LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 3 octobre 2024
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 871 F-D
Pourvoi n° M 21-22.381
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 OCTOBRE 2024
M. [U] [F], domicilié [Adresse 4], a formé le pourvoi n° M 21-22.381 contre l'arrêt rendu le 23 juillet 2021 par la cour d'appel de Papeete (chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [N] [C] [G], domicilié [Localité 1] (États-Unis),
2°/ à M. [E] [K] [G], domicilié [Adresse 3] (États-Unis),
3°/ à M. [D] [L], domicilié [Adresse 2] (États-Unis), veuf de [Y] [R],
tous trois pris en qualité d'ayants droit de [Y], décédée,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, six moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [F], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [N] [C] [G] et M. [E] [K] [G], et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 juillet 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 23 juillet 2021) et les productions, par requête enregistrée le 23 juin 2005, M. [U] [F], né le 29 juin 1948 et fils de [U] [F] qui avait été institué légataire universel de [W] [R] par testament du 19 décembre 1961, a assigné Mme [Y] aux fins de voir juger nulle, pour vice du consentement, l'adoption de cette dernière, consentie, le 19 septembre 1961, par [W] [R] et, à titre subsidiaire, que soit reconnue son inaptitude à venir à la succession de ce dernier.
2. Par jugement du 30 juillet 2008, dont M. [F] a interjeté appel par requête enregistrée le 4 novembre 2008, un tribunal de première instance a débouté M. [F] de ses demandes.
3. [Y] étant décédée le 6 janvier 2011, ses héritiers, M. [N] [G], M. [E] [G] (les consorts [G]) et M. [L], sont intervenus à l'instance d'appel.
Sur l'application de l'article 688 du code de procédure civile
4. Le mémoire ampliatif a été transmis en vue de sa notification à M. [L] résidant aux États-Unis d'Amérique, le 10 mars 2022. Il résulte des démarches que M. [F] justifie avoir accomplies depuis lors auprès des autorités étrangères chargées de cette notification, que ce mémoire n'a pas pu être remis à son destinataire.
5. Un délai de six mois s'étant écoulé depuis la transmission du mémoire ampliatif, il y a lieu de statuer sur le pourvoi.
Recevabilité du pourvoi contestée par la défense
6. Les consorts [G] soutiennent que le pourvoi est irrecevable, en application du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui, en faisant valoir que M. [F] s'est désisté de son appel, par conclusions reçues le 10 mars 2021, sans formuler aucune réserve quant aux conséquences de ce désistement ni conclure sur leurs demandes reconventionnelles tendant à la nullité du testament du 19 décembre 1961 et à sa condamnation au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive.
7. Cependant, la cour d'appel ayant retenu qu'il ne pouvait, au regard des demandes incidentes des intimés, être donné acte à M. [F] de son désistement d'appel, ce dernier est recevable à former un pourvoi contre l'arrêt attaqué.
8. Le pourvoi est, dès lors, recevable.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
9. M. [F] fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes tendant à voir juger irrecevable la demande de nullité par voie d'exception du testament de [W] [R] du 19 décembre 1961 et en conséquence de prononcer la nullité du testament établi par Maître [I] le 19 décembre 1961 et enregistré le 16 mars 1962 en ce qu'il avait institué [U] [F] légataire universel de [W] [R], alors :
« 1°/ que M. [F] avait fait valoir (conclusions d'appel, p. 10) que la demande des consorts [G] en nullité du testament du 19 décembre 1961 était irrecevable en raison de l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt irrévocable du tribunal supérieur d'appel de Papeete du 10 septembre 1964 qui, rendu entre les mêmes parties, avait rejeté la demande d'annulation du testament du 19 décembre 1961 ; qu'en s'abstenant, purement et simplement, de répondre à ces conclusions, la cour d'appel a violé l'article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
2°/ que M. [F] avait encore fait valoir (conclusions d'appel, p. 11) que la demande des consorts [G] en nullité du testament du 19 décembre 1961 était irrecevable en raison de l'exécution intégrale du testament du 19 décembre 1961 et avait produit, notamment, un protocole d'accord démontrant l'exécution du testament ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, la cour d'appel a violé l'article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
3°/ que M. [F] avait fait valoir (conclusions d'appel, p. 11) que la demande des consorts [G] en nullité du testament du 19 décembre 1961 était irrecevable comme prescrite dans la mesure où elle avait été exercée en 1963 et avait donné lieu à l'arrêt du 10 septembre 1964 ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, la cour d'appel a violé l'article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française :
10. Aux termes de ce texte, les jugements contiennent les noms des juges et éventuellement du représentant du ministère public, des avocats, les noms, professions et domiciles des parties, l'objet de la demande, l'exposition des moyens, les motifs et le dispositif.
11. Pour prononcer la nullité du testament établi le 19 décembre 1961, l'arrêt retient qu'à cette date, l'état mental de [W] [R] justifiait la requête en interdiction du ministère public, et en déduit que le testament de [W] [R] n'est pas valide en ce qui concerne les stipulations faites au profit de l'appelant.
12. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. [F] du 15 septembre 2020 aux termes desquelles celui-ci lui demandait de déclarer irrecevable la demande en nullité par voie d'exception du testament et, en toute hypothèse, de la déclarer prescrite, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
13. M. [F] fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement et de le condamner à payer à M. [N] [G], M. [E] [G] et M. [L] la somme de 5 000 000 francs CFP à titre de dommages et intérêts, alors « que l'exercice du droit d'agir n'est fautif que s'il dégénère en abus ; qu'en jugeant qu'il convenait de condamner M. [F] au paiement d'une somme de 5 000 000 francs pacifiques, d'une part, car il aurait multiplié les procédures sans préciser lesquelles ni si elles avaient été couronnées de succès ou bien rejetées et si elles étaient nécessaires à la défense de ses droits de légataire universel, d'autre part, en considération de sa demande de désistement, laquelle avait été réalisée uniquement pour tenir compte de l'arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 2018 rendant irrévocable l'adoption posthume de Mme [Y], la cour d'appel n'a pas caractérisé l'exercice du droit d'agir en justice ayant dégénéré en abus et a méconnu l'article 351 du code de procédure civile de la Polynésie française et l'article 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
14. L'exercice d'une action en justice peut dégénérer en un abus du droit d'ester en justice, qui suppose la démonstration d'une faute.
15. Pour condamner M. [F] au paiement de dommages et intérêts, l'arrêt retient que compte tenu de la multiplicité des procédures introduites par celui-ci contre les intimés, de la demande de désistement d'instance formulée par l'appelant, alors qu'il avait formé appel le 4 novembre 2008, la présente procédure a dégénéré en abus d'ester en justice.
16. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser des circonstances particulières faisant dégénérer en abus le droit d'agir, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Et sur le sixième moyen
Enoncé du moyen
17. M. [F] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement qui avait jugé irrecevable sa demande tendant à l'annulation pour vice de consentement de l'adoption de [Y], alors « que le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ; qu'en confirmant le jugement qui avait jugé irrecevable la demande de M. [F] d'annulation pour vice de consentement de l'adoption de [Y] [R], tandis que M. [F] avait abandonné en appel cette demande, la cour d'appel a statué ultra petita et a ainsi violé le principe susvisé ainsi que l'article 3 alinéa 3 du code de procédure civile de la Polynésie française. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
18. Les consorts [G] contestent la recevabilité du moyen en faisant valoir que M. [F] ayant acquiescé au jugement entrepris, celui-ci est sans intérêt à critiquer l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement disant irrecevable sa demande tendant à l'annulation pour vice de consentement de l'adoption de [Y].
19. Cependant, la cour d'appel ayant rejeté la demande de M. [F] aux fins de constatation d'un désistement d'appel, ce dernier justifie d'un intérêt à agir.
20. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 3, alinéa 3, du code de procédure civile de la Polynésie française :
21. Aux termes de ce texte, le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé.
22. L'arrêt confirme le jugement en ce qu'il a dit irrecevable la demande de M. [F] tendant à l'annulation de l'adoption de [Y].
23. En statuant ainsi, alors que M. [F] avait demandé, dans ses conclusions du 15 septembre 2020, qu'il lui soit donné acte de ce qu'il renonçait à la demande en nullité de l'adoption, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il dit irrecevable la demande de M. [F] tendant à l'annulation pour vice du consentement de l'adoption de [Y], infirme le jugement en ce qu'il a dit que M. [F] n'a pas commis un abus du droit d'ester en justice, statuant à nouveau, condamne M. [F] à payer à M. [N] [G], M. [E] [G] et M. [L] la somme de 5 000 000 francs CFP à titre de dommages et intérêts, y ajoutant, prononce la nullité du testament, établi par Maître [I] le 19 décembre 1961 et enregistré le 16 mars 1962, en ce qu'il a institué [U] [F] légataire universel de [W] [R] et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 406 du code de procédure civile de la Polynésie française, l'arrêt rendu le 23 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Papeete autrement composée ;
Condamne M. [N] [G] et M. [E] [G] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [N] [G] et M. [E] [G] et les condamne à payer à M. [F] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en l'audience publique du trois octobre deux mille vingt-quatre et signé par Mme [N], greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.