait grief au jugement d'annuler sa délibération du 21 septembre 2022 en ce qu'elle a décidé du recours à l'expertise et désigné le cabinet CEDAET pour y procéder, alors :
2°/ que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l'article L. 4612-8-1 du code du travail ; qu'un projet important s'entend d'un changement significatif des conditions de travail des salariés, indépendamment du nombre de salariés concernés ; qu'en l'espèce, pour annuler la délibération du CHSCT de la PPDC [Localité 3] Sud du 21 septembre 2022, le jugement relève que "Les effectifs rattachés à ces différents sites ne sont pas mentionnés, mais il en ressort que le périmètre de l'expertise votée concerne une faible minorité d'agents, au sein d'une plateforme de préparation et de distribution du courrier concernée pour ce seul site en tant qu'échantillon d'observation au niveau national" ; qu'en se déterminant ainsi, alors que le seul fait que le projet concerne seulement une partie des salariés relevant du périmètre du CHSCT, en l'occurrence les salariés travaillant sur le site choisi par La Poste pour observer, par anticipation, les conséquences d'un étalement des flux à distribuer, ne peut faire obstacle à la qualification de projet important, le président du tribunal judiciaire a violé l'article L. 4614-12,2° du code du travail, demeuré applicable ;
3°/ qu'en l'absence d'une instance temporaire de coordination des différents comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail implantés dans les établissements concernés par la mise en oeuvre d'un projet important modifiant les conditions de travail au sens de l'article L. 4612-8-1 du code du travail, chacun des CHSCT territorialement compétents pour ces établissements est fondé à recourir à l'expertise ; qu'en l'espèce, pour annuler la délibération du CHSCT de la PPDC [Localité 3] Sud du 21 septembre 2022, le jugement relève qu' "aucune particularité locale n'est mentionnée dans la motivation de la délibération, pas plus que dans les conclusions du CHSCT pour justifier une expertise à la PPDC [Localité 3] Sud, voire sur le site de [Localité 4]." ; qu'en se déterminant ainsi, alors que le fait que le projet d'étalement des flux soit testé au niveau national ne peut faire obstacle à la mise en oeuvre par le CHSCT de ses prérogatives dès lors que l'un des sites entrant dans son périmètre d'implantation est concerné par l'expérimentation dudit projet, le président du tribunal judiciaire a violé, une nouvelle fois, l'article L. 4614-12,2° du code du travail, demeuré applicable ;
4°/ que les dispositions de l'article L. 4614-12, 2°, du code du travail, demeuré applicable, permettent au CHSCT de recourir à un expert pour l'éclairer sur la nouvelle organisation du travail et lui permettre d'avancer des propositions concrètes de prévention ; qu'en l'espèce, pour annuler la délibération du CHSCT de la PPDC [Localité 3] Sud du 21 septembre 2022, le jugement relève que "de plus, le CHSCT n'a pas attendu les résultats de la période d'observation pour ordonner une expertise au vu de constatations contradictoires démontrant une incidence de la nouvelle gamme courrier et notamment du recours accru au pilotage des flux sur les conditions de travail des agents, ce qui confirme que la consultation a servi de prétexte à une expertise, sans lien avec celles-ci." ; qu'en se déterminant ainsi, alors que le fait que le projet d'étalement des flux soit testé sur plusieurs sites au niveau national ne saurait faire obstacle à la mise en oeuvre par le CHSCT de ses prérogatives et l'empêcher de recourir à un expert pour l'éclairer sur les incidences du projet important envisagé par l'employeur dans son périmètre d'intervention, le président du tribunal judiciaire a violé l'article L. 4614-12,2° du code du travail, demeuré applicable ;
5°/ que la contestation par l'employeur de la nécessité de l'expertise décidée par le CHSCT ne peut concerner que le point de savoir si le projet litigieux est un projet important modifiant les conditions d'hygiène et de sécurité ou les conditions de travail, lequel doit être apprécié dans sa globalité ; qu'en l'espèce, pour annuler la délibération du CHSCT de la PPDC [Localité 3] Sud du 21 septembre 2022, le jugement relève que "Le constat d'une carence totale dans la preuve de la nécessité d'une expertise est donc inévitable, sans même aborder le sujet de la qualification de la nouvelle gamme courrier comme projet important au sens de l'article L. 4612-8-1 du code du travail, alors que les éléments avancés à ce sujet ne reposent que sur des affirmations non étayées par rapport au site de [Localité 4] ou même de la PPDC [Localité 3] Sud, et constituent des considérations générales concernant des méthodes ou outils, dont le plus récent daterait de 2017" ; qu'en s'abstenant ainsi de rechercher si le projet de nouvelle gamme courrier, impliquant une systématisation de la distribution pilotée assise sur un étalement des flux, constituait un projet important, le président du tribunal judiciaire a méconnu son office, en violation de l'article L. 4614-12, 2° du code du travail, demeuré applicable ;
6°/ que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l'article L. 4612-8-1 du code du travail ; qu'en annulant la délibération du 21 septembre 2022 décidant de recourir à une expertise au titre d'un projet important, sans rechercher, comme il y était pourtant invité par le CHSCT, si la distribution pilotée, assise sur l'étalement des flux, ne modifiait pas les tournées des facteurs, aussi bien dans leurs parcours, que le nombre de points de distribution, de points de remise ou que la charge de travail induite qui varie ainsi selon une alternance de jours denses et faibles en fonction du nombre d'objets à distribuer, le président du tribunal judiciaire a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article L. 4614-12, 2° du code du travail, demeuré applicable à La Poste. »
Réponse de la Cour
7. Il résulte des articles L. 4614-12, 2°, et L. 4612-8-1 du code du travail, et de l'article 1353 du code civil qu'il incombe au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, dont la délibération décidant de recourir à une expertise en application de l'article L. 4614-12, 2°, du code du travail est contestée, de démontrer l'existence d'un projet important.
8. Le président du tribunal judiciaire, qui a constaté d'une part que l'ordre du jour de la réunion extraordinaire du comité du 21 septembre 2022 portait exclusivement sur une information à propos de l'observation, sur le site de Saint-Sébastien-sur-Loire, de l'anticipation de l'étalement des flux, qui constitue l'un des aspects techniques de l'impact prévisible du changement de politique commerciale de La Poste, en sorte que le comité n'était pas saisi d'une consultation à propos de la mise en place de la nouvelle gamme courrier et de ses effets éventuels sur les conditions de travail des agents, d'autre part que le comité ne démontrait pas que cette seule phase d'observation sur le site concerné, qui n'avait pas fait l'objet d'un compte-rendu, caractérisait l'existence d'un projet important, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
9. Le comité fait grief au jugement de le débouter de sa demande de prise en charge des frais exposés dans le cadre de sa défense et de le condamner aux dépens, alors :
« 1°/ qu'en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir sur le premier moyen, portant sur l'annulation de la délibération prise le 21 septembre 2022 décidant de recourir à une expertise pour projet important, entraînera la cassation par voie de conséquence du chef de l'arrêt déboutant le CHSCT de sa demande de prise en charge des frais exposés dans le cadre de sa défense et le condamn(ant) aux entiers dépens de l'instance ;
2°/ qu'en tout état, le CHSCT, qui a la personnalité morale mais ne dispose d'aucune ressource propre, a le droit d'ester en justice ; que dès lors que son action n'est pas étrangère à sa mission, et en l'absence d'abus, les frais de procédure et les honoraires d'avocat exposés doivent être pris en charge par l'employeur ; que pour débouter le CHSCT de sa demande de prise en charge des frais exposés dans le cadre de sa défense et le condamner aux entiers dépens de l'instance, le président du tribunal judiciaire a relevé "que le CHSCT ait commis l'erreur d'ordonner une expertise dans une situation totalement injustifiable est un fait ; que la défense ait perduré pendant plusieurs mois devant le présente juridiction, alors même que le CHSCT est assisté par un cabinet d'avocat rompu à cet exercice, caractérise un abus manifeste qui justifie le refus de toute indemnisation et la condamnation aux dépens." ; qu'en statuant comme (il) l'a fait, par des motifs impropres à caractériser un abus de la part du CHSCT, le président du tribunal judiciaire a violé l'article L. 4614-13 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, ensemble l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
10. D'abord, le rejet du premier moyen prive de portée le moyen en ce qu'il invoque une cassation par voie de conséquence.
11. Ensuite, ayant retenu que l'ordre du jour de la réunion au cours de laquelle le comité a décidé du recours à l'expertise ne concernait pas la « nouvelle gamme courrier » et ses conséquences sur les conditions de travail des agents concernés et que le comité n'avait pas attendu les résultats de la période d'observation pour décider du recours à l'expertise, le tribunal a pu en déduire l'existence d'un abus de la part du comité.
12. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société La Poste aux dépens ;
En application de l'article L. 4614-13 du code du travail, condamne la société
La Poste à payer à la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés la somme de 3 600 euros TTC ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois octobre deux mille vingt-quatre.