LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
SH
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 octobre 2024
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 588 F-D
Pourvoi n° N 23-12.638
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 23 OCTOBRE 2024
1°/ M. [G] [O], domicilié [Adresse 1],
2°/ M. [W] [N], domicilié [Adresse 5],
agissant tous deux à titre personnel,
ont formé le pourvoi n° N 23-12.638 contre l'arrêt rendu le 22 novembre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 8), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Axa banque, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société Axyme, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5], en lieu et place de la société EMJ, en la personne de M. [N], prise en qualité de liquidateur judiciaire des sociétés Alain Colas Tahiti (ACT), BT gestion et de [Z] [C],
3°/ à M. [W] [N], pris en qualité de liquidateur judiciaire des sociétés Alain Colas Tahiti (ACT), BT gestion et de [Z] [C] ,
4°/ à la société Mandataires judiciaires associés (MJA), société d'exercice libéral à forme anonyme, dont le siège est [Adresse 1], en la personne de M. [O], prise en qualité de liquidateur judiciaire des sociétés Alain Colas Tahiti (ACT), BT gestion et de [Z] [C],
5°/ à [Z] [C], anciennement domicilié [Adresse 4], décédé,
La société Axyme, ès qualités, et la société Mandataires judiciaires associés (MJA), ès qualités, s'étant associées à la demande de cassation.
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Riffaud, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de MM. [O] et [N], de la SCP Boucard-Maman, avocat de la société Axyme, ès qualités et de la société MJA, ès qualités, de la SAS Hannotin Avocats, avocat de la société Axa banque, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 septembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Riffaud, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à MM. [O] et [N] du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre [Z] [C], décédé le [Date décès 3] 2021.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 novembre 2022), le 30 novembre 1994, les sociétés Alain Colas Tahiti (la société ACT) et [Z] [C] finance (la société BTF), et les sociétés en nom collectif Financière et immobilière [Z] [C] (la société FIBT), Groupe [Z] [C] (la société GBT) et [Z] [C] Gestion (la société BT Gestion) ont été mises en redressement judiciaire.
3. Par des jugements du 14 décembre 1994 et du 23 janvier 1995, confirmés par un arrêt du 31 mars 1995, la société BT gestion a été mise en liquidation judiciaire, ainsi que la société FIBT et [Z] [C] qui en étaient les associés, et Mme [I], épouse [C], qui était associée de la société FIBT.
4. Par un jugement du 31 mai 1995, le tribunal de commerce, a, sur le constat de la confusion des patrimoines, ordonné la poursuite, sous patrimoine commun, de la liquidation judiciaire des sociétés FIBT, ACT, GBT et BT gestion, de [Z] [C] et de Mme [I]. M. [K], ensuite remplacé par M. [N], exerçant au sein de la société Axyme et M. [O], exerçant au sein de la société Mandataires judiciaires associés (la société MJA), ont été désignés en qualité de co-liquidateurs.
5. Le 7 juillet 2008, une sentence arbitrale, destinée à mettre un terme aux différents contentieux nés des conditions de la revente de la société Adidas, a condamné les sociétés CDR créances et CDR consortium de réalisation, sociétés dites de « défaisance » de certains actifs de la société Crédit lyonnais, à payer aux liquidateurs, se substituant à M. et Mme [C], la somme de 45 millions d'euros en réparation de leur préjudice moral. Cette sentence donnait acte aux liquidateurs de ce que les époux [C] avaient pris l'engagement de couvrir l'insuffisance d'actif, si cela s'avérait nécessaire, grâce à cette indemnité.
6. Les liquidateurs ont remis l'indemnité aux époux [C] qui ont demandé la révision des différentes décisions prononçant la liquidation judiciaire des sociétés du groupe et leur liquidation judiciaire personnelle.
7. Par des jugements du 6 mai 2009 et du 2 décembre 2009, le tribunal de commerce de Paris a rétracté les décisions ayant ouvert une procédure collective à l'égard des sociétés GBT et FIBT et sursis à statuer sur les demandes visant la société BT gestion et les époux [C].
8. Le 24 octobre 2011, la société Axa banque a consenti à [Z] [C] un prêt d'un montant de 18,9 millions d'euros garanti par la délégation des créances de deux contrats d'assurance-vie souscrits, l'un, auprès de la société AG2R La Mondiale et, l'autre, auprès de la société Axa France vie. Ce prêt a été renouvelé, aux mêmes conditions, le 23 novembre 2012.
9. Le 28 juillet 2014, la société Axa banque, qui avait vainement mis en demeure son débiteur à la suite d'incidents de paiement, a assigné [Z] [C] en paiement de la somme de 19 898 361,34 euros. Elle a ensuite assigné en intervention forcée les sociétés MJA, EMJ et M. [N] en leur qualité de liquidateurs judiciaires de [Z] [C], de Mme [I], et des sociétés ACT et BT gestion en réparation du préjudice né du défaut de remboursement des sommes prêtées à [Z] [C], avant, par actes des 26 janvier et 7 mars 2017, d'assigner en intervention forcée MM. [N] et [O] afin de rechercher leur responsabilité civile professionnelle pour avoir entretenu l'apparence de solvabilité de [Z] [C] en lui remettant l'indemnité de 45 millions d'euros. Ces derniers ont soutenu, en défense, que la société Axa banque avait commis une négligence fautive dans l'octroi du prêt en ne procédant pas aux vérifications élémentaires sur la situation de [Z] [C], et que cette faute était la cause exclusive de son dommage.
10. Un arrêt du 1er décembre 2015, désormais irrévocable, a confirmé un jugement du 17 mars 2014 disant n'y avoir lieu à la clôture de la liquidation judiciaire des sociétés BT gestion et ACT et de [Z] [C].
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et sur le troisième moyen
11. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième et quatrième branches
Enoncé du moyen
12. MM. [N] et [O] font grief à l'arrêt de dire qu'ils ont commis une faute engageant leur responsabilité personnelle et de les condamner à verser à la société Axa banque la somme de 17,01 millions d'euros en réparation de son préjudice, alors :
« 2°/ que l'associé en nom d'une société en nom collectif (SNC) a la qualité de commerçant ; qu'en retenant pour exclure toute obligation de la banque de consulter le greffe du tribunal de commerce et le registre du commerce et des sociétés, que [Z] [C] était une "personne physique non commerçante" quand en tant qu'associé de plusieurs SNC, il avait la qualité de commerçant, la cour d'appel a violé l'article L. 221-1 du code de commerce ;
4°/ que le jugement ouvrant le redressement ou la liquidation judiciaire d'une personne qui n'est pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés est portée sur un registre ouvert à cet effet au greffe du tribunal de grande instance et qui peut être consulté par tout intéressé ; qu'en retenant pour exclure toute obligation de la banque de consulter le greffe du tribunal de commerce de Paris sur le registre du tribunal de grande instance de Paris, que [Z] [C] n'était pas immatriculé au RCS, quand en tant que commerçant, associé en nom d'une SNC, et placé en procédure collective, [Z] [C] figurait sur le registre des affaires du tribunal de grande instance de Paris qui mentionnait les commerçants non immatriculés faisant l'objet d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, de sorte qu'une interrogation du site "Infogreffe" visant les nom et prénom de [Z] [C] était de nature à renseigner Axa banque sur sa situation financière et à lui révéler l'existence d'une procédure de liquidation judiciaire depuis 1994, la cour d'appel a violé l'article 21 du décret n° 85-1388 du 27 décembre 1985, devenu l'article R. 621-8 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
13. La société Axa banque conteste la recevabilité du moyen et soutient qu'il est nouveau et mélangé de fait et de droit.
14. Cependant, la critique de la deuxième branche est née de la décision attaquée et, dans leurs conclusions d'appel, MM. [O] et [N] faisaient valoir que la simple demande d'un certificat au greffier, portant sur les informations relatives à l'existence éventuelle d'une procédure de sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire, et pouvant être commandé sur le site internet « Infogreffe » aurait permis de connaître l'existence de la liquidation judiciaire de [Z] [C], de sorte que la quatrième branche, relative aux différentes vérifications opérées par la banque dans les registres publics avant de lui accorder un prêt n'est pas nouvelle.
15. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article L. 221-1 du code de commerce et l'article 21 du décret n° 85-1388 du 27 décembre 1985, rendu applicable à la liquidation judiciaire par l'article 110 du même décret :
16. Selon le premier de ces textes, les associés en nom collectif ont tous la qualité de commerçant et répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales et, il résulte du second, que les mentions relatives à l'ouverture de la liquidation judiciaire d'une personne non immatriculée au registre du commerce et des sociétés sont portées sur un registre ouvert à cet effet au greffe du tribunal de grande instance.
17. Pour décider que la société Axa banque n'avait commis aucune faute, s'étant livrée aux vérifications d'usage en consultant le fichier central des chèques et des incidents de paiement et le fichier FIBEN, l'arrêt relève que la solvabilité de [Z] [C] était alors de notoriété publique et que ce dernier avait déclaré ne pas faire l'objet d'une procédure collective. Il retient que les personnes physiques non commerçantes n'étant alors pas inscrites au registre du commerce et des sociétés, la banque, en s'abstenant de consulter, en sus des vérifications accomplies, le répertoire général du tribunal avant d'octroyer le prêt, n'a pas commis de négligence fautive, laquelle aurait été, en toutes hypothèses, susceptible d'affecter la seule proportion de la réparation de son préjudice mais pas d'exonérer MM. [O] et [N] de leur responsabilité.
18. En statuant ainsi, alors que [Z] [C], en sa qualité d'associé d'une société en nom collectif répondant indéfiniment et solidairement des dettes sociales, possédait la qualité de commerçant, que son identité était mentionnée sur les extraits du registre du commerce et des sociétés concernant les sociétés de son groupe possédant le même statut et que cette information était accessible par une simple demande auprès du greffe des tribunaux de commerce et du site internet « Infogreffe », de sorte que la société Axa banque ne pouvait sérieusement prétendre ignorer l'état de liquidation judiciaire de son cocontractant et le dessaisissement en résultant de plein droit, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que M. [N] et M. [O] à titre personnel ont commis une faute engageant leur responsabilité, fixe le préjudice subi par la société Axa banque à raison de cette faute à 17,01 millions d'euros, condamne M. [N] et M. [O] au paiement de cette somme, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 22 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Axa banque aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Axa banque et la condamne à payer à MM. [O] et [N] la somme globale de 3 000 euros et à la société MJA et à la société Axyme, en leur qualité de liquidateurs de la société BT gestion, de la société Alain Colas Tahiti et de [Z] [C], la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois octobre deux mille vingt-quatre.