LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 octobre 2024
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 550 F-B
Pourvoi n° F 23-15.346
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 OCTOBRE 2024
1°/ M. [P] [X],
2°/ Mme [E] [I], épouse [X],
tous deux domiciliés [Adresse 4],
ont formé le pourvoi n° F 23-15.346 contre l'arrêt rendu le 9 février 2023 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-3), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [R] [D], domicilié [Adresse 3],
2°/ à M. [H] [O], domicilié [Adresse 5],
3°/ à M. [L] [Y], domicilié [Adresse 1], pris en sa qualité de mandataire liquidateur de la société MM [W],
4°/ à la société Banque populaire Méditerranée, société coopérative de banque à forme anonyme et capital variable, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Graff-Daudret, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. et Mme [X], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Banque populaire Méditerranée, après débats en l'audience publique du 9 juillet 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Graff-Daudret, conseiller rapporteur, M. Ponsot doyen, conseiller, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Désistement partiel
1. Il est donné acte à M. [X] et Mme [I] du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [D].
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 9 février 2023), par un acte notarié du 4 décembre 2012, la société La table des templiers a cédé un fonds de commerce à la société MM [W] (la société), le prix de cession étant financé au moyen d'un prêt contracté par cette dernière auprès de la société Banque populaire Côte d'azur, aux droits de laquelle est venue la société Banque populaire Méditerranée (la banque), garanti par les cautionnements de M. [X] et de Mme [I], du 29 novembre 2012.
3. La société débitrice principale ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la banque a assigné M. [X] en paiement en qualité de caution, tandis que ce dernier ainsi que Mme [I] ont assigné la banque et le notaire en annulation des actes de cautionnement et en responsabilité.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
4. M. [X] et Mme [I] font grief à l'arrêt de les condamner à payer à la banque la somme de 150 354,11 euros avec intérêts au taux légal à compter du 23 septembre 2014, en exécution de leurs engagements de caution, en rejetant leur demande tendant à voir juger ces engagements disproportionnés, alors :
« 1°/ que les juges doivent respecter et faire respecter le principe de la contradiction ; que la banque n'avait pas invoqué, au titre des revenus et du capital des cautions pour l'appréciation de la proportionnalité de leurs engagements, les revenus fonciers et de capitaux mobiliers figurant sur l'avis d'imposition 2011 ni leur source ; que la cour d'appel ne pouvait donc, sans inviter les parties à s'en expliquer, retenir contre les cautions le fait qu'elles ne fournissaient pas d'explications sur le patrimoine mobilier et immobilier dont la cour d'appel a déduit l'existence de cet avis d'imposition, sans inviter les parties à s'expliquer sur les revenus et leur cause, qui provenaient de la location, ayant pris fin dans le courant de l'année 2012, d'une maison dans laquelle ils avaient désormais fixé leur résidence principale, et les économies que Mme [I] avait investies ensuite dans l'achat des parts sociales de la société cautionnée ; qu'elle a ainsi violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°/ que la cour d'appel ne pouvait prendre en compte la valeur des parts sociales de la société MM [W] sans s'interroger sur le passif de cette société, dès lors qu'il était constant qu'elle avait emprunté la somme de 330 000 euros, objet de la caution litigieuse ; qu'elle a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 332-1 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
5. D'une part, dès lors que l'avis d'imposition 2011 était versé aux débats, les parties pouvaient en discuter contradictoirement l'ensemble des éléments y figurant, sans que la cour d'appel soit tenue de les inviter à s'expliquer sur tel ou tel point.
6. D'autre part, pour l'appréciation de la disproportion manifeste du cautionnement aux biens et revenus de la caution, la valeur des parts sociales dont est titulaire la caution dans la société cautionnée doit prendre en compte l'ensemble des éléments d'actif de cette société, comprenant notamment ceux qui composent le fonds de commerce lui appartenant, et de son passif externe. Les cautions n'ayant pas offert d'apporter cette preuve, la cour d'appel n'était pas tenue d'effectuer la recherche invoquée par la seconde branche.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
8. M. [X] et Mme [I] reprochent à l'arrêt de les condamner à payer à la banque la somme de 150 354,11 euros avec intérêts au taux légal à compter du 23 septembre 2014, en exécution de leurs engagements de caution, et de rejeter leur action en responsabilité dirigée contre la banque, alors « que la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur ; que la cour d'appel devait rechercher si, comme il était soutenu, la banque, qui avait accordé le prêt au débiteur principal sans disposer des éléments comptables permettant d'apprécier sa capacité de remboursement, n'était pas de ce fait tenue envers les cautions d'un devoir de mise en garde auquel elle avait manqué ; qu'en omettant cette recherche, elle a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil. »
Réponse de la Cour
9. Il résulte de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, que la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou qu'il existe un risque de l'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur. La mise en oeuvre, par les cautions, de la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde suppose la preuve, à leur charge, de telles inadaptations, et ne résulte pas du seul fait que la banque ne se serait pas fait communiquer des éléments comptables permettant d'apprécier la capacité de remboursement de l'emprunteur.
10. Le moyen, qui repose sur un postulat erroné, n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
11. M. [X] et Mme [I] font grief à l'arrêt de les condamner à payer à la banque la somme de 150 354,11 euros avec intérêts au taux légal à compter du 23 septembre 2014, en exécution de leurs engagements de caution, et de rejeter leur action en nullité de ces engagements, alors « que l'erreur est une cause de nullité de la convention lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet ; que l'erreur sur la solvabilité du débiteur principal est une cause de nullité du cautionnement, lorsque cette solvabilité était la condition de l'engagement de la caution ; qu'en se bornant à affirmer, pour écarter la nullité de l'acte de cautionnement, que l'erreur n'avait pas porté sur la substance de l'engagement, sans rechercher si, comme il était soutenu, il ne résultait pas de ce que les cautions s'étaient engagées au vu du prévisionnel qui leur avait été présenté, et avaient investi tous leurs avoirs dans l'opération cautionnée, que la solvabilité de la société cautionnée, dont l'insolvabilité avait été dissimulée par le dol de son contractant, était une condition déterminante de leur engagement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1109 et 1110 du code civil, dans leur rédaction applicable à la cause. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1109 et 1110 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
12. Il résulte de ces textes que l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que si elle porte sur la substance même de la chose qui en est l'objet ou sur une circonstance déterminante du consentement de la partie qui l'invoque.
13. Pour rejeter la demande d'annulation des cautionnements, l'arrêt retient que si, par un arrêt du 7 juillet 2016, la cour, qui a en conséquence opéré une réduction du prix de vente du fonds de commerce cédé à la société débitrice principale, a dit que cette dernière avait été victime d'un dol incident lors de l'acquisition du fonds de commerce, les cautions ne sauraient, pour prétendre à la nullité de leur engagement, se prévaloir de ce dol ou de l'erreur qu'il a, selon elles, entraînée sur la solvabilité de l'emprunteur et sa capacité à pouvoir assumer le prêt, dès lors que l'erreur qu'elles invoquent ne peut être imputée à la banque, et ne porte pas sur la substance de leur engagement.
14. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les cautions n'avaient pas fait de la solvabilité du débiteur principal la condition déterminante de leur engagement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
15. M. [X] et Mme [I] reprochent à l'arrêt de les condamner à payer à la banque la somme de 150 354,11 euros avec intérêts au taux légal à compter du 23 septembre 2014, en exécution de leurs engagements de caution, et de rejeter leur action en responsabilité dirigée contre M. [O], notaire, alors « que la faute du notaire qui manque à son devoir d'information vis-à-vis de la personne morale qui acquiert un fonds de commerce en omettant d'attirer son attention sur l'absence des éléments comptables nécessaires à l'appréciation de la rentabilité du fonds, est à l'origine du préjudice subi par les associés de cette personne morale qui se sont portés cautions de l'emprunt contracté pour cette acquisition et y ont investi leurs économies pour lui permettre de régler le solde du prix ; qu'en jugeant néanmoins que M. et Mme [X], associés et cautions de la société MM [A] qui avait acquis un fonds de commerce s'étant avéré non rentable, le notaire n'ayant pas attiré son attention sur l'absence des éléments comptables nécessaires à son appréciation, n'établissaient pas de lien de causalité entre la faute du notaire et leur préjudice, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
16. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
17. Le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.
18. Pour rejeter la demande de M. [X] et Mme [I] au titre de la responsabilité du notaire qui avait établi l'acte de cession de fonds de commerce entre la société La table des templiers et la société MM [W], l'arrêt, après avoir retenu la faute du notaire, pour avoir omis d'appeler l'attention de l'acquéreur sur les résultats d'exploitation du fonds, tels que prévus à l'article L.141-1 du code de commerce, retient que M. [X] et Mme [I], qui ne sont pas parties à l'acte litigieux et envers lesquels le notaire n'était donc tenu d'aucun devoir d'information et de conseil, n'établissent pas que le manquement qu'ils reprochent à ce dernier, dont la responsabilité n'est ici pas recherchée par la société MM [W], soit à l'origine du préjudice qu'ils invoquent.
19. En statuant ainsi, alors que, s'ils étaient tiers à l'acte notarié portant cession du fonds de commerce, M. [X] et Mme [I] pouvaient invoquer la faute commise par le notaire vis-à-vis de l'acquéreur, en lien de causalité avec le préjudice en résultant pour eux pour s'être rendus cautions de ce dernier, en garantie du prêt qui lui avait été consenti pour financer l'acquisition du fonds, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 février 2023, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne la société Banque populaire Méditerranée aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Banque populaire Méditerranée et la condamne, in solidum avec M. [O], à payer à M. [X] et Mme [I] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf octobre deux mille vingt-quatre.