LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 septembre 2024
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 462 F-D
Pourvoi n° C 23-12.192
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 18 SEPTEMBRE 2024
M. [N] [T], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 23-12.192 contre l'arrêt rendu le 8 novembre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 16), dans le litige l'opposant à la société Taxicop, société coopérative ouvrière de production à forme anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Ancel, conseiller, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de M. [T], de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la société Taxicop, après débats en l'audience publique du 18 juin 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Ancel, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 novembre 2022), M. [T] a acquis des parts sociales de la société coopérative ouvrière de production à forme anonyme Taxicop (la société Taxicop) et conclu avec cette société un contrat de sociétaire coopérateur pour l'exploitation d'un taxi.
2. Ayant sollicité en vain le remboursement du prix de ses parts à la suite de son départ de la société Taxicop, il a, en application de la clause d'arbitrage contenue dans les statuts, saisi un tribunal arbitral.
3. Par une sentence non datée, le tribunal arbitral a ordonné, sous astreinte, à la société Taxicop de communiquer une copie intégrale des procès-verbaux des assemblées générales des trois derniers exercices à M. [T], et débouté les parties de l'ensemble de leurs autres demandes.
4. M. [T] a formé un recours en annulation de cette sentence.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. M. [T] fait grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble de ses demandes, alors « que l'indication de la date à laquelle une sentence arbitrale a été rendue est prescrite à peine de nullité ; que, l'observation de cette prescription légale devant résulter de la sentence elle-même, l'omission de l'indication de sa date ne peut être réparée ou suppléée par des documents extrinsèques ; qu'en retenant à l'inverse, après avoir constaté que l'exemplaire de la sentence « envoyé aux parties ne porte certes pas la mention de la date à laquelle la sentence a été prononcée », qu'il résulterait « des pièces de la procédure que la prescription a été, en fait, observée car la date de l'envoi de la sentence aux parties, qui n'est pas contestée, permet de suppléer l'absence de date apposée sur la sentence », la cour d'appel a considéré que la date d'envoi d'un courriel, élément extrinsèque à la sentence, pouvait suppléer l'absence d'indication de la date par la sentence elle-même, et violé les articles 1481, 1483 et 1492 du code de procédure de civile. »
Réponse de la Cour
6. Il résulte des articles 1481 et 1483 du code de procédure de civile que l'omission de la mention de la date de la sentence peut-être supplée par celle de son envoi, dans le délai de l'arbitrage, aux parties.
7. Ayant constaté que si l'exemplaire de la sentence adressée aux parties par un message électronique envoyé le 12 juillet 2021 puis par une lettre recommandée envoyée le même jour, ne comportait pas la mention de la date à laquelle la sentence avait été prononcée, la date de l'envoi de la sentence aux parties, qui n'était pas contestée, et qui a été réalisé dans le délai prescrit aux arbitres pour statuer, permettait de suppléer l'absence de date apposée sur la sentence, la cour d'appel en a exactement déduit que l'omission critiquée n'était pas de nature à entraîner sa nullité.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
9. M. [T] fait le même grief à l'arrêt, alors « que dans le motif de leur sentence, les arbitres ont retenu que "si le tribunal arbitral est compétent pour traiter des différends relatifs aux statuts ou des contestations entre associés, entre anciens associés et associés, et entre les associés ou anciens associés et la Scop, il n'a pas compétence à entendre les différends relatifs à l'exécution du contrat de sociétaire coopérateur pour l'exploitation d'un taxi, convention autonome pour laquelle les parties ont décidé de ne reconnaître que la compétence des juridictions de droit commun" ; que c'est en se fondant sur cette restriction de compétence du tribunal arbitral que les arbitres ont rejeté la demande de M. [T] en remboursement de ses parts, relevant que "la demande doit être rejetée au motif qu'elle relève d'un différend né de l'application du contrat de sociétaire coopérateur pour l'exploitation d'un taxi", ainsi que la demande de condamnation de l'exposant en paiement des charges impayées, relevant sur ce point que "le tribunal arbitral n'ayant pas compétence pour entendre les différends découlant du contrat de sociétaire, cette demande sera rejetée" ; qu'en retenant pourtant que le moyen d'annulation pris de ce que le tribunal arbitral se serait à tort déclaré incompétent manquerait en fait car le tribunal, dans le dispositif et les motifs de la sentence, aurait rejeté les demandes, quand il résultait des termes clairs et précis de ladite sentence que le rejet des demandes avait pour cause l'incompétence retenue par le tribunal, la cour d'appel a dénaturé cette sentence, en violation de l'interdiction faite aux juges de dénaturer les documents de la cause. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
10. La sentence énonce que les relations entre les parties étaient régies par les statuts de la société Taxicop d'une part, et le contrat de sociétaire coopérateur d'autre part, et relève que si les statuts de la société prévoient une clause d'arbitrage, en revanche, le contrat comporte une clause attributive de juridiction au profit des tribunaux du siège social, de sorte que si le tribunal arbitral était compétent pour traiter des différends relatifs aux statuts ou des contestations entre associés, il n'était pas compétent pour trancher les différends relatifs à l'exécution du contrat de sociétaire coopérateur pour l'exploitation d'un taxi, convention autonome pour laquelle les parties ont décidé de ne reconnaître que la compétence des juridictions de droit commun. La sentence énonce, en outre, s'agissant de la demande de remboursement des parts sociales formée par M. [T] à l'encontre de la société Taxicop que « la procédure de sortie contestée devant le tribunal arbitral ne relève (...) pas des dispositions des statuts de la scop mais bien de l'application de l'article 12 du contrat de sociétaire coopérateur pour l'exploitation d'un taxi ».
11. Pour dire que le moyen, selon lequel les arbitres s'étaient déclarés à tort incompétents à l'égard de la demande de remboursement des parts sociales, manquait en fait, l'arrêt retient que la sentence rejette cette demande.
12. En statuant ainsi, alors qu'il résultait clairement de la sentence que les arbitres n'avaient pas rejeté la demande pour des motifs de fond, mais en retenant exclusivement leur incompétence à l'égard de prétentions qu'ils estimaient dériver non pas des statuts qui stipulaient une clause compromissoire, mais du contrat de sociétaire coopérateur qui comportait une clause attributive de juridiction, la cour d'appel a violé le principe susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation fondée sur le défaut d'indication de la date de la sentence, l'arrêt rendu le 8 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Taxicop aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit septembre deux mille vingt-quatre.