LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 juin 2024
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 586 F-D
Pourvoi n° M 22-24.041
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 JUIN 2024
La société Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes (Matmut), société d'assurance mutuelle, dont le siège est [Adresse 7], venant aux droits de la société Matmut assurances, a formé le pourvoi n° M 22-24.041 contre l'arrêt rendu le 12 octobre 2022 par la cour d'appel de Rennes (5e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [J] [F], domicilié [Adresse 3],
2°/ à M. [V] [T],
3°/ à Mme [Y] [G],
4°/ à Mme [B] [L],
5°/ à Mme [E] [L],
6°/ à Mme [R] [L],
7°/ à M. [S] [L],
tous six domiciliés [Adresse 1],
8°/ à M. [H] [D], domicilié [Adresse 5],
9°/ à Mme [N] [T], épouse [P],
10°/ à Mme [X] [T],
11°/ à M. [H] [T],
12°/ à Mme [K] [T],
tous quatre domiciliés [Adresse 1],
13°/ au syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Adresse 1] à [Localité 10], représenté par son syndic en exercice, la société Foncia Armor, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée société Foncia Rouault,
14°/ à la société Lucian, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 3],
15°/ à la société Quai Sud, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 4],
16°/ à Mme [W] [A], domiciliée [Adresse 8],
17°/ à M. [M] [Z], domicilié [Adresse 9],
18°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 6],
défendeurs à la cassation.
M. [D], le syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Adresse 1] à [Localité 10] et la SCI Quai Sud ont formé un pourvoi provoqué éventuel contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.
Les demandeurs au pourvoi provoqué éventuel invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Cassignard, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes (Matmut), de la SARL Gury & Maitre, avocat de M. [D], du syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Adresse 1] à [Localité 10] et de la SCI Quai Sud, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [F] et de la SCI Lucian, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Axa France IARD, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de Mme [G], Mme [B] [L], Mme [E] [L], Mme [R] [L] et M. [L], de la SCP Richard, avocat de Mme [N] [T], épouse [P], Mme [X] [T], M. [T] et Mme [K] [T], et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 mai 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Cassignard, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Non-lieu à statuer sur le pourvoi provoqué éventuel formé par le syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 10], la SCI Quai Sud et M. [D]
1. Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 10], la SCI Quai Sud et M. [D] ont formé le 5 juin 2023 un pourvoi provoqué éventuel, qui n'a lieu d'être examiné qu'en cas de pourvoi incident ou provoqué formé à l'encontre des chefs de dispositif écartant la responsabilité du syndicat des copropriétaires.
2. Cependant, aucun pourvoi n'a été formé à l'encontre de ces chefs de dispositif.
3. En conséquence, il n'y a pas lieu de statuer sur ce pourvoi.
Désistement partiel
4. Il est donné acte à la société Matmut du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Axa France IARD et contre M. [Z].
Faits et procédure
5. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 12 octobre 2022), dans la nuit du 20 au 21 septembre 2007, M. [Z] a pénétré par effraction dans un immeuble et a allumé un feu dans les parties communes, qui a causé la destruction totale de l'immeuble et le décès de trois personnes. Il a été reconnu coupable de ces faits et condamné à une peine et au versement de dommages et intérêts aux parties civiles constituées.
6. Reprochant à Mme [A], habitante de l'immeuble, d'avoir involontairement participé à l'incendie en entreposant des cartons dans les parties communes, plusieurs copropriétaires l'ont assignée en réparation de leurs préjudices devant un tribunal de grande instance. La société Matmut, assureur de Mme [A], est intervenue volontairement à l'instance. Le syndicat des copropriétaires a assigné la société Matmut ainsi que son propre assureur. Les instances ont été jointes.
Examen des moyens
Sur le moyen, pris en ses deux premières branches, du pourvoi principal formé par la société Matmut
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche, du même pourvoi
Enoncé du moyen
8. La société Matmut fait grief à l'arrêt de juger Mme [A] responsable des dommages survenus lors de l'incendie de l'immeuble [Adresse 1] dans la nuit du 20 au 21 septembre 2007, de juger qu'elle doit garantir les condamnations mises à la charge de Mme [A], et en conséquence, de les condamner in solidum à indemniser les victimes, alors « que le fait de laisser temporairement des cartons dans un hall d'immeuble dont l'accès est restreint par la présence d'un digicode est sans lien de causalité avec les dommages résultant de l'incendie volontairement déclenché par un tiers, seul événement à l'origine première et déterminante des entiers dommages ; qu'en retenant l'existence d'un lien de causalité entre l'entreposage des cartons et les conséquences dommageables de l'incendie au seul motif qu'en l'absence des cartons, l'incendie n'aurait pas pu se produire ou se propager comme il l'a fait, a cour d'appel a violé les articles 1382 et 1384 anciens devenus 1240 et 1242, alinéa 2 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1384, alinéa 2, du code civil, alors applicable :
9. Pour déclarer Mme [A] responsable, l'arrêt relève qu'elle a entreposé, à compter du 15 septembre 2007, des cartons représentant un volume important dans le hall d'entrée de l'immeuble, et les y a laissés, sans surveillance ni mesure particulière de sécurité, jusqu'à l'incendie, intervenu dans la nuit du 20 au 21 septembre, en dépit des demandes d'enlèvement qui lui avaient été adressées, en méconnaissance de l'article 9 de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis et en violation du règlement intérieur de la copropriété affiché dans le hall.
10. L'arrêt observe que selon l'expert, l'énergie thermique dégagée par l'incendie de 10 kg de cartons d'emballage est comparable à celle résultant de l'incendie de 10 kg de bois de sapin, que la vitesse de combustion du carton est largement supérieure à celle du bois de sapin et qu'entre la mise à feu des cartons d'emballage et l'inflammation instantanée des éléments combustibles du hall d'entrée, il ne s'est écoulé que 35 minutes. Il constate que, si Mme [A] a indiqué que d'autres personnes avaient ajouté des cartons sur les siens, il n'y a pas d'éléments probants le justifiant. Il ajoute que, quand bien même M. [Z] a commencé par allumer un carton qui n'aurait pas appartenu à Mme [A], il l'a ensuite jeté sur les autres cartons, dont ceux de Mme [A], et que sans les cartons de cette dernière, l'incendie n'aurait pu se produire ou se propager comme il l'a fait.
11. L'arrêt retient que Mme [A] ne peut invoquer la force majeure résultant de l'intervention criminelle de M. [Z], et qu'aucun élément ne permet de corroborer l'affirmation selon laquelle l'incendie se serait produit même si les cartons n'avaient pas été stockés dans le hall.
12. Il en déduit que Mme [A] a commis une faute qui a contribué à la naissance et au développement de l'incendie, justifiant de retenir sa responsabilité dans celui-ci et de la condamner in solidum avec la société Matmut à l'indemnisation des dommages.
13. En statuant ainsi, par des motifs dont il ne résulte pas l'existence d'un lien de causalité entre la faute de Mme [A] et l'incendie, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a:
- reçu l'intervention volontaire de M. [D] et de la SCI Quai Sud, de M. [L] et de Mme [G],
- rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée par la cour d'assises,
- rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir des consorts [T],
- dit que le syndicat des copropriétaires de l'immeuble n'était pas responsable des dommages survenus dans la nuit du 20 au 21 septembre 2007 et débouté les parties de leurs demandes dirigées contre lui ;
et sauf en ce que, statuant à nouveau, il :
-juge irrecevables les demandes du syndicat des copropriétaires en ce qu'elles sont dirigées contre la société Axa France IARD
-juge irrecevables les demandes de M. [F] et la SCI Lucian en ce qu'elles sont dirigées contre la société Axa France IARD
-met hors de cause la société Axa France IARD en sa qualité d'assureur multirisques de l'immeuble et en qualité d'assureur incendie du contrat multirisques de l'immeuble ;
l'arrêt rendu le 12 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée ;
Condamne in solidum M. [F], les consorts [T], Mme [G], les consorts [L], M. [D], la SCI Lucian, la SCI Quai Sud et le syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 10] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne in solidum M. [F], les consorts [T], Mme [G], les consorts [L], M. [D], la SCI Lucian, la SCI Quai Sud et le syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 10] à payer à la société Matmut la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes.
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt juin deux mille vingt-quatre.