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16/10/2024 | FRANCE | N°C2401241

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 16 octobre 2024, C2401241


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° U 22-86.010 F-D


N° 01241




LR
16 OCTOBRE 2024




CASSATION PAR VOIE DE RETRANCHEMENT SANS RENVOI




M. BONNAL président,














R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 16 OCTOBRE 2024
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M. [H] [V] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Papeete, chambre correctionnelle, en date du 4 août 2022, qui, pour importation en contrebande de marchandises prohibées, détention et tr...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° U 22-86.010 F-D

N° 01241

LR
16 OCTOBRE 2024

CASSATION PAR VOIE DE RETRANCHEMENT SANS RENVOI

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 16 OCTOBRE 2024

M. [H] [V] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Papeete, chambre correctionnelle, en date du 4 août 2022, qui, pour importation en contrebande de marchandises prohibées, détention et transport irrégulier de rebuts de perles de culture, l'a condamné à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis probatoire, 5 000 000 francs CFP d'amende douanière, une confiscation, et a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.

Sur le rapport de M. Wyon, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [H] [V], les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du service régional des douanes de la Polynésie française, et de la SCP Doumic-Seiller, avocat de la Polynésie francaise, partie civile, et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 18 septembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Wyon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance,conseiller de la chambre, et Mme Le Roch, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. À la suite de contrôles des agents de douanes, M. [H] [V], producteur de perles à [Localité 2], a été trouvé en possession de 444 kilogrammes de perles, de keishis et de rebuts, ces derniers constituant plus de quatre-vingt-dix pour cent des marchandises découvertes.

3. Le directeur régional des douanes de la Polynésie française a fait citer M. [V] pour les délits douaniers de détention et transport irréguliers de marchandises soumises à justificatif d'origine, faits réputés importation en contrebande de marchandises prohibées, et détention et transport irréguliers de rebuts de perles de culture.

4. Par jugement du 23 novembre 2021, le tribunal correctionnel de Papeete a estimé que l'action publique était éteinte par l'effet de la prescription.

5. La Polynésie française, partie civile, et l'administration des douanes ont fait appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Énoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé le jugement et a dit que les faits ne sont pas prescrits, alors « que l'article 112-2 4° du code pénal disposait, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, que les lois relatives à la prescription sont applicables aux faits commis avant leur entrée en vigueur lorsque les prescriptions ne sont pas acquises sauf quand elles auraient pour résultat d'aggraver la situation de l'intéressé ; que, si l'article 72 de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 a supprimé cette dernière réserve, il résulte de l'article 217 de cette loi, qui énumère les articles applicables en Polynésie française et ne mentionne pas cet article 72, que celui-ci n'y a pas été rendu applicable ; que l'article 112-2 4° est donc demeuré applicable en Polynésie française dans sa rédaction antérieure à celle issue de de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 ; que, pour écarter l'exception de prescription, la cour d'appel a considéré qu'il résultait de l'article 711-1 du code pénal, pris en sa rédaction en vigueur lors de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, que la rédaction de l'article 112-2 4° du code pénal issue de l'article 72 de cette loi était applicable en Polynésie française nonobstant l'absence de mention de cette applicabilité par l'article 217 de la même loi ; qu'elle en a déduit que l'allongement du délai de prescription de l'action publique à 6 ans opéré par la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 était applicable, en Polynésie française, aux faits antérieurs à son entrée en vigueur et non encore prescrits à cette date ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 112-2 4° du code pénal, pris en sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, alors applicable en Polynésie française, ensemble l'article 217 de cette loi. »

Réponse de la Cour

7. En écartant l'exception de prescription, la cour d'appel n'a pas méconnu les textes visés au moyen.

8. En effet, selon l'article 112-2, 4°, du code pénal, inséré au livre Ier dudit code, issu de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur, lorsque les prescriptions ne sont pas acquises, les lois relatives à la prescription de l'action publique et à la prescription des peines, l'exception d'aggravation de la situation de l'intéressé ayant été abrogée par l'article 72 de ladite loi.

9. Selon l'article 711-1 du code pénal, dans sa version en vigueur au moment de la décision attaquée, sous réserve des adaptations qui suivent, les livres Ier à V du code sont applicables, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2022-92 du 31 janvier 2022, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna.

10. Ce dernier article doit être interprété comme rendant applicables en Polynésie française, collectivité d'outre-mer soumise au principe de spécialité législative, sauf mention expresse contraire, à compter du 5 juin 2016, date d'entrée en vigueur de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 qui a, pour la première fois depuis la loi du 9 mars 2004, rendu applicables dans cette collectivité les livres Ier à V du code pénal, dans leur rédaction résultant de la loi du 3 juin 2016, toutes les modifications apportées auxdits livres antérieurement à la loi précitée, peu important que ces modifications de textes déjà applicables en Polynésie française n'aient pas fait l'objet d'une mention expresse d'applicabilité dans cette collectivité.

11. L'article 112-2 du code pénal a été rendu applicable en Polynésie française à compter du 1er mai 1996 par l'article 1er de l'ordonnance n° 96-267 du 28 mars 1996 relative à l'entrée en vigueur du nouveau code pénal dans les territoires d'outre-mer.

12. Il s'ensuit que, même si l'article 72 de la loi du 9 mars 2004, qui a retranché les mots « sauf lorsqu'elles auraient pour résultat d'aggraver la situation de l'intéressé » à l'article 112-2 du code pénal, n'a pas été inséré à l'article 217 de celle-ci, qui énumère celles de ses dispositions applicables en Polynésie française, l'article 112-2 ainsi modifié est applicable en Polynésie française depuis le 5 juin 2016 conformément à l'article 711-1 du code pénal.

13. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Sur le deuxième moyen

Énoncé du moyen

14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [V] coupable d'avoir détenu et transporté de façon irrégulière des marchandises soumises à justificatif d'origine, réputées importation en contrebande de marchandises prohibées et d'avoir détenu et transporté de façon irrégulière des « rebuts » de perles de culture et d'être entré en voie de condamnation, alors :

« 1°/ que M. [V] a produit, pour établir la provenance des marchandises, des factures et des attestations émises par des vendeurs de perles (pièce n° 5, « Pièces relatives à la provenance des perles. ») ; que pour dire que M. [V] n'établissait pas la provenance des marchandises et ne renversait pas la présomption d'importation, la cour d'appel a examiné les seules factures produites par lui ; qu'en statuant ainsi, sans analyser les attestations soumises par M. [V], la cour d'appel a manqué aux exigences de l'article 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en retenant que M. [V] n'établissait pas la provenance des marchandises et ne renversait pas la présomption d'importation, sans répondre au moyen par lequel il faisait valoir qu'il résultait de la nature des perles, « perles de Tahiti », et des rebuts, que ceux-ci provenaient de Tahiti et donc de Polynésie française de sorte que la présomption d'importation était renversée, la cour d'appel a manqué aux exigences de l'article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

15. Pour déclarer M. [V] coupable d'avoir détenu et transporté de façon irrégulière des marchandises soumises à justificatif d'origine, et des rebuts de perles de culture, l'arrêt attaqué énonce que ce dernier a produit des factures du 23 juillet 2014 et du 2 avril 2015 émises par la SCA [3] à [1] concernant l'achat de 56 000 perles de type Low Grad et 32 915 perles de qualité D, et qu'il verse par ailleurs aux débats deux factures du 20 août 2014 et du 10 décembre 2014 portant sur deux lots de 4 350 et 4 400 perles, ainsi qu'une facture du 19 septembre 2015 concernant un lot de 400 perles et 5 kilogrammes de keishis.

16. Les juges relèvent que l'expertise effectuée par le service des douanes a conclu à la présence de 11 498 perles commercialisables et 410 kilogrammes de rebuts, si bien que ni la quantité, ni la qualité ne correspondent aux produits saisis.

17. Ils en déduisent que les justificatifs fournis par M. [V] sont insuffisants à établir l'origine des biens saisis, et que la présomption d'importation doit dès lors trouver application, M. [V] ne produisant par ailleurs aucun document susceptible d'établir sa qualité de professionnel ou de négociant.

18. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui a souverainement apprécié les faits et circonstances de la cause ainsi que les éléments de preuve soumis au débat contradictoire, et qui a pris en compte les factures et justificatifs produits devant elle, a pu en déduire, au regard des quantités et des types de perles saisies, que l'origine des marchandises n'était pas justifiée.

19. Dès lors, le moyen ne saurait être accueilli.

Sur le troisième moyen

Énoncé du moyen

20. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [V] à payer une amende douanière de 5 000 000 francs CFP en application de l'article 286 du code des douanes de la Polynésie française correspondant à deux fois la valeur de la marchandise saisie, alors « que seule la contrebande de marchandises de la catégorie de celles qui sont prohibées au sens du code des douanes de la Polynésie française ou fortement taxées à l'entrée peut donner lieu à une amende comprise entre une et deux fois la valeur de l'objet de fraude ; que, lorsque la contrebande se rapporte à la fois à des marchandises relevant de ces catégories et à des marchandises qui y sont étrangères, la valeur de l'objet de fraude à partir de laquelle est calculée l'amende ne peut être que celle des marchandises relevant de ces catégories, sans pouvoir inclure celle des marchandises qui y sont étrangères ; qu'en relevant que les faits de contrebande portaient à la fois sur des rebuts interdits à la vente, constituant des marchandises prohibées, et des perles commercialisables (arrêt, p. 9, § 2) et en fixant le montant de l'amende à deux fois la valeur des perles commercialisables, non prohibées (arrêt, p. 9, § 4), la cour d'appel a violé l'article 286 du code des douanes de la Polynésie française. »

Réponse de la Cour

21. Pour condamner M. [V] à une amende douanière de 5 000 000 francs CFP, l'arrêt attaqué énonce qu'il convient de faire droit à la demande de l'administration des douanes s'agissant du transport prohibé de marchandises pour partie interdites à la vente.

22. Les juges ajoutent que si les rebuts n'ont aucune valeur commerciale, leur mise sur le marché parallèle contribue grandement à faire chuter le cours de la perle.

23. Ils retiennent que selon l'expertise opérée par le service des douanes, la valeur de la marchandise s'élève à la somme de 2 578 576 francs CFP, et qu'il convient de condamner M. [V] à payer une amende correspondant à deux fois la valeur des perles commercialisables, soit 5 000 000 francs CFP.

24. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui s'est fondée sur la valeur de la marchandise de fraude fournie par l'administration, calculée par cette dernière en fonction du prix sur le marché des perles et des rebuts prohibés, a apprécié souverainement, dans les limites fixées par l'article 286 du code des douanes, le montant de l'amende douanière qu'elle a prononcée, et n'a pas méconnu le texte visé au moyen.

25. D'où il suit que le moyen doit être écarté.

Mais sur le quatrième moyen

Énoncé du moyen

26. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la confiscation des fonds saisis pour sûreté des pénalités - 800 000 francs CFP (820 000 XPF) quittance n° 70809 du 21 novembre 2014 - et a ordonné l'affectation des fonds saisis pour sûreté des pénalités au paiement partiel de l'amende, alors :

2°/ que les sommes saisies à l'occasion de la constatation des infractions douanières ne peuvent être affectées à l'exécution des jugements et arrêts ; qu'en ordonnant « la confiscation des fonds saisi pour sûreté des pénalités » et « l'affectation des fonds saisis pour sûreté des pénalités [?] en paiement partiel de l'amende » (arrêt, p. 11, § 4 et 5), aux motifs qu' « il convient d'ordonner l'affectation des fonds saisis, 820 000 Fcfp, au paiement partiel de l'amende ainsi prononcée » (arrêt, p. 9, § 6), la cour d'appel a violé l'article 252 du code des douanes de la Polynésie française. »

Réponse de la Cour

27. Vu l'article 254 du code des douanes de la Polynésie française :

28. Il résulte de ce texte que les sommes saisies à l'occasion de la constatation des infractions douanières ne peuvent être affectées à l'exécution des jugements ou arrêts.

29. Après avoir déclaré M. [V] coupable de détention et transport irréguliers de marchandises soumises à justificatif d'origine, faits réputés importation en contrebande de marchandises prohibées, et détention et transport irréguliers de rebuts de perles de culture, l'arrêt attaqué ordonne l'affectation des fonds saisis pour sûreté des pénalités au paiement partiel de l'amende douanière.

30. En prononçant une telle mesure, les juges ont méconnu le sens et la portée du texte susvisé.

31. La cassation est par conséquent encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner l'autre grief.

Portée et conséquences de la cassation

32. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

Examen de la demande fondée sur l'article 618-1 du code de procédure pénale

33. Les dispositions de ce texte sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel. La déclaration de culpabilité de M. [V] étant devenue définitive par suite du rejet des deux premiers moyens, il y a lieu de faire partiellement droit à la demande.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, par voie de retranchement, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Papeete, en date du 4 août 2022, en ses seules dispositions ayant ordonné l'affectation des fonds saisis pour sûreté des pénalités au paiement partiel de l'amende douanière, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme que M. [V] devra payer à la Polynésie française en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Papeete et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du seize octobre deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2401241
Date de la décision : 16/10/2024
Sens de l'arrêt : Cassation par voie de retranchement sans renvoi

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Papeete, 04 août 2022


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 16 oct. 2024, pourvoi n°C2401241


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, SCP Doumic-Seiller

Origine de la décision
Date de l'import : 22/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:C2401241
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