LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CC
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 23 octobre 2024
Cassation partielle sans renvoi
Mme VAISSETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 595 F-D
Pourvoi n° N 23-12.523
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 23 OCTOBRE 2024
Le Fonds commun de titrisation Hugo créances I, ayant pour société de gestion la société Equitis gestion, société anonyme , dont le siège social est [Adresse 2], représenté par l'entité désignée à l'effet du recouvrement la société MCS et associés, société par actions simplifiée à associé unique, ayant son siège social [Adresse 1], venant aux droits de la Banque française commerciale Antilles-Guyane (BFCAG), en vertu d'un bordereau de cession de créances en date du 23 juillet 2010 conforme aux dispositions du code monétaire et
financier, a formé le pourvoi n° N 23-12.523 contre l'arrêt rendu le 12 décembre 2022 par la cour d'appel de Cayenne (chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [N] [Y], domicilié [Adresse 3],
2°/ à Mme [G] [A], épouse [Y],
3°/ à M. [W] [Y],
tous deux domiciliés [Adresse 3],
4°/ à M. [P] [Y], domicilié [Adresse 3]
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Calloch, conseiller, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat du Fonds commun de titrisation Hugo créances I, ayant pour société de gestion la société Equitis gestion, représenté par son recouvreur la société MCS et associés, venant aux droits de la Banque française commerciale Antilles-Guyane (BFCAG), de la SCP Spinosi, avocat de MM. [N], [W], [P] [Y] et Mme [G] [Y], et après débats en l'audience publique du 10 septembre 2024 où étaient présents Mme Vaissette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Calloch, conseiller rapporteur, M. Riffaud, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Cayenne, 12 décembre 2022), un arrêt du 18 mai 2009 a condamné M. [N] [Y] et son épouse, Mme [A] (M. et Mme [Y]) à payer à la société Banque française commerciale Antilles-Guyane (la banque) une certaine somme au titre de prêts impayés.
2. Le 23 juillet 2010, la banque a cédé au Fonds commun de titrisation Hugo I (le Fonds) sa créance détenue sur M. et Mme [Y].
3. Les 18 janvier et 12 septembre 2014, M. et Mme [Y] ont cédé à leurs deux fils, MM. [W] et [P] [Y], des parts qu'ils détenaient dans deux sociétés.
4. Le 17 juillet 2017, le Fonds a assigné M. et Mme [Y] et leurs fils en inopposabilité des cessions des 18 janvier et 12 septembre 2014 comme ayant été conclues frauduleusement. A titre reconventionnel, M. et Mme [Y] ont demandé à exercer leur droit de retrait litigieux.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le Fonds fait grief à l'arrêt de dire que le jugement du 21 septembre 2010 rendu par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Cayenne n'est pas revêtu de l'autorité de la chose jugée, d'ordonner le retrait litigieux
de la créance cédée par la banque à l'égard de M. et Mme [Y] par bordereau de cession de créances du 23 juillet 2010, d'ordonner une mesure d'expertise aux fins d'évaluation du montant de l'offre de rachat, et de désigner pour y procéder un expert judiciaire alors :
« 1°/ que le jugement ayant définitivement tranché une contestation présentée par une partie à l'encontre d'une autre partie est revêtu, entre ces parties, de l'autorité de la chose jugée ; qu'en conséquence, la partie ayant présenté la première demande ne peut présenter à nouveau, contre la même partie, la même demande dans le cadre d'une seconde procédure, peu important que dans le cadre de cette seconde procédure soient appelées d'autres parties, non concernées par la demande précédemment tranchée ; qu'en l'espèce, Mme [Y], son époux appelé, avait formé une demande de retrait litigieux à son encontre, expressément rejetée dans le dispositif du jugement du 21 septembre 2011 ; que la cour d'appel a toutefois considéré, pour dire que ce jugement ne serait pas revêtu de l'autorité de la chose jugée, qu'il est intervenu entre le fonds et M. [N] [Y], Mme [G] [Y], la BNP Parisbas Guyane, la SA Groupama Banque et la SCHP Chong Sit & Doutrelong », cependant que la présente instance l'oppose le [Fonds] à M. [N] [Y] et Mme [G] [A] son épouse, et leurs deux enfants [W] et [P] [Y] " ; que la cour d'appel en a déduit qu' il n'y pas identité des parties, puisque les deux enfants de M. et Mme [Y] n'étaient pas présents au jugement du 21 septembre 2011 " ; qu'en statuant ainsi, quand la demande de retrait litigieux précédemment tranchée ne pouvait être formulée que par M. et Mme [Y], débiteurs cédés, qui étaient présents lors de l'instance antérieure, en sorte que la condition d'identité de parties était remplie, peu important la présence des enfants de M. et Mme [Y], la cour d'appel a violé l'article 1355 du code civil ;
2°/ que la cause de la demande s'entend de l'ensemble des faits existants lors de la formation de la demande initiale tranchée dans le jugement revêtu de l'autorité de la chose jugée ; que tant que les faits demeurent identiques, l'autorité de la chose jugée s'oppose donc à la réitération d'une demande précédemment tranchée, même dans un contexte procédural différent ; qu'en retenant pourtant qu'il n'y aurait pas identité de cause entre l'affaire ayant donné lieu au jugement du 21 septembre 2011 de rejet de la demande de retrait litigieux et l'affaire dont elle était saisie, au prétexte que le juge de l'exécution avait statué sur le retrait litigieux à l'occasion d'une saisie immobilière, alors que la présente instance tend à voir annuler, à tout le moins à se voir dire inopposable, le transfert de parts sociales des parents vers les enfants ", la cour d'appel a violé l'article 1355 du code civil.
Réponse de la Cour
Vu l'article 1355 du code civil :
6. Selon ce texte, l'autorité de la chose jugée a lieu à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement, dès lors que la chose demandée est la même, que la demande est fondée sur la même cause et formée entre les mêmes parties, par elles et contre elles en la même qualité.
7. Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du 21 septembre 2021, l'arrêt énonce qu'il n'y a pas d'identité des parties puisque les enfants [Y] n'étaient pas présents à ce jugement, ni identité de cause, le premier juge ayant statué sur le retrait litigieux à l'occasion d'une saisie immobilière alors que l'instance tendait à faire juger nulle ou inopposable le transfert de parts sociales des parents vers les enfants.
8. En statuant ainsi, alors que la demande de retrait litigieux précédemment tranchée ne pouvait être formulée que par M. et Mme [Y] en leur qualité de débiteurs cédés, qui étaient présents lors de l'instance antérieure, en sorte que la condition d'identité de parties était remplie, peu important la présence de leurs enfants, et que cette demande présentée devant les deux juridictions avait la même cause et le même objet, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le second moyen, pris en ses première et deuxième branches,
Enoncé du moyen
9. Le Fonds fait grief à l'arrêt d'ordonner le retrait litigieux de la créance cédée par la Banque française commerciale Antilles-Guyane au Fonds à l'égard de M. et Mme [Y] par bordereau de cession de créances du 23 juillet 2010, d'ordonner une mesure d'expertise aux fins d'évaluation du montant de l'offre de rachat, et de désigner pour y procéder M. [V], expert judiciaire alors :
« 1°/ que la faculté de retrait ne peut être exercée qu'autant que les droits cédés sont encore litigieux à la date de l'exercice de cette faculté ; qu'en l'espèce, pour dire fondé l'exercice du retrait la cour d'appel a considéré que la créance était bien litigieuse à la date de la cession du 23 juillet 2010 " ; qu'en appréciant ainsi le caractère litigieux du droit à la date de la cession, et non à la date de l'exercice de la faculté de retrait, la cour d'appel a violé les articles 1699 et 1700 du code civil.
2°/ que la faculté de retrait ne peut être exercée qu'autant que les droits cédés sont encore litigieux à la date de l'exercice de cette faculté ; que n'est plus litigieuse la créance dont l'existence et le montant ont été reconnus par une décision de justice à l'égard de laquelle ont été épuisées les voies de recours ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'existence de la créance de la banque et son montant ont été reconnus par jugement du tribunal mixte de Cayenne du 5 novembre 1997 ; que ce jugement a été confirmé par arrêt de la cour d'appel de Fort de France du 18 mai 2009 et que le pourvoi formé contre cet arrêt a été déclaré non-admis par arrêt du 24 juin 2010 ; qu'il en résulte qu'à la date de la cession de créance le 23 juillet 2010, à supposer qu'il y ait eu lieu de se placer à cette date, la créance sur M. et Mme [Y] n'était plus litigieuse ; qu'en retenant l'inverse, la cour d'appel a violé les articles 1699 et 1700 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1699 et 1700 du code civil :
10. Il résulte de ces textes que la faculté de retrait prévue par l'article 1699 du code civil ne peut être exercée qu'autant que les droits cédés sont encore litigieux à la date de l'exercice de cette faculté.
11. Pour déclarer recevable la demande de retrait litigieux formée par les consorts [Y], l'arrêt , après avoir constaté que le pourvoi formé par M. et Mme [Y] à l'encontre de l'arrêt de cour d'appel ayant fixé leur dette avait été rejeté par arrêt du 24 juin 2010, énonce que la créance était bien litigieuse à la date de la cession du 23 juillet 2010, une procédure de distribution de prix dans laquelle M. et Mme [Y] avaient présenté une demande de retrait litigieux étant alors encore pendante.
12. En statuant ainsi, la cour d'appel qui s'est placée au jour de la cession pour apprécier le caractère litigieux de la créance et qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations relatives à la détermination de la créance par une décision de justice devenue définitive dont il s'évinçait que la créance avait été judiciairement fixée par une décision devenue irrévocable le 24 juin 2010, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
13. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2 du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
14. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
15. Il résulte des énonciations et constatations de l'arrêt qu'à la date à laquelle la demande de retrait litigieux a été formée, la créance avait été fixée par une décision de justice devenue irrévocable et ne présentait plus de caractère litigieux.
16. Il y a donc lieu d'infirmer le jugement et de déclarer irrecevable la demande formée par les consorts [Y].
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il ordonne le retrait litigieux de la créance cédée par la Banque française commerciale Antilles-Guyane au Fonds commun de titrisation Hugo Créances I à l'égard de [N] [M] [Y], [G] [I] [A] épouse [Y] par bordereau de cession de créances du 23 juillet 2010, ordonne une mesure d'expertise financière aux fins d'évaluation du montant de l'offre de rachat et désigne pour y procéder la société OCA Audit & Corporate finance, l'arrêt rendu le 12 décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Cayenne ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.
DECLARE irrecevable la demande de retrait litigieux formée par MM. [N], [W] et [P] [Y] et Mme [G] [Y] ;
Condamne MM. [N], [W] et [P] [Y] et Mme [G] [Y] aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel de Cayenne.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par MM. [N], [W], [P] [Y] et Mme [G] [Y] et les condamne à payer au Fonds commun de titrisation Hugo Créances I, ayant pour société de gestion la société Equitis gestion, représenté par son recouvreur la société MCS et associés, la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par M. Riffaud, conseiller qui en a délibéré, en remplacement de Mme Vaissette, conseiller doyen empêché faisant fonction de président, en son audience publique du vingt-trois octobre 2024, conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.