LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
COUR DE CASSATION
AF1
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QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
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Audience publique du 4 juillet 2024
NON-LIEU A RENVOI
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 837 F-D
Pourvoi n° V 24-10.786
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 4 JUILLET 2024
Par mémoire spécial présenté le 22 mai 2024, M. [Z] [I], domicilié [Adresse 1], a formulé une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi n° V 24-10.786 qu'il a formé contre l'arrêt rendu le 21 novembre 2023 par la cour d'appel de Lyon (chambre sociale D, protection sociale), dans une instance l'opposant à la caisse d'allocations familiales du Rhone, dont le siège est [Adresse 2].
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dudit, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [I], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse d'allocations familiales du Rhone, et l'avis de Mme Tuffreau, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 2 juillet 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Dudit, conseiller référendaire rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. La caisse d'allocations familiales du Rhône (la caisse) lui ayant refusé l'attribution rétroactive du complément de libre choix du mode de garde au titre de ses enfants, pour la période du 1er février au 30 octobre 2018 au cours de laquelle une résidence alternée avait été fixée, M. [I] a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Enoncé des questions prioritaires de constitutionnalité
2. A l'occasion du pourvoi qu'il a formé contre l'arrêt rendu le 21 novembre 2023 par la cour d'appel de Lyon, M. [I] a, par mémoire distinct et motivé déposé au greffe de la Cour de cassation le 22 mai 2024, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité ainsi rédigées :
Question n°1 : « Etant rappelé qu'il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi, et qu'il y a lieu de ranger au nombre des principes fondamentaux de la sécurité sociale, et qui comme tels relèvent du domaine de la loi, l'existence d'un régime de sécurité sociale, la détermination des catégories de bénéficiaires ainsi que de la définition de la nature des conditions exigées pour l'attribution des prestations, l'article L. 513-1 du code de la sécurité sociale qui lie l'attribution des prestations familiales à la charge effective et permanente de l'enfant tout en renvoyant à l'article R. 513-1 du même code, et donc en abandonnant au pouvoir réglementaire, la détermination des conditions d'attribution de ces prestations aux deux parents lorsque la charge effective et permanente de l'enfant est partagée de manière égale entre ces derniers, en raison de la résidence alternée et de l'autorité parentale conjointe, méconnaît-il l'article 34 de la Constitution, le onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et l'article 6 de la Déclaration de 1789 en ce qu'il est entaché d'une incompétence négative affectant le droit à la protection sociale et le principe d'égalité constitutionnellement garantis par ces dispositions ? ».
Question n°2 : « Les articles L. 513-1 et L. 531-5 du code de la sécurité sociale, édictant une règle de l'unicité de l'allocataire signifiant que, lorsque deux personnes assument la charge effective et permanente d'un enfant, en cas de résidence alternée de l'enfant au domicile de chacun des parents, seul un membre du couple peut prétendre au bénéfice du complément libre-choix mode de garde, sont-ils contraires au principe d'égalité et à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ? ».
Examen des questions prioritaires de constitutionnalité
3. Les articles L. 513-1 et L. 531-5 de code de la sécurité sociale, le dernier dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016, sont applicables au litige, qui concerne l'attribution du complément du libre choix du mode de garde au bénéfice d'un père dont les enfants vivent en résidence alternée au domicile des parents.
4. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
5. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
6. D'autre part, les questions posées ne présentent pas un caractère sérieux.
7. En premier lieu, la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Dans une décision du 8 novembre 1972, n° 72-74 L, le Conseil constitutionnel a dit que l'existence même des prestations familiales, la détermination des catégories de personnes appelées à en bénéficier ainsi que la nature des conditions que doivent remplir les prestataires sont au nombre des principes fondamentaux de la sécurité sociale, qui relèvent du domaine de la loi.
8. En second lieu, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec la loi qui l'établit.
9. Or, il résulte de l'article L. 513-1 du code de la sécurité sociale que la qualité d'allocataire des prestations familiales, au nombre desquelles figure le complément de libre choix du mode de garde d'enfant prévu par l'article L. 531-5 du même code, est liée à la charge effective et permanente de l'enfant.
10. Par cette disposition, le législateur a entendu fixer un critère, commun à toutes les prestations familiales, de désignation des personnes appelées à en bénéficier.
11. Ce critère ne fait pas obstacle à ce que, lorsqu'à la suite d'une séparation, les parents exercent conjointement l'autorité parentale et bénéficient d'un droit de résidence alternée sur leur enfant mis en oeuvre de manière effective et équivalente, l'un et l'autre de ces parents sont considérés comme assumant la charge effective et permanente de leur enfant au sens de l'article L. 513-1 (Cour de cassation, 26 juin 2006, pourvoi n° 06-00.004, Bull. 2006, Avis, n°4).
12. Ainsi, l'attribution d'une prestation familiale ne peut être refusée à l'un des parents au seul motif que l'autre parent en bénéficie, sauf à ce que les règles particulières à cette prestation fixée par la loi y fassent obstacle ou à ce que l'attribution de cette prestation à chacun d'entre eux implique la modification ou l'adoption de dispositions relevant du domaine de la loi (CE, 1ère et 4ème chambres réunies, 19 mai 2021, n° 435429, mentionné aux tables Recueil Lebon ; 2e Civ., 25 novembre 2021, pourvois n° 20-21.978, 19-25.456, publiés).
13. Dans la décision précitée, le Conseil d'Etat, saisi d'une requête en annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le Premier ministre et le ministre des solidarités et de la santé ont refusé de faire droit à la demande d'abrogation de l'article R. 513-1, a jugé que les règles particulières au complément de libre choix du mode de garde fixées par la loi ne font pas obstacle à l'attribution de cette prestation à chacun d'entre eux, laquelle n'implique ni la modification ni l'adoption de dispositions relevant du domaine de la loi.
14. Il ne saurait, dès lors, être sérieusement soutenu que les dispositions législatives critiquées portent, en elles-mêmes, atteinte à l'article 34 de la Constitution et aux principes de valeur constitutionnelle invoqués au soutien des deux questions prioritaires de constitutionnalité.
15. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer les questions prioritaires de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juillet deux mille vingt-quatre.