LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 juin 2024
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 373 F-D
Pourvoi n° F 23-13.805
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 26 JUIN 2024
Mme [T] [H], épouse [L], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° F 23-13.805 contre l'arrêt rendu le 24 janvier 2023 par la cour d'appel de Grenoble (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [R] [G], domicilié [Adresse 4],
2°/ à la société La Médicale, société anonyme, dont le siège est [Adresse 5],
3°/ à M. [D] [X], domicilié [Adresse 4],
4°/ à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), dont le siège est [Adresse 1],
5°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Isère, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bacache-Gibeili, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [L], de la SCP Richard, avocat de M. [G] et de la société La Médicale, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. [X], de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, après débats en l'audience publique du 14 mai 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Bacache-Gibeili, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué ( Grenoble, 24 janvier 2023), Mme [L] a été prise en charge, en mars 2010, par M. [G], chirurgien-dentiste, qui a posé une dent provisoire puis une couronne sur la dent 36 et, à compter de septembre 2010, par M. [X], chirurgien-dentiste. Le 28 mars 2014, une leucoplasie a été mise en évidence, justifiant l'enlèvement de la couronne, le 24 septembre 2014. En décembre 2014, Mme [L] a subi l'ablation partielle de la langue et l'analyse anatomo-pathologique a conclu à l'existence d'un carcinome malpighien invasif.
2. Le 23 septembre 2019, après avoir obtenu une expertise en référé au contradictoire de MM. [G] et [X], Mme [L] a assigné en responsabilité et indemnisation M. [G] et son assureur, la société La Médicale de France, M. [X] et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM), et mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Mme [L] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, d'ordonner une expertise au contradictoire de l'ONIAM et de juger que les conséquences corporelles subies par elle sont consécutives à un aléa thérapeutique indemnisable au titre de la solidarité nationale, alors « que si le juge peut interpréter un rapport d'expertise, il ne saurait cependant le dénaturer ; qu'en l'espèce, l'expertise qui avait été ordonnée par le tribunal de grande instance de Grenoble, statuant en référé, n'avait pas été diligentée au contradictoire de l'ONIAM et avait pour seul but de déterminer si le préjudice corporel subi par Mme [L] était imputable à une faute des docteurs [G] et [X] et si ces derniers l'avaient soignée dans les règles de l'art ; que l'expert judiciaire avait conclu à une absence de faute, soulignant que "les Dr [L] et [X] sont hors de cause. Dans quelques cas rarissimes décrit dans la littérature, la leucoplasie a pour origine le bimétallisme, cela pourrait éventuellement être le cas ici" ; qu'en jugeant néanmoins pour débouter Mme [L] de ses demandes aux fins d'expertise au contradictoire de l'ONIAM et aux fins de prise en charge de son préjudice corporel par la solidarité nationale, fondées notamment sur cette hypothèse diagnostique formulée dans le rapport, que l'expert judiciaire n'avait pas retenu l'existence d'un accident médical non fautif et l'hypothèse d'une leucoplasie liée à du bimétallisme, la cour d'appel a dénaturé ledit rapport violant l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
5. Pour écarter l'existence d'un accident médical indemnisable au titre de la solidarité nationale et rejeter les demandes de Mme [L] à l'égard de l'ONIAM, l'arrêt retient que, si l'expert a exposé que la littérature médicale relève quelques cas rarissimes de leucoplasie liées à du bimétallisme, il n'a pas retenu cette hypothèse.
6.En statuant ainsi, alors que l'expertise, qui n'avait pas été diligentée au contradictoire de l'ONIAM, visait seulement à déterminer si le préjudice subi par Mme [L] était imputable à une faute des chirurgiens-dentistes et qu'après avoir relevé que dans quelques cas rarissimes décrits dans la littérature, la leucoplasie avait pour origine le bimétallisme, l'expert avait précisé que cela pourrait être éventuellement le cas, la cour d'appel, qui a dénaturé le rapport d'expertise, a violé le principe susvisé.
Mise hors de cause
7. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause M. [G] et M. [X], dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté Mme [L] de ses demandes contre l'ONIAM, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile dans les rapports entre l'ONIAM et Mme [L], l'arrêt rendu le 24 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Met hors de cause M. [G] et M. [X] ;
Condamne l'ONIAM aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne l'ONIAM à payer à Mme [L] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six juin deux mille vingt-quatre.