La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/10/2024 | FRANCE | N°C2401173

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 02 octobre 2024, C2401173


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° E 23-80.159 F-D


N° 01173




SL2
2 OCTOBRE 2024




REJET




M. BONNAL président,












R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 2 OCTOBRE 2024






Mme [Z] [N] a formé un pourv

oi contre l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes, chambre correctionnelle, en date du 15 décembre 2022, qui, pour, notamment, usage de faux et escroquerie, l'a condamnée à six mois d'emprisonnement avec sursis probatoire, 2 ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° E 23-80.159 F-D

N° 01173

SL2
2 OCTOBRE 2024

REJET

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 2 OCTOBRE 2024

Mme [Z] [N] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes, chambre correctionnelle, en date du 15 décembre 2022, qui, pour, notamment, usage de faux et escroquerie, l'a condamnée à six mois d'emprisonnement avec sursis probatoire, 2 500 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Wyon, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de Mme [Z] [N], les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [V] [W], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 septembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Wyon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Mme [Z] [N] était gérante de la société civile immobilière [3], propriétaire de locaux commerciaux à [Localité 1] (34). Elle était par ailleurs associée avec son époux dans la société CG, qui exploitait dans ces locaux un fonds de commerce de restauration.

3. Ce fonds de commerce a été cédé en novembre 2003 à la société [4], laquelle a été placée en redressement judiciaire par jugement du 9 janvier 2006, puis en liquidation judiciaire par jugement du 17 février suivant.

4. Le 4 mai 2006, le mandataire judiciaire de la société [4] a adressé un courrier à la société [3] pour l'informer qu'il n'entendait pas poursuivre le bail commercial liant les deux sociétés, et demander l'accès au local au bénéfice du commissaire-priseur, afin de procéder à la vente par voie d'enchères publiques du matériel mobilier appartenant à la société [4].

5. Le 5 mai 2006, la société [3] a signé avec Mme [W] un acte de vente du droit au bail sous condition suspensive d'obtention d'un prêt bancaire, moyennant un loyer annuel de 14 635 euros, l'acte précisant que les éléments incorporels s'élevaient à 18 500 euros et les éléments corporels à 15 000 euros.

6. Le 1er juin 2006, Mme [W] est entrée dans les lieux, et a signé le 28 juin 2006 un bail commercial avec Mme [N] en sa qualité de gérante de la société [3].

7. Le 1er août 2006 et le 14 novembre 2006, la société [3] a fait délivrer à Mme [W] deux commandements de payer le loyer sur la base d'un bail mentionnant un loyer annuel de 24 036 euros.

8. Au vu de la différence entre le montant du loyer mentionné dans les exemplaires du bail commercial signés avec la société [3] qu'elle détenait et ceux qui avaient été enregistrés et produits par Mme [N], Mme [W] a porté plainte le 8 septembre 2006 et s'est constituée partie civile devant le juge d'instruction des chefs de faux et usage.

9. Elle a porté de nouveau plainte le 7 avril 2008 et s'est constituée partie civile du chef notamment de tentative d'escroquerie, s'agissant des biens corporels qui lui avaient été cédés par la société [3] alors qu'ils étaient indisponibles en raison de la procédure de liquidation judiciaire.

10. Les deux informations judiciaires ont été jointes, et par ordonnance du 2 août 2016, le juge d'instruction a prononcé un non-lieu, dont la partie civile a fait appel.

11. Par arrêt du 15 septembre 2017, la chambre de l'instruction a renvoyé Mme [N] devant le tribunal correctionnel pour avoir, notamment, fait usage courant 2006 du bail commercial du 28 juin 2006 dont elle connaissait la fausseté, et, en adressant un courrier le 28 février 2006 à la [2] et en signant le 5 mai 2006 l'acte de vente de droit au bail aux termes desquels elle déclarait vendre du matériel à Mme [W], alors qu'elle avait connaissance de l'impossibilité pour elle de le faire, trompé cette dernière pour la déterminer à lui remettre les sommes et à signer le bail commercial définitif.

12. Par jugement du 15 avril 2021, le tribunal correctionnel a déclaré Mme [N] coupable notamment de ces deux délits, et l'a condamnée à six mois d'emprisonnement avec sursis probatoire et 2 500 euros d'amende. Le tribunal a par ailleurs prononcé sur l'action civile.

13. Mme [N] et le procureur de la République ont fait appel de ce jugement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Énoncé du moyen

14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mme [N] coupable d'escroquerie et, en cet état, a prononcé sur la peine et sur les intérêts civils, alors « que le seul fait de se dire faussement propriétaire d'un bien ne constitue pas une prise de fausse qualité au sens de l'article 313-1 du code pénal ; qu'en outre, un mensonge, même produit par écrit, ne peut pas constituer une manoeuvre frauduleuse susceptible de caractériser le délit d'escroquerie, s'il ne s'y joint aucun fait extérieur ou acte matériel, aucune mise en scène ou intervention d'un tiers, destinés à donner force et crédit à l'allégation mensongère ; que la cour d'appel, pour déclarer Mme [N] coupable d'escroquerie, a relevé que la prévenue, tout en sachant que la SCI [3] ne pouvait pas disposer du matériel qui appartenait à son ancienne locataire et que cette dernière avait laissé dans ses locaux, avait, en qualité de représentante légale de la SCI [3], « rédigé, le 28 février 2006, un courrier adressé à la [2] indiquant qu'elle avait proposé de vendre à [V] [W] le fonds de commerce pour la somme de 33 500 euros ventilée comme suit 18 500 euros pour les éléments incorporels et 15 000 euros pour les éléments corporels, la liste du matériel y étant annexée, et que le 5 mai 2006, après avoir été informée par maître [S] le 4 mai 2006 de laisser le libre accès des lieux à l'huissier aux fins d'inventaire du matériel, elle signait au profit de [V] [W] un acte de vente d'un droit au bail sous condition suspensive d'obtention d'un prêt bancaire, précisant que les éléments incorporels s'élevaient à 18 500 euros et les éléments corporels à 15 000 euros » (arrêt attaqué, p. 11, dernier §, p. 12, in limine) ; que la cour d'appel a encore relevé que Mme [N] n'avait « jamais informé [V] [W] de l'indisponibilité du matériel lui laissant croire par le courrier rédigé le 28 février 2006 adressé à la banque et la vente du droit au bail signé le 5 mai 2006, qu'elle allait l'acquérir pour un prix de 15 000 euros » (arrêt attaqué, p. 13, § 2) ; qu'il ressort uniquement de ces motifs que Mme [N] avait laissé croire de manière inexacte à Mme [W] que la société qu'elle dirigeait était propriétaire, et pouvait disposer, du matériel laissé dans ses locaux ; qu'en statuant par de tels motifs, sans constater aucun fait extérieur ou acte matériel, ni aucune mise en scène ou intervention d'un tiers, destinés à donner force et crédit à l'allégation mensongère, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'emploi d'un moyen frauduleux susceptible de relever de la qualification pénale d'escroquerie, n'a pas justifié sa décision ; qu'elle a ainsi méconnu les articles 313-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

15. Pour confirmer le jugement ayant déclaré Mme [N] coupable d'escroquerie, l'arrêt attaqué énonce que la prévenue, en dépit de la connaissance qu'elle avait de la situation juridique du matériel et de son indisponibilité, a rédigé le 28 février 2006 un courrier adressé à la [2] indiquant qu'elle avait proposé de vendre à Mme [W] le fonds de commerce pour la somme de 33 500 euros, soit 18 500 euros pour les éléments incorporels et 15 000 euros pour les éléments corporels, en y annexant la liste du matériel, et que le 5 mai 2006, bien qu'ayant été informée la veille par le mandataire judiciaire de ce qu'elle devait laisser le libre accès des lieux à l'huissier de justice aux fins d'inventaire du matériel, elle a signé au profit de Mme [W] l'acte de vente d'un droit au bail valorisant les éléments corporels à 15 000 euros.

16. Les juges ajoutent que Mme [N] n'a jamais informé Mme [W] de l'indisponibilité du matériel, lui laissant croire, par le courrier rédigé le 28 février 2006 adressé à la banque et la vente du droit au bail signée le 5 mai 2006, qu'elle allait l'acquérir pour un prix de 15 000 euros, l'incitant ainsi à signer le bail commercial le 28 juin 2006, et à verser la somme de 33 500 euros prévue dans l'acte.

17. Ils en déduisent qu'en occultant volontairement l'indication du véritable propriétaire du matériel, Mme [N] s'est livrée à une manoeuvre frauduleuse qui a conduit Mme [W] à signer le bail commercial définitif le 28 juin 2006.

18. En l'état de ces énonciations, dont il ressort, d'une part, que la prévenue, par son courrier adressé à la banque de la victime, a commis un acte extérieur faisant intervenir un tiers destiné à donner force et crédit à son allégation mensongère, d'autre part, qu'elle a produit un écrit destiné à conforter la véracité dudit mensonge, en l'espèce l'acte de vente du droit au bail à Mme [W], la cour d'appel, qui a caractérisé des manoeuvres frauduleuses, a justifié sa décision.

19. D'où il suit que le moyen doit être écarté.

Et sur le second moyen

Énoncé du moyen

20. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mme [N] coupable d'usage de faux et, en cet état, a prononcé sur la peine et sur les intérêts civils, alors :

« 1°/ qu'en matière de faux et d'usage de faux, l'intention coupable de l'agent résulte de sa conscience de l'altération de la vérité dans un document susceptible d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques ; que la cour d'appel, retenant que « le bail du 28 juin 2006 a[vait] été falsifié », a souligné que « l'instruction et les expertises graphologiques [n'avaient] pas permis d'en attribuer la falsification de façon formelle à [Z] [N] » (arrêt attaqué, p. 13, dernier §) ; qu'elle a cependant énoncé, pour déclarer la prévenue coupable d'usage de faux, que « compte tenu du contexte et du comportement de [Z] [N], on ne p[ouvait] que relever qu'elle était la seule à avoir intérêt à faire usage de ce document dont l'authenticité a[vait] été remise en question dès le début par [V] [W] », qu'« ainsi, sans chercher à savoir si une erreur ou une incompréhension avait pu être commise, elle faisait usage du bail litigieux dès le 1er août 2006 pour réclamer le solde des loyers et le dépôt de garantie en exécution du bail contesté » (ibid.) ; qu'en statuant par ces motifs, dont il ne résulte pas que la prévenue avait, dès 2006, fait usage du bail en ayant conscience de sa falsification, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision, en méconnaissance des articles 441-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que les juges ne peuvent statuer que sur les faits dont ils sont saisis, à moins que le prévenu n'accepte expressément d'être jugé sur des faits distincts de ceux visés à la prévention ; qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué (p. 8, dernier §, p. 9, in limine) et des pièces de la procédure que, s'agissant des faits d'usage de faux reprochés à Mme [N], la prévention, résultant de l'arrêt de renvoi rendu le 15 septembre 2017 par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nîmes, visait uniquement l'usage fait courant 2006 du bail commercial signé le 28 juin 2006 ; que la cour d'appel, pour déclarer Mme [N] coupable d'usage de faux, n'a pas seulement retenu des faits d'usage du bail intervenus en 2006, mais a aussi relevé d'autres faits d'usage postérieurs à la notification, le 30 avril 2008, des conclusions de l'expertise graphologique ; qu'elle a ainsi énoncé que la prévenue avait « été informée dès le 30 avril 2008 des conclusions de l'expertise graphologique établissant que les paraphes apposés en pages 5 et 6 du bail commercial du 28 juin 2006 n'étaient pas de la main de [V] [W] », qu'« elle ne pouvait ignorer qu'en faisant usage de ce document ainsi falsifié, quel qu'en soit l'auteur, elle pouvait causer un préjudice », que « par ailleurs, il résult[ait] des éléments de la procédure que le tribunal de grande instance de Nîmes, saisi par [V] [W], a[vait] annulé par jugement du 12 novembre 2008 le bail commercial du 28 juin 2006, ce qui ne l'a[vait] pas empêchée de poursuivre le paiement des loyers et des taxes foncières sur la base de ce contrat annulé » (arrêt attaqué, p. 13, dernier §, p. 14, in limine) ; qu'en retenant ainsi à l'encontre de la prévenue, en plus des faits commis en 2006 qui étaient seuls visés à la prévention, d'autres faits d'usage de faux commis après le 30 avril 2008, sans constater que la prévenue avait expressément accepté d'être jugée sur ces faits distincts, la cour d'appel a excédé sa saisine et violé l'article 388 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

21. Pour déclarer Mme [N] coupable d'usage de faux, l'arrêt attaqué énonce que les expertises graphologiques ont établi que les deux paraphes figurant en pages 5 et 6 du bail commercial du 28 juin 2006 ne sont pas de la main de Mme [W], que les investigations ont démontré qu'un seul exemplaire du bail était conservé au service des impôts, que celui dont Mme [W] est en possession, et qu'elle dit avoir reçu dans sa boîte aux lettres par dépôt de la part de la prévenue, n'est pas identique à celui déposé au service des impôts et que, si l'instruction et les expertises graphologiques n'ont pas permis d'en attribuer la falsification de façon formelle à Mme [N], elles ont conduit à en écarter l'attribution à Mme [W], indiquant que les paraphes et les mentions litigieuses ne pouvaient lui être imputées.

22. Les juges ajoutent que compte tenu du contexte et du comportement de Mme [N], cette dernière était la seule personne à avoir intérêt à faire usage de ce document dont l'authenticité a été remise en question dès le début par Mme [W] et que, sans chercher à savoir si une erreur ou une incompréhension avait pu être commise, elle a fait usage du bail litigieux dès le 1er août 2006 pour réclamer le solde des loyers et le dépôt de garantie en exécution du bail contesté.

23. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les reproches formulés au moyen.

24. En effet, d'une part, elle a caractérisé l'intention frauduleuse de la prévenue, d'autre part, ayant confirmé le jugement n'ayant condamné la prévenue que pour des faits d'usage de faux commis en 2006, elle n'a pas excédé les limites de la prévention, les motifs, par lesquels elle relève que Mme [N] a été informée dès le 30 avril 2008 des conclusions de l'expertise graphologique établissant que certains paraphes du bail commercial du 28 juin 2006 n'étaient pas de la main de Mme [W], et que le tribunal de grande instance a annulé ledit bail commercial par jugement du 12 novembre 2008, étant ainsi surabondants

25. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.

26. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme que Mme [N] devra payer à Mme [W] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du deux octobre deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2401173
Date de la décision : 02/10/2024
Sens de l'arrêt : Rejet

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Nimes, 15 décembre 2022


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 02 oct. 2024, pourvoi n°C2401173


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 08/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:C2401173
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award