LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 septembre 2024
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 900 F-D
Pourvoi n° Y 23-12.441
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 SEPTEMBRE 2024
M. [T] [O], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 23-12.441 contre l'arrêt rendu le 16 novembre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 9), dans le litige l'opposant à la société Pizzeria Pergola, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Deltort, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [O], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Pizzeria Pergola, et après débats en l'audience publique du 3 juillet 2024 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Deltort, conseiller rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 novembre 2022), M. [O] a été engagé en qualité de commis de salle puis de serveur par la société Pizzeria Pergola à compter du 22 août 2007.
2. Le 17 juin 2019, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes en résiliation judiciaire du contrat de travail et au titre de l'exécution et de la rupture de ce contrat.
3. Le 31 décembre 2019, le salarié a été licencié.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes subsidiaires en contestation du licenciement pour motif économique et en paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et subsidiairement pour violation de l'ordre des licenciements, alors « que le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe du contradictoire; qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; que la cour d'appel a en l'espèce relevé d'office le moyen pris de l'irrecevabilité des demandes subsidiaires du salarié relatives à son licenciement économique prononcé postérieurement au jugement entrepris, faute de faire l'objet d'un chef de dispositif du jugement mentionné dans l'acte d'appel; qu'en statuant ainsi sans inviter les parties à faire valoir leurs observations sur la recevabilité des demandes du salarié relatives à son licenciement, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 16 du code de procédure civile :
5. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
6. Pour déclarer irrecevables les demandes subsidiaires en contestation du licenciement pour motif économique et en paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et plus subsidiairement pour violation de l'ordre des licenciements, l'arrêt, après avoir visé les articles 901-4 °et 562 du code de procédure civile et précisé qu'il en résulte que seul l'acte d'appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement et qu'il fixe l'étendue de la saisine de la cour, retient qu'en l'espèce, la déclaration d'appel porte sur l'infirmation du jugement en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et de ses demandes financières subséquentes.
7. La cour d'appel en a conclu qu'elle n'était pas saisie des demandes subsidiaires relatives au licenciement économique prononcé postérieurement au jugement.
8. En statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen relevé d'office, la cour d'appel a violé le principe susvisé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
9. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes en paiement d'heures supplémentaires, d'indemnité au titre du repos compensateur, d'indemnité pour travail dissimulé, de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et en conséquence de sa demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « qu' il résulte des dispositions des articles L. 3171-2 et L. 3171-4 du code du travail qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments et que le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt qu'au soutien de sa demande d'heures supplémentaires, M. [O] faisait valoir qu'il accomplissait au minimum 61 heures de travail par semaine, soit 22 heures supplémentaires par semaine non rémunérées et sollicitait la somme de 23 102, 37 euros pour la période de juin 2016 à décembre 2019 ; que dans ses conclusions d'appel, il précisait travailler de 12 heures à 1 heure du matin, soit 13 heures, 3 fois par semaine, sans coupure et de 12 heures à 23 heures, soit 11 heures, 2 fois par semaine, sans coupure, et détaillait le calcul des sommes qu'il réclamait correspondant à la seule majoration des heures supplémentaires effectuées, conformément aux dispositions de l'article 5-2 de l'avenant n° 2 du 5 février 2007 relatif à l'aménagement du temps de travail de la convention collective des hôtels cafés restaurants, applicable aux salariés rémunérés au pourcentage service ; qu'en déboutant le salarié de sa demande d'heures supplémentaires aux motifs qu'il ne produisait aux débats que des tickets de caisse ne précisant pas les horaires effectués par lui, lorsque d'une part, le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, d'autre part, ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel qui a fait peser la charge de la preuve exclusivement sur le salarié, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail. »
Réponse de la cour
Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :
10. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, l'employeur tient à la disposition des membres compétents de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
11. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
12. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
13. Pour rejeter la demande en paiement au titre des heures supplémentaires, l'arrêt retient que le salarié affirme qu'il effectuait au minimum soixante-et-une heures de travail par semaine dont vingt-deux heures supplémentaires, qu'il produit aux débats des plannings de rang de salle non datés qui ne comportent aucune mention sur des horaires et des tickets de caisse qui n'apportent aucun élément précis sur les horaires effectués par le salarié et que celui-ci ne présente à l'appui de sa demande aucun élément précis permettant à l'employeur d'y répondre utilement.
14. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
15. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et en conséquence de sa demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail et en paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'employeur ; qu'en l'espèce M. [O] faisait valoir que son employeur avait manqué à son obligation de sécurité en ne respectant pas ses obligations en matière de durée à la fois journalière et hebdomadaire du temps de travail ; qu'en le déboutant de sa demande de dommages et intérêts de ce chef après avoir constaté qu'aucun élément n'était produit par le salarié au soutien de son allégation, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation de l'article 1353 du code civil. »
Réponse de la cour
Vu l'article 1353 du code civil :
16. Selon ce texte, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
17. Il en résulte que la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'employeur.
18. Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité fondée sur le non-respect de la durée maximale quotidienne et hebdomadaire de travail, l'arrêt retient qu'il n'est pas démontré et qu'il ne résulte pas des montants alloués au titre des heures supplémentaires que le contingent annuel de trois cent soixante heures a été dépassé de 2016 à 2019 de sorte qu'aucun manquement relatif au repos n'est imputable à l'employeur.
19. L'arrêt relève également qu'aucun élément n'est produit par le salarié au soutien de son allégation.
20. En statuant ainsi, alors que le salarié invoquait le manquement de l'employeur à ses obligations en matière de durée maximale à la fois journalière et hebdomadaire du temps de travail, sans constater que l'employeur justifiait avoir respecté ces durées maximales prévues par le droit interne, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne M. [O] à payer à la société Pizzeria Pergola la somme de 3 467, 27 euros à titre de remboursement de charges sociales, l'arrêt rendu le 16 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Pizzeria Pergola aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Pizzeria Pergola et la condamne à payer à M. [O], la somme de 1 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit septembre deux mille vingt-quatre.