LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Q 23-81.962 F-B
N° 00868
MAS2
26 JUIN 2024
CASSATION PARTIELLE
IRRECEVABILITÉ
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 26 JUIN 2024
M. [T] [V] et le procureur général près la cour d'appel de Bordeaux ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'assises de la Gironde, en date du 2 mars 2023, qui, pour meurtre aggravé, a condamné le premier à vingt-cinq ans de réclusion criminelle, dix ans de suivi socio-judiciaire, quinze ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation, dix ans d'inéligibilité, une confiscation et a fixé la durée de la période de sûreté à quinze ans, ainsi que contre l'arrêt du même jour qui aurait prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Tessereau, conseiller, les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. [T] [V], les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [F] [V] et de M. [G] [V], assisté de son curateur l'UDAF de la Haute Vienne, et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 mai 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Tessereau, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par ordonnance du 28 mai 2021, M. [T] [V], majeur protégé, a été mis en accusation devant la cour d'assises pour avoir volontairement donné la mort à son père.
3. Par arrêt du 4 avril 2022, cette juridiction, après avoir retenu l'altération du discernement de l'accusé, a condamné M. [V] à vingt-cinq ans de réclusion criminelle, avec une période de sûreté de quinze ans, et dix ans de suivi socio-judiciaire. Par arrêt distinct du même jour, la cour a prononcé sur les intérêts civils.
4. M. [V] a relevé appel de ces décisions, et le ministère public a formé appel de l'arrêt pénal.
Examen de la recevabilité des pourvois formés par M. [V] et le procureur général contre l'arrêt civil
5. L'arrêt civil ayant été rendu le 20 mars 2023, il s'ensuit que les pourvois formés le 7 mars 2023 à l'encontre des dispositions civiles sont irrecevables, le procureur général ne pouvant, par ailleurs, être admis à se pourvoir contre l'arrêt civil d'une cour d'assises.
Examen des moyens
Sur le premier moyen proposé pour M. [V]
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [V] coupable de meurtre et l'a condamné à la peine de vingt-cinq ans de réclusion criminelle assortie de quinze ans de période de sûreté et de dix ans de suivi socio-judiciaire comprenant une injonction de soins, a fixé à cinq ans la durée maximale de la peine encourue en cas d'inobservations des obligations, l'a condamné aux peines obligatoires d'interdiction de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation pendant une durée de quinze ans et de privation du droit d'éligibilité pendant dix ans, répondu « oui » sur l'altération de son discernement et « non » à l'exclusion du bénéfice de la diminution de peine, alors « qu'en application de l'article 706-113 du code de procédure pénale, le tuteur d'une personne majeure protégée doit être avisé des poursuites exercées contre elle et des décisions de condamnation dont elle a fait l'objet ; qu'il doit en outre être avisé de la date d'audience ; qu'en l'espèce, il résulte des pièces de la procédure visée par l'arrêt attaqué et notamment de l'ordonnance de mise en accusation devant la Cour d'assises de la Dordogne du 30 septembre 2021 que M. [T] [V] était sous curatelle de l'[1] et de l'arrêt civil de la Cour d'Assises de Dordogne du 4 avril 2022 qu'[T] [V] était représenté par l'Association [1] ; qu'il résulte également de l'arrêt civil de la Cour d'assises d'appel de la Gironde dont les débats ont eu lieu le 2 mars 2023, date du prononcé de l'arrêt attaqué, qu'[T] [V] était sous tutelle du service mandataire judiciaire de l'Association [1] par jugement en date du 29 mai 2018 ; qu'en revanche, il ne s'évince nullement des énonciations de l'arrêt attaqué que l'Association [1] tuteur d'[T] [V] ait été avisée des poursuites exercées contre ce dernier et des décisions de condamnation dont il a fait l'objet ni même qu'elle ait été avisée de la date d'audience ; que dès lors, en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'assises a violé le texte susvisé, ensemble l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
7. La Cour de cassation est en mesure de s'assurer, par l'examen des pièces dont elle a le contrôle, que l'association chargée de la protection de M. [V] a reçu, d'une part, la notification de l'ordonnance et de l'arrêt de mise en accusation de celui-ci devant la cour d'assises, d'autre part, des citations à comparaître devant cette cour en première instance et en appel.
8. De plus, la cour d'assises, statuant en appel, a procédé à l'audition, en qualité de témoin, de la déléguée de l'association chargée de la mesure de protection, qui avait reçu pouvoir de la représenter à l'audience.
9. Il en résulte que les dispositions de l'article 706-113 du code de procédure pénale ont été respectées.
10. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Mais sur le moyen proposé par le procureur général et le second moyen proposé pour M. [V]
Enoncé des moyens
11. Les moyens sont pris de la violation de l'article 362 du code de procédure pénale.
12. Le moyen proposé par le procureur général critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [V] à la peine de vingt-cinq ans de réclusion criminelle, alors que, du fait de l'altération du discernement de l'intéressé, la peine maximale encourue était de trente ans et qu'à défaut d'avoir prononcé cette peine à la majorité qualifiée, il ne pouvait être prononcé une peine supérieure à vingt ans de réclusion criminelle.
13. Le moyen proposé pour M. [V] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de meurtre et l'a condamné à la peine de vingt-cinq ans de réclusion criminelle assortie de quinze ans de période de sûreté, répondu « oui » sur l'altération de son discernement et « non » à l'exclusion du bénéfice de la diminution de peine, alors « qu'aux termes de l'article 221-1 du code pénal le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre et est puni de trente ans de réclusion criminelle ; qu'aux termes de l'article 362, alinéa 2, du code de procédure pénale dans sa rédaction antérieure à la loi du 22 décembre 2021, applicable à compter du 1er mars 2022, si le maximum de la peine encourue n'a pas obtenu la majorité de huit voix au moins lorsque la Cour d'assises statue en appel, il ne peut être prononcé une peine supérieure à vingt ans de réclusion criminelle, lorsque la peine encourue est de trente ans de réclusion criminelle ; qu'en l'espèce, après avoir déclaré M. [T] [V] coupable de meurtre, la Cour d'assises d'appel de Gironde l'a condamné à vingt-cinq ans de réclusion criminelle ; qu'en statuant ainsi alors que le maximum de la peine encourue en l'espèce était de trente ans de réclusion criminelle, la Cour d'assises a méconnu le sens et la portée de l'article 362 du code de procédure pénale dans sa rédaction alors applicable et l'article 2 du code civil. »
Réponse de la Cour
14. Les moyens sont réunis.
Vu les articles 112-1, alinéa 2, 221-4, 122-1 du code pénal et 362, alinéa 2, du code de procédure pénale :
15. Il résulte du premier de ces textes que peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la date où l'infraction a été commise, sauf dispositions nouvelles moins sévères.
16. Selon le deuxième, le meurtre est puni de la réclusion criminelle à perpétuité, lorsqu'il est commis sur un ascendant.
17. Aux termes du troisième, l'accusé qui était atteint, au moment de la commission de l'infraction, d'un trouble psychique ou neuro-psychique qui a altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes, demeure punissable. Toutefois, si est encourue une peine privative de liberté, celle-ci est réduite d'un tiers ou, en cas de crime puni de la réclusion criminelle à perpétuité, est ramenée à trente ans. La juridiction peut toutefois décider de ne pas appliquer cette diminution de peine.
18. Le quatrième énonçait, dans sa rédaction applicable au moment des faits, que si le maximum de la peine encourue n'a pas obtenu la majorité de huit voix au moins lorsque la cour d'assises statue en appel, il ne peut être prononcé une peine supérieure à vingt ans de réclusion criminelle, lorsque la peine encourue est de trente ans de réclusion criminelle. Cette disposition a été supprimée par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, entrée en vigueur le 1er mars 2022.
19. Cette modification, plus sévère en ce qu'elle permet désormais, si la peine maximale de trente ans n'a pas été prononcée, de prononcer une peine entre vingt et trente ans de réclusion criminelle, ce qui n'était pas possible auparavant, ne peut recevoir application que pour les faits commis après son entrée en vigueur.
20. L'arrêt attaqué, après avoir déclaré M. [V] coupable de meurtre sur ascendant, commis entre le 28 et le 29 septembre 2018, et constaté l'altération de son discernement, sans exclure l'accusé du bénéfice de la diminution de peine, a condamné celui-ci à vingt-cinq ans de réclusion criminelle.
21. En prononçant ainsi, alors que, par l'effet de la diminution de peine, le maximum de la peine encourue était de trente ans de réclusion criminelle, ce qui, au regard de la date des faits, interdisait le prononcé d'une peine de réclusion criminelle d'une durée comprise entre vingt et trente ans, la cour d'assises a méconnu le sens et la portée des textes susvisés.
22. Il en résulte que la cassation est encourue.
Portée et conséquences de la cassation
23. La cassation sera limitée aux dispositions de l'arrêt relatives aux peines prononcées et à la période de sûreté. Elle ne s'étendra pas aux dispositions relatives à la déclaration de culpabilité de l'accusé, compte tenu du rejet du moyen de cassation portant sur cette déclaration et sur la régularité de la procédure suivie lors des débats.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur les pourvois formés par M. [V] et le procureur général contre l'arrêt civil :
Les DÉCLARE IRRECEVABLES ;
Sur les pourvois formés par M. [V] et le procureur général contre l'arrêt pénal :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'assises de la Gironde, en date du 2 mars 2023, mais en ses seules dispositions relatives aux peines et à la période de sûreté, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'assises de la Charente, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'assises de la Gironde et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six juin deux mille vingt-quatre.