LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CL6
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 septembre 2024
Cassation partielle
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 885 F-B
Pourvoi n° J 22-17.737
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [L] [A].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 14 avril 2022.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 SEPTEMBRE 2024
Mme [L] [A], domiciliée [Adresse 2], et actuellement [Adresse 3], a formé le pourvoi n° J 22-17.737 contre les arrêts rendus les 29 janvier et 24 septembre 2021 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale, prud'hommes), dans le litige l'opposant à l'Association soins et aide à domicile, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, six moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Valéry, conseiller référendaire, les observations écrites de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [A], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'Association soins et aide à domicile, après débats en l'audience publique du 2 juillet 2024 où étaient présentes Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Valéry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Salomon, conseiller, Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon les arrêts attaqués (Douai, 29 janvier 2021 et 24 septembre 2021), Mme [A] a été engagée le 7 mars 2013 en qualité d'aide soignante par l'Association soins et aide à domicile.
2. Elle a été déclarée inapte les 7 et 26 avril 2016, et licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 24 mai 2016.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième et quatrième moyens
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
4. La salariée fait grief à l'arrêt du 24 septembre 2021 de déclarer irrecevable la demande présentée pour la première fois en cause d'appel au titre du manquement par l'employeur à son obligation de sécurité, de dire que l'employeur a satisfait à son obligation de reclassement, de déclarer fondé son licenciement et de la débouter de ses demandes au titre de la rupture injustifiée de son contrat de travail, alors « que les prétentions soumises à la cour d'appel ne sont pas nouvelles lorsqu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement est différent ; qu'en l'espèce, pour déclarer irrecevable la demande de la salariée tendant à ce qu'il soit jugé que l'employeur n'a pas rempli son obligation de sécurité à son égard et qu'elle a commis des fautes, la cour d'appel a retenu qu'il s'agissait d'une demande nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile, qui n'entrait pas dans les champs des exceptions énoncées à l'article 565 du même code ; qu'en statuant ainsi quand la salariée demandait à la cour d'appel de constater que l'employeur avait manqué à son obligation de sécurité uniquement pour en déduire que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse, prétention qu'elle avait déjà formée en première instance, de sorte qu'il s'agissait d'une demande qui tendait aux mêmes fins que celle soumise au conseil de prud'hommes, la cour d'appel a violé les articles 564 et 565 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 565 du code de procédure civile :
5. Aux termes de ce texte, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
6. Pour déclarer irrecevable la demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse présentée par la salariée pour la première fois en cause d'appel au titre du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, l'arrêt retient qu'il s'agit d'une demande nouvelle qui n'entre pas dans les prévisions de l'article 565 du code de procédure civile.
7. En statuant ainsi, alors que la demande de dommages-intérêts formée devant la cour d'appel par la salariée aux fins d'indemnisation des conséquences de son licenciement en raison d'une inaptitude pour manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur tendait aux mêmes fins que celle, soumise aux premiers juges, qui visait à obtenir l'indemnisation de la rupture du contrat de travail par l'employeur pour manquement à l'obligation de reclassement, de sorte que la demande était recevable, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le sixième moyen
Enoncé du moyen
8. La salariée fait grief à l'arrêt du 24 septembre 2021 de la débouter de sa demande de rappel d'indemnité spéciale de licenciement, alors « que lorsque l'employeur est dans l'impossibilité de reclasser un salarié déclaré définitivement inapte à son poste de travail, le salarié a droit à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité légale de licenciement, lorsque l'inaptitude est d'origine professionnelle ; qu'en l'espèce, pour retenir que l'inaptitude de la salariée ayant conduit à son licenciement compte-tenu de l'absence de solution de reclassement n'était pas d'origine professionnelle et en déduire que la salariée ne pouvait pas se prévaloir des dispositions de l'article L. 1226-14 du code du travail, la cour d'appel a retenu que l'inaptitude est consécutive à un arrêt maladie de droit commun, que son origine professionnelle n'a pas été retenue et que la salariée n'a pas davantage demandé en justice que le caractère professionnel de sa maladie soit reconnu ; qu'en statuant par de tels motifs impropres à écarter l'origine professionnelle de l'inaptitude de la salariée puisqu'elle se devait de rechercher par elle-même, indépendamment de la position de la caisse d'assurance maladie, si l'inaptitude de la salariée n'avait pas pour origine, au moins partiellement, l'accident du travail dont la salariée avait été victime le 4 novembre 2015 qui avait été pris en charge par la CPAM au titre des risques professionnels et qui avait justifié des arrêts pour accident du travail jusqu'au 14 février 2016, l'inaptitude définitive de la salariée ayant été constatée par le médecin du travail les 7 et 26 avril 2016, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1226-14 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1226-10 et L. 1226-14 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
9. Il résulte de ces textes que les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement.
10. Pour débouter la salariée de sa demande au titre de l'indemnité spéciale de licenciement, l'arrêt retient que l'inaptitude est consécutive à un arrêt maladie de droit commun, que son origine professionnelle n'a pas été retenue et que la salariée n'a pas davantage demandé en justice que le caractère professionnel de sa maladie soit reconnu.
11. En se déterminant ainsi, par des motifs inopérants, sans rechercher elle-même si l'inaptitude avait au moins partiellement pour origine un accident du travail ou une maladie professionnelle et si l'employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
12. La cassation sur le troisième moyen n'emporte pas celle du chef de dispositif disant que l'employeur a satisfait à son obligation de reclassement.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
REJETTE le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 29 janvier 2021 par la cour d'appel de Douai ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable la demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au titre du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, en ce qu'il déclare le licenciement fondé et déboute Mme [A] de ses demandes au titre de la rupture injustifiée de son contrat de travail, et en ce qu'il déboute Mme [A] de sa demande d'indemnité spéciale de licenciement, l'arrêt rendu le 24 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne l'Association soins et aide à domicile aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'Association soins et aide à domicile et la condamne à payer à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit septembre deux mille vingt-quatre.