LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° K 23-83.016 F-D
N° 00887
GM
3 SEPTEMBRE 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 3 SEPTEMBRE 2024
Mme [V] [U] et M. [D] [R], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Rouen, chambre correctionnelle, en date du 25 avril 2023, qui, dans la procédure suivie contre Mme [Z] [W], épouse [S], des chefs de blessures involontaires et infractions au code de la route, a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de M. Joly, conseiller référendaire, les observations de
la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de Mme [V] [U] et
M. [D] [R], les observations de la société Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [Z] [W], épouse [S] et la société [2], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 juin 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Joly, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le tribunal correctionnel a déclaré Mme [Z] [W] coupable des chefs susvisés et, prononçant sur les intérêts civils, a déclaré recevables les constitutions de partie civile de M. [D] [R] et de Mme [V] [U], son épouse, a déclaré la prévenue responsable de leur préjudice, a ordonné une expertise et a renvoyé l'affaire sur intérêts civils.
3. Les sociétés d'assurance [2], assureur de Mme [W], et [1], assureur des parties civiles, ainsi que la Caisse d'assurance maladie des industries électriques et gazières (CAMIEG), sont intervenues à la procédure.
4. Statuant ultérieurement sur les intérêts civils, le tribunal a condamné Mme [W] à verser aux parties civiles certaines sommes en réparation de leurs préjudices.
5. Les parties civiles ont relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
6. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il a confirmé le jugement entrepris en ses dispositions relatives à M. [R] sauf en ce qui concerne les montants des demandes de santé actuelles et de l'assistance temporaire par une tierce personne, le préjudice d'agrément, les montants du fauteuil roulant, du tapis de course, du gel spécial, de la première prothèse principale et des frais divers futurs et, statuant à nouveau sur ces points, condamné Mme [S] à lui régler les sommes suivantes, en deniers et quittances pour tenir compte des provisions déjà versées (montant des dépenses de santé actuelles : 11 041,21 euros ; montant de l'assistance temporaire par tierce personne : 24 592 euros ; préjudice d'agrément : 10 000 euros ; montant capitalisé du fauteuil roulant : 6 458,89 euros ; montant capitalisé du tapis roulant : 2 147,15 euros ; montant capitalisé du gel spécial : 3 867,08 euros ; première prothèse principale : 189 758,08 euros ; montant capitalisé des frais divers futurs : 7 244,43 euros) et confirmé le jugement entrepris en l'ensemble de ses dispositions relatives à Mme [U], épouse [R], alors :
« 1°/ que si les juges du fond apprécient souverainement le préjudice causé par une infraction et le montant des dommages et intérêts attribués à la victime en réparation du préjudice résultant pour elle de l'infraction constatée, il en va différemment lorsque cette appréciation est déduite de motifs insuffisants, contradictoires ou erronés ; que M. [R] demandait à la cour d'appel de procéder à la capitalisation des frais futurs de sa prothèse principale ; qu'en se bornant à juger, pour confirmer le jugement sur ce point, que le montant annuel visé dans le décompte fourni par la CAMIEG au titre de la prothèse principale s'élève à un montant supérieur à celui calculé par le bénéficiaire, ce dont il ressort qu'il n'en résulte aucun préjudice financier pour l'exposant, sans répondre à demande formulée par M. [R] de capitalisation des frais futurs liés à sa prothèse, et lorsqu'il résulte des mentions mêmes de la décision attaquée que la créance de la CAMIEG est erronée et vise un autre type de prothèse que celle utilisée, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs ne permettant pas de s'assurer qu'elle a accordé une réparation sans perte ni profit pour la victime et ainsi méconnu les articles 2, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
8. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
9. Pour rejeter la demande d'indemnisation de M. [R] au titre de sa prothèse principale, l'arrêt attaqué énonce qu'il justifie d'un coût annuel de 22 684,21 euros, incluant deux emboîtures de marque ISS et un renouvellement tous les six ans.
10. Le juge ajoute qu'indépendamment du fait que la prothèse apparaît différente de celle mentionnée par la CAMIEG, le décompte fourni par cet organisme social est présenté comme définitif au titre des frais futurs viagers et constitue ainsi un engagement irrévocable de prise en charge.
11. Il retient que le montant annuel visé dans ce décompte, au titre de la prothèse principale, s'élève à 25 655,12 euros, soit un montant supérieur à celui calculé par M. [R].
12. Il en déduit que ce dernier ne justifie d'aucun préjudice financier.
13. En se déterminant ainsi, alors qu'elle avait relevé que la prothèse pour laquelle M. [R] demandait une indemnisation était différente de celle que la CAMIEG mentionnait au titre de sa prise en charge et que certaines des parties indiquaient que la prothèse achetée par la victime n'était pas remboursée par cet organisme de sécurité sociale, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
14. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rouen, en date du 25 avril 2023, mais en ses seules dispositions ayant statué sur la demande d'indemnisation de M. [R] au titre de sa prothèse principale, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rouen, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rouen et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du trois septembre deux mille vingt-quatre.