LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 octobre 2024
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1053 F-D
Pourvoi n° B 23-10.995
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 16 OCTOBRE 2024
1°/ La société Milee, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée société Adrexo,
2°/ la société [N]-[U], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 6], prise en la personne de M. [R] [N], agissant en qualité d'administrateur judiciaire de la société Milee,
3°/ la société [M] [Y] [S], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 4], prise en la personne de M. [R] [Y], agissant en qualité d'administrateur judiciaire, de la société Milee,
4°/ la société BTSG², société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2], prise en la personne de M. [O] [C], agissant en qualité de mandataire judiciaire, puis de liquidatrice judiciaire de la société Milee,
5°/ la société [K] [A] & [H], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 5], prise en la personne de M. [X] [A], agissant en qualité de mandataire judiciaire, puis de liquidatrice judiciaire de la société Milee,
ont formé le pourvoi n° B 23-10.995 contre l'arrêt rendu le 24 novembre 2022 par la cour d'appel de Dijon (chambre sociale), dans le litige les opposant à Mme [I] [L], épouse [B], domiciliée [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Deltort, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Milee, des sociétés [N]-[U], [M] [Y] [S], BTSG², [K] [A] & [H], ès qualités, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de Mme [L], après débats en l'audience publique du 18 septembre 2024 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Deltort, conseiller rapporteur, Mme Le Quellec, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 24 novembre 2022), Mme [L], épouse [B], a été engagée en qualité de distributrice de journaux et documents publicitaires, le 3 novembre 2009, par la société Adrexo, aux droits de laquelle se trouve la société Milee (la société), suivant contrat de travail à temps partiel modulé.
2. La salariée a été licenciée le 22 mai 2018 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
3. Elle a saisi la juridiction prud'homale le 28 mai 2019 à l'effet d'obtenir la requalification de son contrat de travail en contrat à temps complet et le paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture dudit contrat.
4. Le 30 mai 2024 a été ouverte une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société. Cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 9 septembre 2024, les sociétés BTSG² et [K] [A] & [H] étant désignées en qualité de liquidatrices. Par mémoire déposé le 17 septembre 2024, ces sociétés, ès qualités, ont indiqué qu'elles poursuivaient l'instance.
5. Il en résulte qu'en application de l'article L. 625-3 du code de commerce, l'instance en cours à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective s'est poursuivie en présence des liquidatrices judiciaires intervenues volontairement.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
7. L'employeur fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription et de le condamner à payer à la salariée une somme à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de reclassement, alors « que toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture, qui se situe à la date d'envoi de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception notifiant le licenciement ; qu'en l'espèce, pour juger que l'action en paiement de dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de reclassement n'était pas prescrite, la cour d'appel a retenu qu' ''il est justifié que le licenciement pour inaptitude a été envoyé à la salariée par courrier recommandé avec accusé réception du 22 mai 2018 et que la saisine du conseil de prud'hommes n'est intervenue que le 28 mai 2019, soit plus de 12 mois après'' et que ''néanmoins, l'avis de réception joint à la lettre de licenciement ne fait pas mention de la date de présentation du courrier, de sorte que la date de notification du licenciement, et donc le point de départ du délai de prescription d'un an, ne peut être déterminé'' ; qu'en statuant ainsi quand le point de départ du délai de prescription était la date d'envoi de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception notifiant le licenciement, de sorte que, la société Adrexo ayant notifié à Mme [B] son licenciement le 22 mai 2018, l'action de la salariée était prescrite à la date de la saisine du conseil de prud'hommes le 28 mai 2019, la cour d'appel a violé les articles L. 1471-1, alinéa 2, et L. 1231-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
8. La cour d'appel, qui, après avoir constaté que l'avis de réception de la lettre de licenciement, datée du 22 mai 2018, ne faisait pas mention de la date de présentation de ladite lettre, en a déduit que la date de notification du licenciement, et donc le point de départ du délai de prescription d'un an, ne pouvait être déterminée, a légalement justifié sa décision.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
9. L'employeur fait grief à l'arrêt de requalifier le contrat de travail à temps partiel modulé en un contrat à temps complet et de le condamner à payer à la salariée diverses sommes à titre de rappel de salaire et de prime d'ancienneté, outre congés payés afférents, et à lui remettre des bulletins de paie et une attestation Pôle emploi rectifiés, alors « que le juge devant, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe du contradictoire, il ne peut fonder sa décision sur les moyens qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, pour requalifier le contrat de travail à temps partiel modulé en contrat de travail à temps plein, la cour d'appel a retenu que « si l'employeur verse aux débats différents ''programmes indicatifs de modulation'' signés par la salariée pour la période de décembre 2009 à novembre 2010, janvier à novembre 2011, février à novembre 2012, janvier à novembre 2013, janvier à novembre 2014 et janvier à novembre 2015, ceux-ci ne couvrent pas l'intégralité de la relation de travail », qu' ''il n'est justifié d'aucun élément pour les mois de décembre 2010, 2011, 2012, 2013 et 2014 ni pour la période postérieure à novembre 2015'' et que ''les programmes indicatifs de modulation produits portent sur 11 mois au lieu des 12 mois requis'' ; qu'en se déterminant ainsi, par un moyen qu'elle a relevé d'office relatif à l'absence de justification de la communication à la salariée de l'ensemble des programmes indicatifs de répartition de la durée du travail, sans avoir préalablement invité les parties à en discuter contradictoirement, la cour d'appel a violé les articles 16 du code de procédure civile et 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 16 du code de procédure civile :
10. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
11. Pour requalifier le contrat de travail à temps partiel modulé en contrat à temps complet, l'arrêt, après avoir rappelé les dispositions conventionnelles relatives, notamment, aux modalités selon lesquelles le programme indicatif de la répartition de la durée du travail est communiqué par écrit au salarié et aux conditions et délais dans lesquels les horaires de travail sont notifiés par écrit au salarié, constate que le contrat initial et les avenants signés les 26 novembre 2010, 9 janvier, 13 février, 17 décembre 2012, 14 novembre 2013 et 15 janvier 2015 mentionnent une durée annuelle contractuelle moyenne de référence (initialement 416 heures, 464 heures au dernier état de la relation contractuelle) et une durée indicative mensuelle moyenne de travail variable selon le planning (initialement 34,67 heures, 39 heures au dernier état de la relation contractuelle).
12. Il énonce que, néanmoins, l'employeur doit pouvoir justifier des programmes indicatifs de répartition de la durée du travail et du fait que la salariée recevait ses feuilles de route avec un délai suffisant afin de démontrer que celle-ci n'avait pas à se tenir constamment à sa disposition. Il relève que, si l'employeur verse aux débats différents programmes indicatifs de modulation signés par la salariée pour la période de décembre 2009 à novembre 2010, janvier à novembre 2011, février à novembre 2012, janvier 2013 à novembre 2013, janvier à novembre 2014 et janvier à novembre 2015, ceux-ci ne couvrent pas l'intégralité de la relation de travail. Il relève encore qu'il n'est justifié d'aucun élément pour les mois de décembre 2010, 2011, 2012, 2013 et 2014 ni pour la période postérieure à novembre 2015. Il ajoute que les programmes indicatifs de modulation produits portent sur onze mois au lieu des douze mois requis et que la production de récapitulatifs individuels de modulation sur douze mois couvrant les périodes de décembre 2015 à mai 2018 est inopérante, s'agissant de documents récapitulatifs, donc établis a posteriori, qui plus est non signés par la salariée, et qu'il en est de même des rapports journaliers de distribution pour certaines tournées de janvier-février 2016 et 2017, ces documents, vierges de toute indication, n'étant de surcroît pas signés par la salariée. Il constate encore, s'agissant des feuilles de route produites, qu'elles se limitent aux mois de janvier-février 2016 et 2017, ce qui ne couvre pas l'ensemble de la relation de travail, et qu'il n'est fait mention que de dates de début et de fin de la tournée, de la date d'impression du document et du fait que la feuille a été remise « ce jour » à la salariée, sans mention de cette date. Il en conclut qu'il n'est pas justifié du délai avec lequel elles ont été communiquées à la salariée.
13. La cour d'appel a déduit de l'ensemble de ces éléments que l'employeur échouait à démontrer que la salariée, dont la durée de travail variait de manière importante d'un mois à l'autre, n'était pas dans l'impossibilité de prévoir son rythme de travail et n'avait pas à se tenir à la disposition constante de l'employeur.
14. En statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen relevé d'office tiré du défaut de respect des modalités selon lesquelles le programme indicatif de la répartition de la durée du travail est communiqué par écrit au salarié, dont elle a tiré une présomption de temps complet qu'il appartenait à l'employeur de renverser, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
15. La cassation prononcée n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt
condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il requalifie le contrat de travail à temps partiel modulé en contrat à temps plein, condamne la société Adrexo à payer à Mme [L], épouse [B], les sommes de 12 498,77 euros à titre de rappels de salaires, 2 484,81 euros à titre de rappels de primes d'ancienneté, 1 498,36 euros au titre des congés payés afférents et la condamne à remettre à Mme [L], épouse [B], des bulletins de paie et une attestation Pôle emploi rectifiés, l'arrêt rendu le 24 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Besançon ;
Condamne Mme [L], épouse [B], aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize octobre deux mille vingt-quatre.