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11/09/2024 | FRANCE | N°52400868

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 11 septembre 2024, 52400868


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


SOC.


CH9






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 11 septembre 2024








Cassation partielle




M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président






Arrêt n° 868 F-B


Pourvoi n° G 23-11.323








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE F

RANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 SEPTEMBRE 2024


M. [K] [D], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° G 23-11.323 contre l'arrêt rendu le 8 septembre 2022 par la co...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CH9

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 11 septembre 2024

Cassation partielle

M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 868 F-B

Pourvoi n° G 23-11.323

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 SEPTEMBRE 2024

M. [K] [D], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° G 23-11.323 contre l'arrêt rendu le 8 septembre 2022 par la cour d'appel de Papeete (chambre sociale), dans le litige l'opposant à l'établissement Grands projets de Polynésie, établissement public à caractère industriel et commercial, dont le siège est [Adresse 1], défendeur à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [D], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de l'établissement Grands projets de Polynésie, après débats en l'audience publique du 26 juin 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, Mme Ott, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 8 septembre 2022), M. [D], fonctionnaire territorial depuis 1990, a été détaché en qualité de juriste par arrêté du 25 octobre 2017, pour la période du 12 juin 2017 au 31 octobre 2019, au sein de l'Epic Tahiti Nui aménagement et développement (le TNAD) avec lequel il a conclu, le 12 juin 2017, un contrat de travail à durée indéterminée.

2. Il s'est porté candidat aux élections professionnelles du 26 avril 2019 à l'issue desquelles il n'a pas été élu.

3. Par lettre du 3 juillet 2019, le TNAD a informé le salarié que celui-ci devant atteindre, le 5 octobre 2019, l'âge légal lui permettant de faire valoir ses droits à la retraite, il lui notifiait son intention de le mettre à la retraite en application des articles Lp. 1223-6 et suivants du code du travail de la Polynésie française, en lui précisant que la date de présentation de cette lettre fixait le point de départ du délai de prévenance de trois mois accordé au salarié afin d'entreprendre les démarches utiles à la liquidation de ses droits, qu'à l'issue de ce délai et au regard des éléments qui seraient fournis par le salarié, celui-ci serait tenu informé de la décision relative à sa mise à la retraite et que dès lors qu'il remplirait les conditions pour sa mise à la retraite, la fin de son contrat de travail interviendrait à l'issue d'une période de préavis de quatre mois.

4. Par lettre signifiée par huissier de justice le 3 février 2020, le salarié s'est vu notifier sa mise à la retraite, avec effet à l'issue d'un préavis de quatre mois.

5. Le 9 juin 2020, le salarié a saisi le tribunal du travail de demandes tendant à dire que sa mise à la retraite d'office s'analysait en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et à obtenir paiement de diverses sommes à titre indemnitaire.

6. L'Epic Grands projets de Polynésie (le GPP) est venu aux droits du TNAD.

Examen des moyens

Sur le second moyen

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

8. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes tendant à juger que sa mise à la retraite d'office devait s'analyser en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et à condamner le GPP à lui verser diverses sommes à titre de dommages-intérêts, alors :

« 1°/ que la procédure exceptionnelle et exorbitante du droit commun instituée par le législateur au profit de salariés investis de fonctions représentatives interdit à l'employeur de poursuivre par d'autres moyens la rupture du contrat de travail ; qu'elle oblige donc l'employeur à soumettre à la procédure administrative d'autorisation, toute rupture, à son initiative, du contrat de travail d'un salarié protégé quel qu'en soit le motif ; qu'il en est ainsi lorsque le salarié est mis à la retraite, même si les conditions posées par le code du travail sont remplies ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué, d'une part, que, par lettre du 3 juillet 2019, l'EPIC TNAD a notifié à M. [D] son intention de le mettre à la retraite d'office et l'a invité à cette fin à produire ses relevés d'activité, d'autre part, qu'à cette date, M. [D] bénéficiait de la qualité de salarié protégé "du fait d'une candidature malheureuse aux élections des délégués du personnel en avril 2019" ; qu'en déboutant M. [D] de sa demande tendant à voir juger cette mise à la retraite irrégulière en l'absence d'autorisation administrative, motif pris que "l'autorisation administrative n'est requise qu'en cas de licenciement" et que "lorsqu'il remplit les conditions, il ne peut être fait grief à l'employeur de privilégier une mise à la retraite plutôt qu'un licenciement pour motif personnel ou économique", la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles Lp. 2511-1, Lp. 2511-2 du code du travail polynésien, ensemble le principe constitutionnel de participation des travailleurs à la gestion de l'entreprise prévu par le huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 ;

2°/ que l'autorisation administrative est requise lorsque le salarié bénéficie de la protection légale à la date à laquelle l'employeur engage la procédure de rupture, peu important qu'il ne bénéficie plus de cette qualité le jour où la rupture est effective ; qu'en déboutant M. [D] de sa demande tendant à voir juger que cette mise à la retraite était irrégulière en l'absence d'autorisation administrative quand il ressortait de ses propres constatations que l'EPIC TNAD lui avait notifié le 3 juillet 2019, soit alors qu'il bénéficiait encore de la protection attachée à sa candidature aux élections professionnelles du 26 avril précédent, sa décision de le mettre à la retraite d'office sur le fondement des articles Lp. 1223-6 et suivants du code du travail de sorte que cette autorisation était requise, peu important que la rupture n'ait été effective et notifiée que le 3 février 2020, la cour d'appel a violé derechef les textes susvisés. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

9. Le GPP conteste la recevabilité du moyen en soutenant qu'il est nouveau.

10. Cependant, le moyen, qui ne se prévaut d'aucun fait qui n'ait été constaté par les juges du fond, est de pur droit.

11. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles Lp. 1223-3, Lp. 1223-6 et Lp. 2511-1, 5°, du code du travail de la Polynésie française :

12. Aux termes du premier de ces textes, l'employeur ou le salarié, qui envisage de rompre le contrat de travail pour départ volontaire ou pour mise à la retraite, notifie son intention par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par tout moyen certain de transmission. La partie à l'origine de la rupture respecte un délai de prévenance de trois mois, distinct du délai de préavis. Le délai de prévenance est destiné notamment à permettre au salarié d'entreprendre auprès des caisses de retraite les démarches nécessaires à la liquidation de ses droits. La date de présentation de la lettre fixe le point de départ du délai de prévenance. La décision de rupture ne peut prendre effet au plus tôt qu'au terme du délai de prévenance, la fin du contrat intervenant à l'issue du préavis.

13. Aux termes du deuxième, la mise à la retraite s'entend de la possibilité donnée à l'employeur, sous réserve de dispositions plus favorables au salarié résultant du contrat de travail ou d'un accord collectif, de rompre le contrat de travail d'un salarié dès lors que celui-ci :
1. a atteint l'âge de soixante-deux ans et justifie de la durée d'assurance suffisante prévue par le régime de retraite des travailleurs salariés de la Polynésie française, pour pouvoir bénéficier d'une pension de retraite sans abattement dite " à taux plein " ;
2. ou a atteint l'âge de soixante-cinq ans et justifie de la durée d'assurance minimale prévue par le régime de retraite des travailleurs salariés de la Polynésie française, pour pouvoir bénéficier d'une pension de retraite sans abattement.

14. Selon le troisième, le licenciement des candidats aux fonctions de représentant du personnel ne peut intervenir, pendant les six mois qui suivent la publication des candidatures, qu'après autorisation de l'inspecteur du travail.

15. La protection exorbitante du droit commun, conférée à un salarié investi de fonctions représentatives ou s'étant porté candidat à de telles fonctions, instaurée par les dispositions d'ordre public de l'article Lp. 2511-1 du code du travail de la Polynésie française, oblige l'employeur à soumettre à la procédure administrative d'autorisation, toute rupture, à son initiative, du contrat de travail d'un tel salarié quel qu'en soit le motif et quel que soit le statut de l'entreprise qui l'emploie. Il en est ainsi lorsque le salarié est mis à la retraite, même si les conditions posées par l'article Lp. 1223-6 du même code sont remplies.

16. Il résulte de l'article Lp. 1223-3 du code du travail de la Polynésie française que l'autorisation administrative de licenciement est requise lorsque le salarié bénéficie de la protection à la date à laquelle l'employeur lui notifie son intention de le mettre à la retraite.

17. Pour débouter le salarié de ses demandes tendant à juger que sa mise à la retraite d'office devait s'analyser en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner le GPP à lui verser une certaine somme à ce titre, l'arrêt retient que la mise à la retraite constitue un mode autonome de rupture du contrat de travail régie par les articles Lp 1223-2 et suivants du code du travail de la Polynésie française et que le salarié ne conteste pas remplir les conditions d'âge et de durée de cotisations autorisant sa mise à la retraite.

18. En statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que l'employeur avait notifié au salarié son intention de le mettre à la retraite par lettre du 3 juillet 2019, date à laquelle le salarié bénéficiait du statut protecteur en sa qualité de candidat non élu aux élections professionnelles du 26 avril 2019, ce dont il résultait que la mise à la retraite du salarié devait être autorisée par l'inspecteur du travail, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

19. La cassation des chefs de dispositif déboutant le salarié de ses demandes tendant à dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et à condamner l'employeur au paiement d'une indemnité à ce titre n'entraîne pas la cassation du chef de dispositif déboutant le salarié de sa demande de dommages-intérêts en raison du caractère abusif et vexatoire des procédures que la critique formée par le premier moyen n'est pas susceptible d'atteindre.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [D] de ses demandes tendant à dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse et de sa demande indemnitaire à ce titre et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française, l'arrêt rendu le 8 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Papeete autrement composée ;

Condamne l'Epic Grands projets de Polynésie aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'Epic Grands projets de Polynésie et le condamne à payer à M. [D] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze septembre deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 52400868
Date de la décision : 11/09/2024
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Analyses

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE - Code du travail de Polynésie française - Retraite - Mise à la retraite - Salarié protégé - Mesures spéciales - Autorisation administrative - Demande de l'employeur - Nécessité - Conditions - Détermination - Portée

OUTRE-MER - Polynésie française - Code du travail de Polynésie française - Retraite - Mise à la retraite - Salarié protégé - Mesures spéciales - Autorisation administrative - Demande de l'employeur - Nécessité - Conditions - Détermination - Portée REPRESENTATION DES SALARIES - Code du travail de Polynésie française - Règles communes - Contrat de travail - Retraite - Mise à la retraite - Mesures spéciales - Autorisation administrative - Demande de l'employeur - Nécessité - Conditions - Détermination - Portée

La protection exorbitante du droit commun, conférée à un salarié investi de fonctions représentatives ou s'étant porté candidat à de telles fonctions, instaurée par les dispositions d'ordre public de l'article Lp. 2511-1 du code du travail de la Polynésie française, oblige l'employeur à soumettre à la procédure administrative d'autorisation, toute rupture, à son initiative, du contrat de travail d'un tel salarié quel qu'en soit le motif et quel que soit le statut de l'entreprise qui l'emploie. Il en est ainsi lorsque le salarié est mis à la retraite, même si les conditions posées par l'article Lp. 1223-6 du même code sont remplies. Il résulte de l'article Lp. 1223-3 du code du travail de la Polynésie française que l'autorisation administrative de licenciement est requise lorsque le salarié bénéficie de la protection à la date à laquelle l'employeur lui notifie son intention de le mettre à la retraite


Références :

Articles Lp. 1223-3, Lp. 1223-6 et Lp. 2511-1, 5°, du code du travail de la Polynésie française.
Publié au bulletin

Décision attaquée : Cour d'appel de Papeete, 08 septembre 2022

Sur la nécessité de solliciter l'autorisation administrative de rompre le contrat de travail d'un salarié protégé dès lors que l'envoi de la convocation à l'entretien préalable intervient pendant la période de protection, à rapprocher : Soc., 28 septembre 2022, pourvoi n° 21-12776, Bull., (cassation partielle)

arrêt cité.


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 11 sep. 2024, pourvoi n°52400868


Composition du Tribunal
Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 01/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:52400868
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