LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 octobre 2024
Cassation partielle
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 987 F-D
Pourvoi n° X 21-15.537
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 OCTOBRE 2024
La société SKS 26, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° X 21-15.537 contre l'arrêt rendu le 12 février 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-3), dans le litige l'opposant à Mme [X] [M], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pietton, conseiller, les observations de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de la société SKS 26, de Me Bertrand, avocat de Mme [M], après débats en l'audience publique du 10 septembre 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Pietton, conseiller rapporteur, M. Seguy, conseiller, Mme Grivel, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 12 février 2021), statuant en matière de référé, Mme [M] a exercé les fonctions de directeur général de la société par actions simplifiée SKS 26 (la société) jusqu'au 11 septembre 2019.
2. Se prévalant d'un contrat de travail à durée déterminée conclu le 1er octobre 2018, elle a sollicité le versement d'un mois de salaire, de l'indemnité de précarité de fin de contrat et la remise des documents de fin de contrat.
3. La société lui ayant opposé un refus en contestant la réalité du contrat de travail, l'intéressée a saisi de ces demandes la juridiction prud'homale en référé.
4. Ayant interjeté appel de l'ordonnance de référé qui avait rejeté ses demandes, l'intéressée a soulevé devant la cour d'appel l'irrecevabilité des conclusions de la société intimée pour tardiveté.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La société fait grief à l'arrêt de déclarer ses conclusions et pièces irrecevables, alors :
« 1°/ que s'il revient à la cour de se prononcer, en cas d'application de l'article 905 du code de procédure civile, sur l'irrecevabilité des conclusions de l'intimé en l'absence de conseiller de la mise en état, seuls le président de la chambre saisie ou le magistrat désigné par le premier président relèvent d'office, par ordonnance, cette irrecevabilité ; qu'en retenant, pour dire les conclusions d'appel de la société SKS 26 irrecevables, que la cour d'appel avait la faculté de relever d'office la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité des conclusions de l'intimé et en la prononçant dans un arrêt et non par ordonnance, la cour d'appel a violé l'article 905-2 du code de procédure civile ;
2°/ que la faculté pour le juge de relever d'office une fin de non recevoir n'implique pas la recevabilité de ce moyen de défense par la partie qui l'invoque ; qu'en retenant, pour dire que l'appelante était recevable à invoquer l'irrecevabilité des conclusions adverses, que la cour d'appel disposait de la faculté de relever d'office la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité desdites écritures, la cour d'appel a statué par un motif inopérant, privant sa décision de base légale au regard de l'article 905-2 du
code de procédure civile ;
3°/ que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir ; que le moyen tiré de l'irrecevabilité des conclusions de l'intimé pour tardiveté ne conteste pas le droit d'agir du demandeur mais l'accomplissement d'une formalité en cours d'instance par le défendeur ; qu'il ne constitue pas une fin de non-recevoir mais une exception de procédure à faire valoir in limine litis ; qu'en retenant, pour dire les conclusions et pièces de la société SKS 26 irrecevables, que la cour d'appel avait la faculté de relever d'office la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité des conclusions, laquelle pouvait être présentée à tout moment, la cour d'appel a violé les articles 74 et 122 du code de procédure civile.»
Réponse de la Cour
6. Selon l'article 905-2 du code de procédure civile, le président de la chambre saisie ou le magistrat désigné par le premier président statue sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité des conclusions déposées tardivement par l'intimé.
7. Il en résulte, d'une part, que la remise tardive des conclusions de l'intimé est une cause d'irrecevabilité, d'autre part, que si les parties ne sont plus recevables à invoquer cette fin de non-recevoir après le dessaisissement de ce magistrat, à moins que sa cause ne survienne ou ne soit révélée postérieurement, cette restriction ne fait pas obstacle à la faculté pour la cour d'appel de la relever d'office.
8. Ayant constaté que l'appelant avait, dans le délai qui lui était imparti, signifié ses conclusions à l'intimée le 7 août 2020 et relevé que l'intimée n'avait déposé ses conclusions que le 11 septembre 2020, soit postérieurement au délai prévu par l'article 905-2 susmentionné, la cour d'appel qui pouvait elle-même relever d'office la fin de non-recevoir, a, abstraction faite des motifs critiqués par la seconde branche qui sont surabondants, exactement décidé que les conclusions de l'intimée étaient irrecevables.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
10. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à l'intéressée des sommes à titre de provision sur l'indemnité de précarité et les congés payés afférents et au titre des frais irrépétibles et à supporter les dépens d'appel, alors « que pour condamner la société SKS 26 au paiement de diverses sommes au profit de Mme [M] en application d'un contrat de travail cumulé avec son mandat social, la cour d'appel a retenu qu'il appartenait à la société d'établir la fictivité du contrat, ce qu'elle n'était pas en mesure de faire eu égard à l'irrecevabilité de ses conclusions et pièces ; que par application de l'article 624 du code de procédure civile, la censure qui s'attachera au chef de l'arrêt ayant déclaré les conclusions et pièces de la société SKS 26 irrecevables, entraînera, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt ayant condamné la société SKS 26 au paiement des sommes susvisées. »
Réponse de la Cour
11. Le premier moyen étant rejeté, le grief tiré d'une cassation par voie de conséquence est sans portée.
Mais sur le second moyen , pris en ses deuxième et cinquième branches
Enoncé du moyen
12. La société fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 2°/ que le juge des référés est le juge de l'évidence ; que le cumul d'un contrat de travail et d'un mandat social suppose l'existence de fonctions techniques distinctes du mandat exercées dans le cadre de la relation de travail salariée, le paiement d'une rémunération en contrepartie de l'exercice de ces fonctions, un lien de subordination juridique entre les parties et l'absence de fraude à la loi ; que l'appréciation de ces conditions procède de l'examen approfondi des modalités d'exécution de la mission salariée, en fonction des circonstances de l'espèce; qu'il en résulte que le contrôle de la licéité d'un tel cumul excède les pouvoirs du juge des référés; qu'en accueillant les demandes formées par Mme [M] devant le juge des référés au titre d'un contrat de travail cumulé avec son mandat social, la cour d'appel a violé l'article R. 1455-5 du code du travail ;
5°/ que la partie qui ne conclut pas est réputée s'approprier les motifs du jugement ; qu'il appartient aux juges d'appel de réfuter ces motifs s'ils entendent infirmer la décision ; qu'en infirmant l'ordonnance déférée sans réfuter ses motifs déterminants selon lesquels l'analyse des pièces fournies ne permettait pas de constater l'existence d'un contrat de travail, la formation de référé n'ayant pu constater un lien concret de subordination, la demanderesse ayant toute liberté d'organisation de son temps de travail, aucune hiérarchie n'étant présente au quotidien et l'intéressée bénéficiant
d'une autonomie complète dans la gestion de l'entité placée sous sa responsabilité, motifs qui s'opposaient à ce que la demande de Mme [M] prospère, la cour d'appel a violé l'article 954 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 954 du code de procédure civile et R. 1455-7 du code du travail :
13. Selon le premier de ces textes, l'intimé dont les conclusions sont déclarées irrecevables est réputé ne pas avoir conclu et s'être approprié les motifs du jugement attaqué.
14. Aux termes du second, dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
15. Pour allouer une provision à l'intéressée, l'arrêt retient que, de principe, la validité du cumul ayant existé entre, d'une part, le mandat social de directeur général exercé depuis la constitution de la société jusqu'à la révocation du 11 septembre 2019 et, d'autre part, le contrat de travail à durée déterminée d'une durée d'un an, conclu dans un second temps, le 1er octobre 2018, et qui est allé jusqu'à son terme, le 30 septembre 2019, reste subordonnée à la réalité d'une fonction technique distincte de la direction générale, exercée dans un rapport de subordination par rapport aux instances dirigeantes, mais que la charge de la preuve de la coexistence d'un contrat de travail avec un mandat social revient en principe à celui qui s'en prévaut, sauf lorsque la conclusion du contrat de travail est antérieure à la nomination en qualité de mandataire social et excepté en présence d'un contrat de travail apparent dont il appartient à celui qui en conteste la réalité d'en rapporter le caractère fictif.
16. Il en déduit que le contrat de travail et les bulletins paie étant produits par l'intéressée, celle-ci peut dès lors se prévaloir d'un contrat de travail apparent et qu'il revient donc à la société qui dénie la qualité de salariée d'apporter la preuve de la fictivité de la relation salariale, ce qu'elle n'est pas en mesure de faire par suite de l'irrecevabilité de ses pièces et conclusions et qu'en conséquence la demande de l'intéressée ne se heurte à aucune contestation sérieuse et celle-ci peut prospérer.
17. En statuant ainsi, sans réfuter les motifs déterminants de l'ordonnance sur l'absence de lien de subordination, alors qu'elle constatait que le litige portait sur l'existence ou non d'un cumul d'un contrat de travail et d'un mandat social, de sorte que l'obligation au paiement de l'indemnité de précarité et des congés payés afférents, était sérieusement contestable, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
18. La cassation du chef de la condamnation au paiement d'une indemnité de précarité et des congés payés afférents emporte celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare les conclusions et pièces de la société SKS 26 irrecevables, l'arrêt rendu le 12 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé par le président en son audience publique du neuf octobre deux mille vingt-quatre, signé par lui, par M. Seguy, conseiller le plus ancien en ayant délibéré, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, et par le greffier de chambre, conformément aux dispositions des articles 452 et 1021 du code de procédure civile.