LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 septembre 2024
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 434 FS-B
Pourvoi n° X 22-12.321
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 4 SEPTEMBRE 2024
La société Up to Motion, venant aux droits de la société Fathi Enterprise, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1] (Luxembourg), a formé le pourvoi n° X 22-12.321 contre l'arrêt rendu le 17 septembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 11), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Google France, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société Google Ireland Limited, dont le siège est [Adresse 3] (Irlande),
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, les observations de la SCP Le Griel, avocat de la société Up to Motion, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat des sociétés Google France, et Google Ireland Limited, et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 juin 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Michel-Amsellem, Sabotier, Tréfigny, conseillers, M. Le Masne de Chermont, Mmes Comte, Bessaud, Bellino et M. Regis, conseillers référendaires, M. Douvreleur, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 septembre 2021) et les productions, en 2013, la société de droit luxembourgeois Fathi Enterprise (la société Fathi), titulaire des droits sur la plateforme accessible par le nom de domaine « cartegrisefrance.fr », dédiée aux démarches destinées à l'obtention sur internet de certificats d'immatriculation de véhicules automobiles auprès des services de l'Etat français, a conclu avec la société de droit irlandais Google Ireland un contrat pour le référencement payant de son site au moyen du service « Google Adwords » devenu « Google Ads ».
2. Les conditions générales de ce contrat comportaient un article 13 précisant : « Google peut apporter des modifications mineures aux présentes Conditions à tout moment sans préavis ; toutefois, en cas de modifications majeures des présentes Conditions, un préavis sera adressé par Google (...). Chaque partie peut résilier immédiatement les présentes Conditions à tout moment en notifiant à l'autre partie moyennant un préavis sauf en cas de manquement contractuel répété ou grave, notamment à une politique. (...) Google peut suspendre la participation du client aux programmes à tout moment, par exemple en cas de problème de paiement, de manquements suspectés ou avérés aux politiques ou aux présentes Conditions ou pour raisons légales ».
3. A la suite de la réception par la société Google France, le 3 novembre 2017, d'un courriel émanant du secrétariat d'Etat chargé du numérique, la société Google Ireland a suspendu le compte de la société Fathi.
4. Contestant cette suspension et le refus de réactiver son compte, la société Fathi, aux droits de laquelle vient la société Up to motion, a assigné les sociétés Google Ireland et Google France. A hauteur d'appel, elle a demandé l'annulation de l'article 13 des conditions générales du contrat. Les sociétés Google Ireland et Google France lui ont opposé que les stipulations de cet article répondaient à une nécessité propre à la qualité d'hébergeur de la société Google Ireland, tenue, conformément à l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, d'agir promptement pour retirer des données ou en rendre l'accès impossible dès le moment où elle a connaissance du caractère illicite des activités ou des informations en cause, ou de faits ou circonstances faisant apparaître ce caractère.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches et sur le troisième moyen, pris en sa sixième branche
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
6. La société Up to Motion fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation de l'article 13 des conditions générales du contrat, alors « que, pour rejeter la demande de nullité de l'article 13 des conditions générales du contrat conclu entre la société Fathi et la société Google, la cour d'appel a retenu que la faculté que s'était ainsi réservée cette dernière "d'interrompre immédiatement (...) le référencement" était "justifiée" par "l'accès universel, instantané et continu des services numériques sur internet et la téléphonie mobile (...) si leur contenu est susceptible de porter atteinte à l'ordre public en particulier en cas de publicité trompeuse" ; qu'il résultait cependant de ces constatations que la société Google, dont la cour d'appel a fait un gardien de l'ordre public, avait, par la clause litigieuse et au gré des faits dont elle était exclusivement le juge, fût-ce sur un simple soupçon, la faculté de décider unilatéralement et sans préavis la fin du contrat ; qu'en jugeant pourtant, pour exclure la demande d'annulation de cette clause, qu'elle n'avait créé aucun déséquilibre significatif entre les parties, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article L. 442-6 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
7. Il résulte de l'article 6, paragraphe 2, de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016, que pèse sur les hébergeurs l'obligation légale d'agir promptement pour retirer des données dont ils connaissent le caractère illicite ou pour en rendre l'accès impossible et qu'ils engagent leur responsabilité en cas de manquement à cette obligation.
8. Il s'en déduit qu'en prévoyant une clause contractuelle lui permettant de suspendre promptement l'usage de ses services de référencement pour des raisons légales, puis en l'appliquant lorsqu'il est informé du caractère trompeur d'un site auquel il donne accès, un hébergeur ne crée pas un déséquilibre significatif au sens de l'article L. 442-6, I, 2°, devenu l'article L. 442-1, 2° du code de commerce.
9. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
10. La société Up to Motion fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à voir ordonner à la société Google Ireland la réactivation de son compte « Adwords » pour le référencement de son site « cartegrisefrance.fr », à voir déclarer cette société responsable de la rupture abusive du contrat Adwords et à la voir condamner à lui payer certaines sommes au titre de ses préjudices financier et commercial, alors « que la société Google s'étant fondée sur l'article 13 des conditions générales du contrat conclu avec la société Fathi pour rompre ce dernier, la question de savoir si un abus avait été commis dans l'application de cet article dépendait nécessairement de celle de sa validité ; qu'il s'ensuit que la cassation à intervenir sur le premier moyen, relatif au constat de l'invalidité de cet article 13, entraînera par voie de conséquence, par application de l'article 625 du code de procédure civile, la cassation de l'arrêt en ce qu'il a jugé que la société Google avait fait une application légitime de cet article 13. »
Réponse de la Cour
11. Le rejet du premier moyen rend sans portée ce moyen.
Sur le troisième moyen, pris en ses première à cinquième branches
Enoncé du moyen
12. La société Up to Motion, venant aux droits de la société Fathi, fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ qu'en vertu de l'article R. 322-1, I, du code de la route, la "demande de certificat d'immatriculation est adressée au ministre de l'intérieur, soit par l'intermédiaire du préfet d'un département choisi par le propriétaire d'un véhicule, soit par l'intermédiaire d'un professionnel de l'automobile habilité par le ministère de l'intérieur" ; que, cependant, ainsi que l'indiquait son site internet, la société Fathi proposait exclusivement une "intermédiation entre les usagers et les organismes habilités par le Ministère de l'Intérieur", dont elle se distinguait ainsi nécessairement, pour aider les usagers, contre rémunération, à constituer leur dossier ; qu'elle avait précisé avoir conclu un partenariat avec la société Auto Business, laquelle, professionnelle de l'automobile, bénéficiait quant à elle, depuis le 8 novembre 2013, d'une convention d'habilitation accordée par la préfecture des Yvelines l'autorisant à "intervenir en qualité de professionnel du commerce de l'automobile dans le SIV", complétée, le 19 novembre 2014, par la signature, avec la même préfecture, d'une convention d'agrément lui permettant de "percevoir les taxes et la redevance sur les certificats d'immatriculation, sous forme dématérialisée" ; qu'ainsi, la société Fathi, qui ne prétendait aucunement être un organisme habilité, exerçait légalement une simple activité de mandataire qui ne requérait aucune habilitation ; qu'en retenant dès lors contre elle, pour justifier la décision de la société Google de suspendre le service convenu et son refus de le réactiver, que la société Fathi ne disposait d'aucune habilitation et n'avait pas cherché à en avoir, la cour d'appel, qui lui a imposé les conditions d'un régime réglementaire qui ne correspondait aucunement à son activité, a violé l'article susvisé par fausse application ;
2°/ que la demande de certificat d'immatriculation est adressée au ministre de l'intérieur soit par l'intermédiaire du préfet d'un département choisi par le propriétaire du véhicule, soit par l'intermédiaire d'un professionnel de l'automobile habilité par le ministre de l'intérieur ; qu'ayant tiré de cette norme qu'aucun professionnel ne pouvait présenter une demande d'immatriculation au ministère de l'intérieur sans y être personnellement habilité, la cour d'appel a retenu, pour rejeter les demandes de la société Fathi et justifier la rupture unilatérale par la société Google du contrat qui les liait, que "la société Fathi ne dispos[ait] pas de cette habilitation, ni même n'a[vait] cherché à l'obtenir après la suspension de son compte" ; qu'en se déterminant ainsi, sans avoir retenu aucun élément permettant de justifier que la société Fathi aurait prétendu pouvoir elle-même procéder à l'immatriculation des véhicules ou cherché le faire et sans rechercher, comme elle y était explicitement invitée, si ladite société ne recourait pas aux services de la société Auto Business qui, elle, était dûment habilitée à accéder au système d'immatriculation des véhicules, dit SIV, ce qui excluait qu'elle dût être elle-même l'objet d'aucune habilitation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article R. 322-1 du code la route, ensemble de l'article 1134, devenu 1103, du code civil ;
3°/ que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi ; que, pour rejeter les demandes de la société Fathi, la cour d'appel a retenu que la société Google n'avait pas "commis d'abus dans la suspension puis dans son refus de réactiver le compte de la société Fathi sur la base du courriel du service de l'Etat et de son autorité qu'il ne lui appartenait (...) de contester" ; qu'en se déterminant ainsi, après avoir constaté, par motifs adoptés, d'une part, que la société Google ne disposait d'aucun "élément propre, antérieur à la suspension du 3 novembre 2017, justifiant l'existence du manquement avéré ou même suspecté aux règles Adwords du site" et que, d'autre part, au 18 décembre 2017, la DGCCRF elle-même avait indiqué à la société Google qu'aucun des éléments qu'elle lui avait antérieurement signalés n'était établi, ce dont il résultait que la décision prise unilatéralement par la société Google le 3 novembre 2017 de suspendre définitivement le compte de la société Fathi, non seulement n'avait aucun fondement mais ne pouvait trouver aucune justification dans une quelconque injonction de la DGCCRF à l'autorité de laquelle elle n'aurait pu se soustraire, la cour d'appel a violé l'article 1134, devenu 1103, du code civil ;
4°/ pour justifier la légitimité de la rupture unilatérale du contrat par la société Google, la cour d'appel, par motifs adoptés, a retenu que "Google avait pour obligation de suspendre les annonces suspicieuses, et ce sans délai compte tenu de la demande sans équivoque émanant des services de contrôle de la DGCCRF" ; que, de fait, la société Google, dans un courriel adressé à la société Fathi le 10 novembre 2017, lui avait affirmé : "Pour votre parfaite information, nous vous informons qu'en date 3 novembre 2017, nos équipes ont reçu un signalement de la part de la DGCCRF et du SGMAP (Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique) demandant la suppression des annonces [de la société Fathi] en raison de leur caractère de 'pratique commerciale trompeuse'" ; que, cependant, dans sa note du 18 décembre 2017, la DGCCRF elle-même a indiqué que le document adressé le 3 novembre 2017 ne constituait qu'un "avis informel", émané du SGMAP ; que la note de la DGCCRF venant étayer ce simple avis indiquait d'ailleurs qu'une enquête était toujours en cours, qui n'avait donc encore rien conclu ; qu'en se déterminant dès lors comme elle l'a fait, quand il résultait de la note examinée du 18 décembre 2017 que la DGCCRF elle-même n'avait formulé aucune demande de fermeture du service, mais qu'elle faisait suite, postérieurement à la rupture, à un simple "avis informel" du SGMAP qui n'avait aucune valeur contraignante, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article violé l'article 1134, devenu 1103, du code civil ;
5°/ qu'il incombe à l'auteur de la rupture d'un contrat d'établir la faute de son cocontractant sensée la justifier, et non à ce dernier d'établir qu'il ne l'a pas commise ; qu'en l'espèce, pour légitimer la décision prise unilatéralement par la société Google de rompre la convention conclue, la cour d'appel a retenu, par motifs adoptés, que si la société Fathi contestait les griefs de la DGCCRF contenues dans sa note du 18 décembre 2017, en faisant valoir en particulier que son activité était légale, elle "ne dispose pas d'élément issu de la DGCCRF venant confirmer (ses) allégations ni modérer (sic) la demande spécifique de suppression des annonces" ; qu'en se déterminant ainsi, quand il incombait à la société Google de prouver qu'au jour où elle a provoqué la rupture du contrat, soit le 3 novembre 2017, les griefs supposés justifier cette rupture étaient établis, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1315 du code civil, dans sa version applicable au litige. »
Réponse de la Cour
13. Après avoir énoncé à bon droit que seules les entreprises qui jouissent de l'habilitation prévues à l'article R. 322-1, I, du code de la route ont le droit de collecter les données de leurs clients nécessaires à l'établissement de certificats d'immatriculation et le droit de prélever les taxes prévues par le code général des impôts au titre de la délivrance des certificats d'immatriculation, l'arrêt relève que la société Fathi ne disposait pas de l'habilitation requise et n'a pas cherché à l'obtenir après la suspension de son compte " Google Ads ".
14. En l'état de ces énonciations et constatations, la cour d'appel a exactement retenu que l'activité de la société Fathi était illicite, de sorte que la société Google Ireland n'avait pas commis d'abus en suspendant puis en refusant de réactiver ledit compte.
15. Inopérant en ses troisième, quatrième et cinquième branche, qui critiquent des motifs surabondants, le moyen n'est donc pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Up to Motion aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Up to Motion et la condamne à payer à chacune des sociétés Google Ireland et la société Google France la somme de 1 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatre septembre deux mille vingt-quatre.