LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 septembre 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 477 FS-B
Pourvoi n° Z 22-18.602
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 SEPTEMBRE 2024
1°/ Mme [S] [U], épouse [P], domiciliée [Adresse 4],
2°/ Mme [C] [P], épouse [Z], domiciliée [Adresse 5],
ont formé le pourvoi n° Z 22-18.602 contre l'arrêt rendu le 12 mai 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-5), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [V] [L], domicilié [Adresse 6],
2°/ à M. [B] [L],
3°/ à M. [G] [L],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
4°/ à Mme [E] [J], épouse [N], domiciliée [Adresse 1],
5°/ à M. [M] [W],
6°/ à Mme [A] [O], épouse [W],
tous deux domiciliés [Adresse 3],
7°/ à M. [X] [J], domicilié [Adresse 3], pris tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'héritier de [I] [H], épouse [J],
8°/ à M. [R] [J], domicilié [Adresse 3], pris en sa qualité d'héritier de [I] [H], épouse [J],
9°/ à Mme [F] [L], domiciliée [Adresse 3], prise en sa qualité d'héritière de [I] [H], épouse [J],
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Baraké, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de Mmes [S] [P] et [C] [Z], de la SCP Spinosi, avocat de MM. [V], [B] et [G] [L] et de M. [X] [J], et l'avis de Mme Morel-Coujard, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 juin 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Baraké, conseiller référendaire rapporteur, Mme Grandjean, conseiller faisant fonction de doyen, Mme Grall, M. Bosse-Platière, Mme Pic, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, Mmes Gallet, Davoine, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, Mme Morel-Coujard, avocat général, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Désistement partiel
1. Il est donné acte à Mme [S] [P] du désistement de son pourvoi. Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 12 mai 2022), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 12 novembre 2020, pourvois n° 19-16.841 et 19-20.224), M. [J] et sa soeur, Mme [F] [L], propriétaires de parcelles enclavées, ont assigné, notamment, Mme [S] [P], propriétaire de parcelles voisines, en création d'un passage sur sa propriété, afin d'assurer la desserte de leurs fonds.
3. M. et Mme [W], propriétaires de parcelles contiguës également enclavées, MM. [V], [B] et [G] [L], donataires des terrains appartenant à leur mère, Mme [F] [L], [I] [J], mère des demandeurs, depuis décédée et aux droits de laquelle viennent, outre Mme [F] [L], MM. [X] et [R] [J], ainsi que Mme [N], sont intervenus à la procédure, en demandant à bénéficier du passage sur la propriété de Mme [S] [P] et de Mme [C] [Z], sa fille, également intervenue à l'instance.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
4. Mme [Z] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'indemnisation, alors « que la condamnation solidaire des propriétaires des fonds dominants à verser une somme en indemnisation proportionnée au préjudice occasionné au propriétaire du fonds servant par une servitude de passage n'est pas incompatible avec le principe posé par l'article 682 du code civil, selon lequel l'indemnité doit être proportionnée au dommage causé par le passage pour désenclaver les fonds dominants, dès lors qu'ils contribuent à l'entier dommage et qu'entre eux, les coauteurs ne contribuent à la dette qu'à concurrence de leur part ; qu'en l'espèce, saisie d'une demande de condamnation solidaire des propriétaires des différents fonds dominants qui seraient amenés à emprunter la servitude de passage établie sur le fonds de Mme [Z], la cour d'appel a décidé qu'elle ne pouvait fixer l'indemnité en fonction des inconvénients et désagréments occasionnés par chacun des fonds dominants ; qu'en statuant ainsi, elle a violé les articles 682, 1313, 1317 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. Selon l'article 682 du code civil, le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue, ou qu'une issue insuffisante, soit pour l'exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d'opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner.
6. Selon l'article 1309 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l'obligation qui lie plusieurs créanciers ou débiteurs se divise de plein droit entre eux. Si elle n'est pas réglée autrement par la loi ou par le contrat, la division a lieu par parts égales. Il n'en va autrement, dans les rapports entre les créanciers et les débiteurs, que si l'obligation est solidaire ou si la prestation due est indivisible.
7. Aux termes de l'article 1310 du même code, la solidarité est légale ou conventionnelle : elle ne se présume pas.
8. Il résulte de la combinaison de ces textes, d'une part, que lorsque plusieurs propriétaires de fonds enclavés bénéficient d'un passage sur un fonds voisin sur le fondement du premier de ces textes, chacun d'eux est redevable à l'égard du propriétaire de ce fonds d'une indemnité réparant les inconvénients et désagréments causés par l'exercice de son droit, chaque propriétaire bénéficiant du passage occasionnant un dommage distinct de celui causé par les autres usagers de la servitude, d'autre part, qu'en l'absence de convention ou de loi la prévoyant, aucune condamnation solidaire au paiement de l'indemnité prévue par l'article 682 du code civil ne peut être prononcée à leur encontre.
9. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen relevé d'office
10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l'article 12 du code de procédure civile :
11. Aux termes de ce texte, le juge tranche les litiges conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.
12. Pour rejeter la demande indemnitaire, l'arrêt énonce que l'indemnité allouée sur le fondement de l'article 682 du code civil devant être proportionnée au dommage causé au fonds servant, il n'est pas possible de la fixer en fonction des inconvénients et désagréments occasionnés par chacun des fonds bénéficiant du passage, lorsque le demandeur a formé une demande de condamnation solidaire à leur encontre, sans préciser contre quel propriétaire et dans quelles proportions l'indemnité était demandée.
13. En statuant ainsi, alors qu'il lui incombait de fixer l'indemnité due par chaque propriétaire des fonds bénéficiant du passage, à proportion des désagréments que chacun causait au fonds servant, la cour d'appel, qui a méconnu l'étendue de son office, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
14. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt rejetant les demandes indemnitaires des parties et notamment celle formée par Mme [Z] entraîne la cassation du chef de dispositif rejetant sa demande subsidiaire d'expertise, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande indemnitaire de Mme [Z], et rejette sa demande subsidiaire d'expertise, l'arrêt rendu le 12 mai 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne MM. [V], [B] et [G] [L] et M. [X] [J], pris tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'héritier de [I] [J], M. [R] [J], pris en sa qualité d'héritier de [I] [J], Mme [E] [N], M. et Mme [W], Mme [F] [L], prise en sa qualité d'héritière de [I] [J], aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze septembre deux mille vingt-quatre.