LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° M 24-81.917 F-D
N° 01188
GM
8 OCTOBRE 2024
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 OCTOBRE 2024
Le procureur général près la cour d'appel de Rouen a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, en date du 29 décembre 2023, qui, dans la procédure d'extradition suivie contre M. [H] [R] à la demande du gouvernement turc, a émis un avis défavorable.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 septembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 10 octobre 2023, les autorités turques ont adressé aux autorités françaises une demande d'arrestation provisoire, suivie d'une demande d'extradition, à l'encontre de M. [H] [R], ressortissant turc, aux fins d'exécution d'une peine d'emprisonnement de sept ans et six mois, condamnation devenue définitive le 9 décembre 2009, pour des faits qualifiés de « meurtre avec auteur non identifié. »
3. La demande d'extradition a été notifiée à M. [R] par le procureur général le 20 décembre 2023.
4. M. [R] a déclaré ne pas consentir à son extradition.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen est pris de la violation de l'article 696-3 du code de procédure pénale.
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a donné un avis défavorable à la demande d'extradition aux motifs que le droit français ne prévoit pas de qualification de meurtre par auteur non identifié alors que, si la qualification retenue par les autorités turques parait propre au droit turc, le comportement reproché à M. [R], s'agissant d'une atteinte à la vie et à l'intégrité physique, est susceptible d'une qualification en droit pénal français, que ce soit celle de meurtre, de violences aggravées (avec arme et en réunion) ou encore de violences en réunion ayant entraîné la mort sans intention de la donner ; que dès lors que les faits sont punis dans l'un et l'autre des droits nationaux, il importe peu que ce soit en des termes identiques ou sous des sanctions comparables et qu'il n'appartient pas à la juridiction française, lorsqu'elle se prononce sur la demande d'extradition, de vérifier si les faits pour lesquels l'extradition est demandée ont reçu de la part des autorités de l'État requérant une exacte qualification juridique au regard de la loi pénale de cet État.
Réponse de la Cour
Vu les articles 2, § 1, de la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957, 696-15 et 593 du code de procédure pénale :
7. Il se déduit du premier de ces textes qu'il appartient aux juridictions françaises de rechercher si les faits visés dans la demande d'extradition sont punis par la loi française d'une peine privative de liberté ou d'une mesure de sûreté privative de liberté d'un maximum d'au moins un an ou d'une peine plus sévère, indépendamment de la qualification donnée par l'Etat requérant, et, quand une condamnation est intervenue, que la sanction prononcée est d'une durée d'au moins quatre mois.
8. Selon le deuxième, l'arrêt d'une chambre de l'instruction, statuant en matière d' extradition, doit répondre, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale.
9. Enfin, tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
10. Pour donner un avis défavorable à l'extradition de M. [R], l'arrêt attaqué énonce qu'il résulte de la décision de justice turque de condamnation, fondement de la demande d'extradition, qu'il n'est pas établi que l'intéressé soit à l'origine du tir ayant provoqué le décès de la victime, ce dernier ayant été condamné pour meurtre par auteur non identifié.
11. Les juges relèvent que, si le meurtre est prévu et réprimé par le droit français, tel n'est pas le cas du meurtre par auteur non identifié.
12. Ils observent en outre que, d'une part, selon le droit français, en application de l'article 121-1 du code pénal, nul n'est responsable pénalement que de son propre fait, d'autre part, le meurtre n'est pas assimilable aux violences en réunion dont la responsabilité des auteurs peut être retenue même si la part individuelle de chacun n'est pas déterminée.
13. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de qualifier les faits au regard de la loi française indépendamment de la qualification donnée par l'Etat requérant, sans avoir à apprécier, sauf erreur évidente, la valeur des indices réunis contre la personne réclamée, et alors qu'il résultait de ses propres constatations qu'ils pouvaient constituer, en droit français, les crimes de meurtre ou de violences en réunion ayant entraîné la mort sans intention de la donner ou le délit de violences avec arme et en réunion, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.
14. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rouen, en date du 29 décembre 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rouen, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rouen et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du huit octobre deux mille vingt-quatre.