LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 octobre 2024
Rejet
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 996 F-D
Pourvoi n° G 23-16.015
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 OCTOBRE 2024
La société Normandy Castel Villers, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° G 23-16.015 contre l'arrêt rendu le 27 avril 2023 par la cour d'appel de Rouen (chambre sociale et des affaires de sécurité sociale), dans le litige l'opposant à M. [D] [V], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Redon, conseiller référendaire, les observations de Me Soltner, avocat de la société Normandy Castel Villers, de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. [V], après débats en l'audience publique du 10 septembre 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Redon, conseiller référendaire rapporteur, M. Pietton, conseiller, Mme Grivel, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 27 avril 2023), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 21 septembre 2022, pourvoi n° 21-14-481) M. [V] a été engagé par la société Vouillon, devenue la société Normandy Castel Villers, en qualité de responsable d'agence à compter du 1er avril 2015.
2. Convoqué le 5 décembre 2017 à un entretien préalable fixé au 18 décembre et mis à pied à titre conservatoire, il a été licencié pour faute grave le 15 janvier 2018.
3. Contestant son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur deuxième moyen
Enoncé du moyen
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement du salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse et de le condamner en conséquence à lui payer diverses sommes, alors :
« 1°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, pour dire que le grief reproché au salarié n'était pas établi et que l'employeur ne pouvait pas, dans le cadre de la procédure prud'homale, reprocher au salarié de ne pas avoir sollicité des acquéreurs concernés le versement du dépôt de garantie ou de ne pas s'être assuré de la réalité de leurs virements dans la mesure où les termes explicites et clairs de la lettre de licenciement n'énoncent pas de tels manquements, la cour d'appel a retenu qu'''aux termes de la lettre de licenciement, il est reproché au salarié d'avoir demandé à la comptable de la société d'effectuer du compte séquestre de la société des virements, correspondant ''aux dépôts de garantie'', dans les ventes ci-dessus précisées, alors que ''ces ventes ne prévoyaient aucun dépôt de garantie'' et constaté qu'il résultait pourtant de l'examen des actes de vente sous conditions suspensives concernées qu'il était bien stipulé, pour chacune d'entre elles, le versement d'un acompte par l'acquéreur ; qu'il apparaissait cependant à la lecture des termes clairs et précis de la lettre de licenciement que s'il était bien reproché au salarié d'avoir procédé, dans le cadre de la vente Perrot-Grollin, ''au virement d'un dépôt de garantie dans une vente qui n'en prévoyait aucun'', il lui était reproché, s'agissant des ventes Slakmon-Rioult et Sarfati d'avoir ''donné des ordres de virement pour des ventes ne donnant pas lieu à dépôt de garantie'' ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de la lettre de licenciement en violation du principe susvisé ;
2°/ le juge doit rechercher si les faits reprochés au salarié, à défaut de caractériser une faute grave, ne constituent pas néanmoins une cause réelle et sérieuse de licenciement ; qu'outre l'hypothèse où le licenciement est fondé sur une insuffisance professionnelle, la cause réelle et sérieuse ne nécessite pas que les faits reprochés au salarié présentent un ''caractère délibéré et volontaire'' ; qu'en l'espèce, il soutenait dans ses conclusions que les faits reprochés au salarié ne pouvaient pas révéler une simple insuffisance professionnelle et la cour d'appel n'a pas retenu que les faits qui lui étaient reprochés étaient constitutifs d'une insuffisance professionnelle ; qu'en jugeant pourtant qu'il n'était pas démontré que les faits reprochés au salarié aient eu un caractère délibéré, cependant que l'employeur avait seulement à démontrer que les faits reprochés au salarié, que ceux-ci aient présentés ou non un caractère délibéré ou volontaire, étaient suffisamment fautifs pour constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, la cour d'appel a violé les articles L. 1232-1 et L. 1235-1 du code du travail ;
3°/ qu'il appartient au juge d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur à l'appui d'un licenciement ; qu'en l'espèce, il exposait qu'il n'était pas sérieux de soutenir que le salarié n'avait commis aucune faute au motif qu'il n'aurait pas eu accès au compte séquestre puisqu'en raison des fonctions de responsable d'agence qu'il exerçait et de sa grande expérience professionnelle, il avait pour mission de suivre l'intégralité des processus de vente et de gérer administrativement l'agence dont il était chargé ; qu'elle exposait encore que le maniement de fonds revêt une importance capitale pour une agence immobilière et nécessite une vigilance accrue, d'autant plus de la part d'un responsable d'agence, puisque l'utilisation de fonds versés par un client pour une autre vente génère un risque de responsabilité déontologique, civile et pénale outre un risque réputationnel évident ; qu'en l'espèce, pour juger que les faits reprochés au salarié n'étaient pas fautifs, la cour d'appel s'est bornée à relever qu'il n'avait pas accès au compte séquestre et que dans ces conditions il n'avait pas pu procéder à aucune vérification utile et que l'employeur n'établissait pas l'existence ou le contenu du ''dossier'' visé à la lettre de licenciement dans lequel le salarié aurait pu vérifier la réalisation d'un précédent virement ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé,
si eu égard à son expérience, ses responsabilités et les risques qu'ils faisaient peser sur l'entreprise, les faits reprochés au salarié ne revêtaient pas un caractère fautif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1232-1 et L. 1235-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
6. D'abord, il résulte de l'article L. 1232-6 du code du travail que si la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs articulés à l'encontre du salarié et les conséquences que l'employeur entend en tirer quant aux modalités de rupture, il appartient au juge de qualifier les faits invoqués.
7. Ensuite, si l'insuffisance professionnelle ne revêt pas, en principe, un caractère fautif, il en va autrement lorsque cette insuffisance résulte d'une abstention volontaire ou d'une mauvaise volonté délibérée du salarié.
8. La cour d'appel, après avoir relevé que l'employeur, aux termes de la lettre de licenciement, reprochait au salarié des opérations qu'il qualifiait d'erreurs, faisant ressortir qu'il s'agissait d'un licenciement pour insuffisance professionnelle, a retenu que ces erreurs imputées au salarié, dont certaines n'étaient pas établies, en l'absence d'une abstention volontaire ou d'une mauvaise volonté délibérée de l'intéressé, ne revêtaient aucun caractère fautif.
9. De ces constatations et énonciations, elle a exactement déduit, sans dénaturer la lettre de licenciement et sans avoir à procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que les griefs invoqués ne pouvaient justifier un licenciement disciplinaire.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Normandy Castel Villers aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Normandy Castel Villers et la condamne à payer à M. [V] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf octobre deux mille vingt-quatre.