LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 3 octobre 2024
Rejet
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 861 F-B
Pourvoi n° H 22-10.329
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 OCTOBRE 2024
1°/ M. [I] [R], domicilié [Adresse 3],
2°/ M. [M] [D], domicilié [Adresse 4],
3°/ la société Knight & [R] Management, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
4°/ la société GS BD, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
ont formé le pourvoi n° H 22-10.329 contre l'arrêt rendu le 28 septembre 2021 par la cour d'appel de Versailles (13e chambre), dans le litige les opposant :
1°/ à la société IT&M, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société Inforama Limited, société de droit anglais, dont le siège est [Adresse 5] (Royaume-Uni),
3°/ à Mme [G] [K], domiciliée [Adresse 6],
4°/ à la société Inforama Limited, société de droit anglais, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Professional Service (PS) Consulting,
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vendryes, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [R], M. [D], la société Knight & [R] Management et la société GS BD, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Inforama Limited et de la société Inforama Limited venant aux droits de la société PS Consulting, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société IT&M, et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 juillet 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Vendryes, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 28 septembre 2021), la société IT&M a pris le contrôle de la société Professional Service Consulting (la société PSC) en faisant l'acquisition auprès de MM. [R] et [D], le 29 avril 2013, de 65 % du capital de cette société.
2. Le même jour, les parties ont conclu un pacte d'actionnaires, aux termes duquel MM. [R] et [D] ont accepté de céder le solde de leurs actions en cas de rupture de leur lien d'affaires avec la société IT&M.
3. Les parties ont aussi conclu deux contrats de prestations de services lesquels contenaient une possibilité de substitution au profit de la société Knight & [R] Management (la société KPM), dirigée par M. [R], et de la société GS Business Développement (la société GS BD), dirigée par M. [D], ces derniers se voyant confier la direction opérationnelle de la société PSC.
4. Le 11 octobre 2013, la société PSC a notifié à MM. [R] et [D] la résiliation des contrats de prestations de services pour faute grave et par lettre recommandée du 25 novembre 2013, la société IT&M a levé l'option d'achat sur le solde des actions de la société PSC encore détenues par MM. [R] et [D].
5. Le 29 décembre 2014, la société IT&M a cédé à la société de droit anglais Inforama Limited (la société Inforama) l'intégralité des actions de la société PSC, cette dernière étant ensuite absorbée par une transmission universelle de patrimoine. À la suite de sa dissolution, la société PSC a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 18 juin 2015.
6. Par jugement du 25 avril 2017, le tribunal de commerce de Nanterre a notamment dit que la société Inforama, venant aux droits de la société PSC, s'était rendue coupable de rupture abusive des deux conventions de prestations de services et des deux délégations de pouvoir consenties le 29 avril 2013.
7. Par jugement du 22 mai 2018, ce même tribunal a annulé la transmission universelle de patrimoine ainsi que plusieurs opérations préalablement intervenues, parmi lesquelles la cession du solde du capital de la société PSC détenu par MM. [R] et [D] et ordonné la remise en état antérieur, sous astreinte, à la société Inforama.
8. La société Inforama a relevé appel de ce jugement.
9. Sur la tierce opposition de la société IT&M et par jugement du 12 février 2020, le tribunal de commerce de Nanterre a notamment rétracté les dispositions du jugement du 22 mai 2018 relatives à la cession des actions et statuant à nouveau, a notamment annulé les actes unilatéraux établis par les sociétés IT&M et/ou PSC, portant ou constatant cession des actions de la société PSC, propriété de MM. [R] et [D].
10. Les sociétés IT&M et Inforama ont relevé appel de ce jugement.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
11. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
12. MM. [R], [D] et les sociétés KPM et GS BD font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs demandes en annulation de la cession au profit de la société IT&M de leurs actions de la société PS Consulting et en paiement de dommages et intérêts au titre du préjudice en résultant, alors « que le juge ne peut faire droit à une fin de non-recevoir tirée de la prescription sans examiner même d'office si les assignations versées aux débats n'ont pas interrompu le délai de prescription dès lors que la décision risque de porter atteinte au droit d'accès du demandeur au tribunal ; qu'en l'espèce, pour déclarer irrecevable l'action de MM. [R] et [D] en annulation de la cession à la société IT&M de leurs actions de la société PS Consulting et en paiement de dommages-intérêts au titre du préjudice allégué en résultant, la cour d'appel a estimé que les écrits et assignations invoqués par les intimés n'étaient pas des actes interruptifs de prescription ; qu'en statuant ainsi sans examiner si les assignations des 28 juillet et 18 septembre 2017 introduites par M. [R] et M. [D] à l'encontre notamment de la société IT&M aux fins notamment que la décision de transfert de leurs actions de la société PS Consulting à la société IT&M prise le 11 octobre 2013 soit jugée fautive et nulle n'était pas interruptive du délai de prescription de cinq ans de l'action en nullité de ladite cession, dont elle avait fixé le point de départ au 11 septembre 2014, alors même que la société IT&M les avait produites et invoquées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 6, § 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 122 du code de procédure civile, 2224 et 2241 du code civil. »
Réponse de la Cour
13. Au regard du droit d'accès à un tribunal, composante de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la Cour européenne des droits de l'homme juge qu'un tel droit n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l'État, lequel jouit à cet égard d'une certaine marge d'appréciation ([X] [W] c. Espagne, n° 38695/97, § 36, CEDH 2000-II). Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l'accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s'en trouve atteint dans sa substance même ([C] c. Bulgarie [GC], n° 36760/06, § 230, CEDH 2012). La Cour rappelle en outre que les limitations appliquées ne se concilient avec l'article 6, § 1, de la Convention que si elles poursuivent un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir, parmi d'autres, [F] [E] c. Suisse, n° 10111/06, § 37, 14 octobre 2010, Levages Prestations Services c. France, 23 octobre 1996, § 40, Recueil 1996-V, Stubbings et autres c. Royaume-Uni, 22 octobre 1996, § 50, Recueil 1996-IV, et [S] c. Belgique, n° 1062/07, § 25, 7 juillet 2009). La Cour européenne des droits de l'homme considère que parmi les restrictions légitimes au droit d'accès au juge figurent les délais légaux de péremption ou de prescription.
14. Par ailleurs, selon l'article 2241, alinéa 1er, du code civil, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription.
15. Selon l'article 6 du code de procédure civile, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à fonder leurs prétentions.
16. Aux termes de l'article 7 du même code, le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat.
Parmi les éléments du débat, le juge peut prendre en considération même les faits que les parties n'auraient pas spécialement invoqués au soutien de leurs prétentions.
17. Il en résulte que le juge n'est pas tenu d'examiner d'office des actes qui n'ont pas été spécifiquement invoqués par les parties en vue d'un rejet d'une fin de non-recevoir tirée de la prescription.
18. C'est, dès lors, sans méconnaître l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que la cour d'appel, ayant relevé que les reconnaissances et actes antérieurs au 11 septembre 2014, les actes des 1er, 2 et 3 août 2018, et les écrits et l'assignation du 9 avril 2015 ne constituaient pas des actes interruptifs de prescription de l'action en nullité de la cession des actions intervenue le 25 novembre 2013, en a déduit à bon droit que les demandes de ce chef étaient prescrites.
19. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Condamne MM. [R], [D] et les sociétés Knight & [R] Management et GS BD aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par MM. [R], [D] et les sociétés Knight & [R] Management et GS BD et les condamne à payer à la société IT&M la somme globale de 3 000 euros et les condamne in solidum à payer à la société Inforama Limited, venant aux droits de la société PS Consulting la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en l'audience publique du trois octobre deux mille vingt-quatre et signé par Mme Thomas, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.