LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 octobre 2024
Rejet
M. BARINCOU, conseiller le plus ancien
faisant fonction de président
Arrêt n° 1079 F-D
Pourvoi n° U 23-21.246
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 23 OCTOBRE 2024
M. [J] [Y], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 23-21.246 contre l'arrêt rendu le 19 juillet 2023 par la cour d'appel de Versailles (17e chambre), dans le litige l'opposant à la société Leoni Wiring Systems France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [Y], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Leoni Wiring Systems France, après débats en l'audience publique du 24 septembre 2024 où étaient présents M. Barincou, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, Mme Prieur, conseiller référendaire rapporteur, Mme Douxami, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 19 juillet 2023), M. [Y] a été engagé en qualité de directeur des ressources humaines, à compter du 3 novembre 2008, par la société Leoni Wiring Systems France (la société LWSF).
2. Le salarié était en dernier lieu responsable stratégique pour les questions RH internationales et en charge des RH de la société LWSF et des sociétés de la division WSD situées en France, Italie, Portugal et Maroc, et était membre du CODIR de la société LWSF.
3. Convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, avec mise à pied conservatoire, il a été licencié par lettre du 1er février 2019 pour faute grave.
4. Contestant cette rupture pour avoir été prononcée alors qu'il avait signalé début 2018 une alerte sur des agissements délictueux commis dans les filiales marocaines du groupe Leoni et revendiquant le statut de lanceur d'alerte, il a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir la requalification de son licenciement en licenciement nul, ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que sa réintégration et le paiement des sommes salariales et indemnitaires afférentes.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première, septième et huitième branches
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses deuxième à sixième branches
Enoncé du moyen
6. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement est fondé sur une faute grave et n'encourt aucune nullité, en conséquence de le débouter de l'intégralité de ses demandes au titre de la nullité du licenciement ou, subsidiairement, du licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'ordonner la restitution du téléphone mobile avec câble d'alimentation et ses accessoires, de l'ordinateur portable avec câble d'alimentation, souris et sacoche de rangement et de deux disques durs externes et leurs câbles, alors :
« 2°/ que sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées ; que pour dire le licenciement fondé sur une faute grave, la cour d'appel a retenu que le grief reprochant au salarié d'avoir sommé le directeur général de Leoni Maroc d'annuler son déplacement à [Localité 3], lié à la venue de Mme la Chancelière allemande [C], pour vous aider à réunir les documents demandés, avec en prime des commentaires condescendants et désobligeants, du type : « Je suis sûr que Mme [C] comprendra que vous deviez être à votre bureau » ou encore « Mais il est vrai que c'est la semaine du festival de cinéma à [Localité 3] »" était fondé motifs pris que ces propos sont effectivement désobligeants du fait de leur nature ironique même dans le contexte dans lequel ils ont été écrits par le salarié, c'est-à-dire un contexte marqué par le fait qu'alors que le salarié jugeait nécessaire de travailler sur le dossier de M. [F] avec M. [I], ce dernier lui a fait savoir qu'il était indisponible en raison de la venue de la chancelière allemande. Ils sont aussi condescendants car ils laissent entendre à M. [I] qu'il devait revoir ses priorités alors qu'il était pourtant loisible de les fixer sans que le salarié puisse lui imposer un arbitrage" ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser l'existence, par l'emploi de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs, d'un abus du salarié dans l'exercice de sa liberté d'expression, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail ;
3°/ que sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées ; que pour dire le licenciement fondé sur une faute grave, la cour d'appel a retenu que les propos tenus par le salarié dans son courriel adressé à M. [U] dans lequel il lui indiquait [?] je vous prie de ne plus jamais faire de commentaire sur ma personne. Ce n'est pas la première fois. D'autres ont essayé et ça ne marche pas du tout sur moi? Grâce à mon professionnalisme, mon ancienneté, mon expérience internationale, etc. etc. Malgré la polémique actuelle je vous aime bien et il n'y a aucun « honneur » dans des attaques personnelles. Jamais. [?]" constituait des propos excessifs, compte tenu de ce que les reproches étaient fondés" quand ce courriel ne contenait aucun propos injurieux, diffamatoire ou excessif caractérisant un abus dans l'exercice de la liberté d'expression, peu important que les reproches de M. [U] auxquels le salarié répondait soient ou non fondés, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail ;
4°/ que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en retenant, pour dire le licenciement fondé sur une faute grave, le caractère répété des remarques acrimonieuse du salarié à l'endroit de Mme [W]" et que les reproches du salarié étaient excessifs et ne justifiaient pas son attitude acrimonieuse envers Mme [W]", tout en estimant qu' il n'est pas démontré que le salarié a excédé les limites de son droit d'expression" à l'égard de Mme [W], la cour d'appel, qui s'est contredite, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5°/ que sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées ; qu'en retenant, pour dire le licenciement fondé sur une faute grave, que le salarié avait évoqué en janvier 2019, après le départ de Mme [W], le « caractère toxique du management de cette dernière »" et tenu des propos excessifs" dans un courriel du 26 novembre 2018 adressé au président de la société, M. [B], lui indiquant je ne partage pas le point de vue de cette personne (Mme [W]) qui quitte le groupe dans moins d'un mois et qui laisse son organisation globale dans un chaos indescriptible", quand il ne ressortait de ces propos aucun terme injurieux, diffamatoire ou excessif caractérisant un abus dans l'exercice de la liberté d'expression, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail ;
6°/ que sauf abus, le salarié, même cadre dirigeant, jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées ; que pour dire le licenciement fondé sur une faute grave, la cour d'appel a reproché au salarié les propos qu'il aurait tenus compte tenu de ce que le salarié était cadre dirigeant et donc tenu d'un devoir d'exemplarité" ; qu'en statuant ainsi, quand même cadre dirigeant, le salarié jouissait de sa liberté d'expression, a fortiori dans des courriels adressés à ses supérieurs hiérarchiques ou autres dirigeants, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
7. Il résulte de l'article L. 1121-1 du code du travail que, sauf abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.
8. La cour d'appel a, d'abord, relevé que le troisième grief reprochait au salarié d'avoir, fin 2018, sommé le directeur général de Leoni Maroc d'annuler un déplacement à [Localité 3], lié à la venue de la chancelière allemande, pour l'aider à réunir les documents demandés, avec en prime des commentaires condescendants et désobligeants, du type : « Je suis sûr que Mme [C] comprendra que vous deviez être à votre bureau », ou encore : « Mais il est vrai que c'est la semaine du festival de cinéma à [Localité 3] ». Elle a retenu que ces propos étaient désobligeants du fait de leur nature ironique, même dans le contexte dans lequel ils avaient été écrits par le salarié, c'est-à-dire un contexte marqué par le fait qu'alors que le salarié jugeait nécessaire de travailler sur le dossier prud'homal d'un autre salarié licencié avec le directeur général, ce dernier lui avait fait savoir qu'il était indisponible en raison de la venue de la chancelière allemande, et que ces propos étaient aussi condescendants car ils laissaient entendre à son interlocuteur qu'il devait revoir ses priorités, alors qu'il lui était pourtant loisible de les fixer sans que le salarié puisse lui imposer un arbitrage, faisant ainsi ressortir l'existence de propos excessifs.
9. Elle a, ensuite, constaté que le quatrième grief reprochait au salarié d'avoir, fin 2018, commis plusieurs manquements dans le traitement d'un dossier relatif à la situation d'un salarié coréen qui devait être transféré de Slovaquie en République Tchèque, et que, sans contester le fond de ces reproches, le salarié répliquait à son interlocuteur du service RH de la société mère par des propos excessifs, compte tenu de leur agressivité alors que les reproches étaient fondés.
10. Elle a, également, souligné que le salarié avait tenu des propos excessifs à l'égard de sa supérieure hiérarchique directe, en évoquant le « caractère toxique du management de cette dernière » et en écrivant dans un courriel au président de la société qu'elle laissait son organisation globale « dans un chaos indescriptible », qu'il avait plus généralement adopté à l'égard de celle-ci un comportement hostile, que le caractère répété des remarques acrimonieuses du salarié à son endroit et ses reproches étaient excessifs et ne justifiaient pas son attitude acrimonieuse envers elle.
11. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel a décidé qu'il en résultait l'existence de propos excessifs caractérisant un abus du salarié dans l'exercice de sa liberté d'expression.
12. Ayant retenu que le salarié avait refusé d'assister à des conférences téléphoniques proposés par M. [V], qu'il avait tenu des propos excessifs à l'égard du directeur général de Leonie Maroc, qu'il avait mal géré le dossier d'un salarié coréen puis refusé de le traiter et adopté un comportement agressif et injustifié envers son interlocuteur du service RH de la société mère et, enfin, avait négligé de répondre à plusieurs relances de sa supérieure hiérarchique directe, la cour d'appel a pu en déduire, procédant à une appréciation in concreto de l'existence de la faute grave au regard notamment des responsabilités du salarié cadre dirigeant, que les faits fautifs rendaient impossible son maintien dans l'entreprise, écartant par là-même toute autre cause de licenciement notamment motivé par la dénonciation de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime.
13. Le moyen, qui en sa quatrième branche est inopérant comme critiquant des motifs surabondants, n'est donc pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [Y] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois octobre deux mille vingt-quatre.