LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 juillet 2024
Cassation
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 467 F-D
Pourvoi n° U 23-18.141
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 10 JUILLET 2024
Mme [G] [V], domiciliée [Adresse 3], a formé le pourvoi n° U 23-18.141 contre l'arrêt rendu le 2 mai 2023 par la cour d'appel de Besançon (1re chambre civile et commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [N] [P], notaire, domicilié [Adresse 2],
2°/ à M. [H] [E], domicilié [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kloda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de Mme [V], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [P], après débats en l'audience publique du 18 juin 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Kloda, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il est donné acte à Mme [V] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [E].
2. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 2 mai 2023), Mme [V] et M. [E] ont conclu, les 12 novembre 2013 et 28 février 2014, en présence de leurs avocats respectifs et de M. [P], notaire (le notaire), des conventions pour la liquidation et le partage de leur régime matrimonial donnant mandat au notaire de libérer le produit de la vente d'un bien commun après le versement d'une certaine somme par Mme [V] à son époux à titre de prestation compensatoire.
3. La demande de prestation compensatoire formée à hauteur de la somme de 89 128 euros par M. [E] sur le fondement des actes passés entre les époux a été rejetée par le jugement de divorce.
4. Mme [V] a assigné le notaire en responsabilité et indemnisation.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
5. Mme [V] fait grief à l'arrêt de condamner le notaire à lui payer une somme de 6 000 euros de dommages et intérêts et de rejeter le surplus de sa demande indemnitaire, alors « qu'est certain le préjudice qui, en l'absence de la faute, ne se serait nécessairement pas produit ; qu'en l'espèce, et à supposer même qu'il y ait eu lieu de tenir compte des conditions dans lesquelles la vente se serait réalisée en l'absence de conclusion de la convention interdite, il n'en demeure pas moins, comme le soulignait Mme [V], qu'en l'absence de cette convention, le prix de la vente aurait été séquestré entre les mains du notaire dans l'attente de la liquidation de la communauté et de la décision judiciaire quant à la prestation compensatoire ; qu'il en résultait donc, avec certitude, qu'en tout état de cause, en l'absence de la convention interdite, la fraction du prix correspondant à la prestation compensatoire n'aurait pas été versée à M. [E] ; que le préjudice causé à Mme [V] par la faute de Me [P] était donc certain ; qu'en retenant pourtant un supposé aléa lié au fait que la cession du bien immobilier concerné a été réalisée dans les conditions permises par la conclusion de la convention interdite le 12 novembre 2013, lesquelles auraient été différentes en l'absence d'accord préalable des époux, quand les conditions différentes n'auraient pu conduire au versement de la fraction du prix correspondant à la prestation compensatoire, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
6. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.
7. Pour limiter l'indemnisation de Mme [V] à la somme de 6 000 euros, après avoir retenu que le notaire avait commis une faute en permettant la conclusion de conventions illicites au regard de l'article 265-2 du code civil, l'arrêt retient, d'abord, que les dommages et intérêts ne peuvent être chiffrés au montant de la créance de 89 128 euros invoquée par Mme [V] contre M. [E], considération prise de l'aléa lié au fait que la cession du bien immobilier a été réalisée dans les conditions permises par la conclusion de la convention du 12 novembre 2013, lesquelles auraient été différentes en l'absence d'accord préalable des époux, ensuite, que le préjudice subi par Mme [V] est équivalent à la perte de chance de ne pas avoir fait naître ladite créance dont le recouvrement lui incombe désormais.
8. En statuant ainsi, alors qu'en l'absence de faute du notaire, Mme [V] n'aurait pas versé à M. [E] la somme indue au titre de la prestation compensatoire, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;
Condamne M. [P] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [P] et le condamne à payer à Mme [V] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix juillet deux mille vingt-quatre.