LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 octobre 2024
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1056 F-D
Pourvoi n° E 23-10.998
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 16 OCTOBRE 2024
1°/ La société Milee, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée société Adrexo,
2°/ la société [C]-Rousselet, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 5], prise en la personne de M. [K] [C], agissant en qualité d'administrateur judiciaire de la société Milee,
3°/ la société Ajilink [Y] Bonetto, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 3], prise en la personne de M. [K] [Y], agissant en qualité d'administrateur judiciaire de la société Milee,
4°/ la société BTSG², société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2], prise en la personne de M. [U] [B], agissant en qualité de mandataire judiciaire, puis de liquidatrice judiciaire de la société Milee,
5°/ la société [T] [J] & A Lageat, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 4], prise en la personne de M. [T] [J], agissant en qualité de mandataire judiciaire, puis de liquidatrice judiciaire de la société Milee,
ont formé le pourvoi n° E 23-10.998 contre l'arrêt rendu le 24 novembre 2022 par la cour d'appel de Dijon (chambre sociale), dans le litige les opposant à M. [P] [H], domicilié [Adresse 6], défendeur à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Deltort, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Milee, des sociétés [C]-Rousselet, Ajilink [Y] Bonetto, BTSG² et [T] [J] & A Lageat, ès qualités, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. [H], après débats en l'audience publique du 18 septembre 2024 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Deltort, conseiller rapporteur, Mme Le Quellec, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 24 novembre 2022), M. [H] a été engagé en qualité de distributeur de journaux et documents publicitaires, le 26 septembre 2005, par la société Adrexo, aux droits de laquelle se trouve la société Milee (la société), suivant contrat de travail à temps partiel modulé.
2. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 28 mai 2019 à l'effet d'obtenir la requalification de son contrat de travail en contrat à temps complet et le paiement de diverses sommes au titre de l'exécution dudit contrat.
3. Le 30 mai 2024 a été ouverte une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société. Cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 9 septembre 2024, les sociétés BTSG² et [T] [J] & A Lageat étant désignées en qualité de liquidatrices. Par mémoire déposé le 17 septembre 2024, ces sociétés ès qualités ont indiqué qu'elles poursuivaient l'instance.
4. Il en résulte qu'en application de l'article L. 625-3 du code de commerce, l'instance en cours à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective s'est poursuivie en présence des liquidatrices judiciaires intervenues volontairement.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de requalifier le contrat de travail à temps partiel modulé en un contrat à temps complet et de le condamner à payer au salarié diverses sommes à titre de rappel de salaire et de prime d'ancienneté, outre congés payés afférents, et à lui remettre des bulletins de paie rectifiés, alors « que le juge devant, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe du contradictoire, il ne peut fonder sa décision sur les moyens qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, pour requalifier le contrat de travail à temps partiel modulé en contrat de travail à temps plein, la cour d'appel a retenu que ''si l'employeur verse aux débats différents "programmes indicatifs de modulation" signés par le salarié pour la période de octobre 2005 à octobre 2008, décembre 2008 à octobre 2009, décembre 2009 à octobre 2010, décembre 2010 à octobre 2011, décembre 2011 à octobre 2012, janvier 2013 à octobre 2013 et décembre 2014 à octobre 2015, ceux concernant les périodes de décembre 2016 à octobre 2020 ne sont pas signés du salarié et sont donc sans valeur probante. De fait, les programmes indicatifs de modulation signés par le salarié ne couvrent pas l'intégralité de la relation de travail'', qu' ''il n'est justifié d'aucun élément pour les mois de novembre 2008, 2009, 2010, 2011, 2012, 2013 et pour la période postérieure à novembre 2015, étant rappelé que la relation de travail s'est poursuivie après cette date'' et que ''par ailleurs, à l'exception du programme indicatif de modulation d'octobre 2005 à octobre 2008, tous les autres documents utilement produits portent sur onze mois au lieu des douze mois requis'' ; qu'en se déterminant ainsi, par un moyen qu'elle a relevé d'office relatif à l'absence de justification de la communication au salarié de l'ensemble des programmes indicatifs de répartition de la durée du travail, sans avoir préalablement invité les parties à en discuter contradictoirement, la cour d'appel a violé les articles 16 du code de procédure civile et 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 16 du code de procédure civile :
6. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
7. Pour requalifier le contrat de travail à temps partiel modulé en contrat à temps complet, l'arrêt, après avoir rappelé les dispositions conventionnelles relatives, notamment, aux modalités selon lesquelles le programme indicatif de la répartition de la durée du travail est communiqué par écrit au salarié et aux conditions et délais dans lesquels les horaires de travail sont notifiés par écrit au salarié, constate que le contrat initial et les avenants signés les 10 janvier, 16 juin et 3 novembre 2006, 4 août 2007, 12 septembre et 13 octobre 2008, 6 février, 16 avril et 2 novembre 2009, 29 octobre 2010, 16 septembre, 10 octobre 2011, 7 décembre 2012, 7 novembre 2014, 11 octobre 2016, 4 août, 20 octobre 2017, 8 mai, 20 août, 15 octobre 2018 et 28 octobre 2019 mentionnent une durée annuelle contractuelle moyenne de référence (initialement 312 heures, 780 heures au dernier état de la relation contractuelle) et une durée indicative mensuelle moyenne de travail variable selon le planning (initialement 26 heures, 65 heures au dernier état de la relation contractuelle).
8. Il énonce que, néanmoins, l'employeur doit pouvoir justifier des programmes indicatifs de répartition de la durée du travail et du fait que le salarié recevait ses feuilles de route avec un délai suffisant afin de démontrer que celui-ci n'avait pas à se tenir constamment à sa disposition. Il relève que, si l'employeur verse aux débats différents programmes indicatifs de modulation signés par le salarié pour la période de octobre 2005 à octobre 2008, décembre 2008 à octobre 2009, décembre 2009 à octobre 2010, décembre 2010 à octobre 2011, décembre 2011 à octobre 2012, janvier 2013 à octobre 2013 et décembre 2014 à octobre 2015, ceux concernant les périodes de décembre 2016 à octobre 2020 ne sont pas signés du salarié et sont donc sans valeur probante et les programmes indicatifs de modulation signés par le salarié ne couvrent pas l'intégralité de la relation de travail. Il relève encore qu'il n'est justifié d'aucun élément les mois de novembre 2008, 2009, 2010, 2011, 2012, 2013 et pour la période postérieure à novembre 2015. Il ajoute que, à l'exception du programme indicatif de modulation d'octobre 2005 à octobre 2008, tous les autres documents utilement produits portent sur onze mois au lieu des douze mois requis et que la production de récapitulatifs individuels de modulation sur douze mois couvrant les périodes d'octobre 2015, 2016, 2017 et 2018 à octobre 2016, 2017, 2018 et 2019 est inopérante, s'agissant de documents récapitulatifs, donc établis a posteriori, qui plus est non signés par le salarié, et qu'il en est de même des rapports journaliers de distribution pour certaines tournées de janvier-février 2016 et janvier-février 2017, ces documents, vierges de toute indication, n'étant de surcroît pas signés par le salarié. Il constate encore, s'agissant des feuilles de route produites, qu'elles se limitent à quelques journées des mois de janvier et février 2016 et 2017, ce qui ne couvre pas l'ensemble de la relation de travail, et qu'il n'est fait mention que de dates de début et de fin de la tournée, de la date d'impression du document et du fait que la feuille a été remise ''ce jour'' au salarié, sans mention de cette date. Il en conclut qu'il n'est pas justifié du délai avec lequel elles ont été communiquées au salarié.
9. La cour d'appel a déduit de l'ensemble de ces éléments que l'employeur échouait à démontrer que le salarié, dont la durée de travail variait de manière importante d'un mois à l'autre, n'était pas dans l'impossibilité de prévoir son rythme de travail et n'avait pas à se tenir à la disposition constante de l'employeur.
10. En statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen relevé d'office tiré du défaut de respect des modalités selon lesquelles le programme indicatif de la répartition de la durée du travail est communiqué par écrit au salarié, dont elle a tiré une présomption de temps complet qu'il appartenait à l'employeur de renverser, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
11. La cassation prononcée n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il requalifie le contrat de travail à temps partiel modulé en contrat à temps plein, condamne la société Adrexo à payer à M. [H] les sommes de 52 895,07 euros à titre de rappels de salaires, 5 427,93 euros à titre de rappels de primes d'ancienneté, 5 832,30 euros au titre des congés payés afférents et la condamne à remettre à M. [H] des bulletins de paie rectifiés, l'arrêt rendu le 24 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Besançon ;
Condamne M. [H] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize octobre deux mille vingt-quatre.