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19/06/2024 | FRANCE | N°52400656

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 19 juin 2024, 52400656


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


SOC.


CZ






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 19 juin 2024








Cassation partielle




M. SOMMER, président






Arrêt n° 656 FS-B


Pourvoi n° M 21-20.288








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 19 JUIN 2024


La caisse Congés intempéries BTP de la région Méditerranée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la caisse Congés intempéries BTP Côte d'Azur Corse, a f...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CZ

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 19 juin 2024

Cassation partielle

M. SOMMER, président

Arrêt n° 656 FS-B

Pourvoi n° M 21-20.288

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 19 JUIN 2024

La caisse Congés intempéries BTP de la région Méditerranée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la caisse Congés intempéries BTP Côte d'Azur Corse, a formé le pourvoi n° M 21-20.288 contre l'arrêt rendu le 3 juin 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-2), dans le litige l'opposant à la société Lambda, société anonyme, dont le siège est ul. [Adresse 3] (Pologne), défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la caisse Congés intempéries BTP de la région Méditerranée, de la SCP Spinosi, avocat de la société Lambda, et l'avis de M. Halem avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 mai 2024 où étaient présents M. Sommer, président, M. Flores, conseiller rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, M. Rouchayrole, Mmes Deltort, Le Quellec, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, Techer, Rodrigues, conseillers référendaires, M. Halem, avocat général référendaire, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 3 juin 2021), la société Lambda (la société), de droit polonais, exploite une entreprise de travaux de construction industrielle et de bâtiment. Elle a obtenu, en 2012, un marché sur le chantier de construction du stade [2] de la ville de [Localité 4].

2. Le 12 mai 2015, la caisse de congés intempéries BTP de la Côte d'Azur, aux droits de laquelle vient la caisse Congés intempéries BTP de la région Méditerranée (la caisse), a fait assigner la société devant un tribunal de commerce pour obtenir notamment sa condamnation à lui transmettre la déclaration de salaires et appointements du mois de février 2013 au mois de janvier 2015 et à lui payer certaines sommes.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La caisse fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes, alors :

« 1° / que l'employeur qui détache temporairement un salarié sur le territoire national doit lui garantir une égalité de traitement avec les salariés employés par les entreprises de la même branche d'activité établies sur le territoire national, en assurant le respect des dispositions légales et des stipulations conventionnelles applicables aux salariés employés par les entreprises de la même branche d'activité établies sur le territoire national, en matière de législation du travail ; qu'il doit ainsi, lorsque son activité s'exerce dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, respecter les conditions d'assujettissement aux caisses de congés et intempéries, l'adhésion obligatoire à ces dernières constituant une mesure nécessaire à la protection de la santé, des droits et libertés d'autrui au sens de l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par exception, l'employeur détachant peut s'exonérer de cette obligation s'il prouve que les salariés de son entreprise "bénéficient de leurs droits à congés, pour la période de détachement en France, dans des conditions au moins équivalentes à celles prévues par la législation française" (art. D. 3141-26 du code du travail) ; qu'il s'ensuit que l'employeur détachant ne peut pas, pour justifier cette exonération, se borner à établir que ses salariés se sont vus accorder pendant la période de détachement des droits à congés payés équivalents à ceux qui sont prévus par la législation française, pas plus que l'employeur français ne peut le faire lui-même sur le territoire français ; qu'il doit établir que, dans son propre pays, il existe un dispositif analogue à celui des caisses de congés et intempéries françaises de nature à assurer aux salariés une protection de la santé et des droits et libertés au moins équivalente à celle qu'elles procurent sur le territoire français, conformément à la loi française ; qu'en l'espèce, pour justifier que la société Lambda n'ait pas à s'affilier à la Caisse, la cour a retenu que la lettre de "l'article L. 3141-26" [en réalité : D. 3141-26] prévoit que l'entreprise détachante "peut se dispenser d'adhérer à la caisse de congés payés si elle démontre que, pour la période de détachement, elle a accordé à ses salariés des droits à congés payés au moyen équivalents à ceux prévus par la législation française" ; qu'en se déterminant ainsi, quand le texte visé ne fait pas référence au simple octroi des droits à congés payés au salarié détaché, mais aux conditions dans lesquelles le bénéfice de ces droits lui est accordé, la cour a violé l'article D. 3141-26 du code du travail par fausse application, ensemble les articles L. 1262-4,7° et D. 3141-12 du même code ;

2°/ que les entreprises intervenant dans le secteur du bâtiment et des travaux publics établies dans un autre État membre de l'Union européenne ou dans l'un des autres États partie à l'accord sur l'Espace économique européen, peuvent s'exonérer des obligations relatives notamment à l'adhésion obligatoire à la Caisse si elles justifient que leurs salariés bénéficient de leurs droits à congés payés pour la période de détachement dans des conditions au moins équivalentes à celles prévues par la législation française ; que, cependant, l'adhésion obligatoire prévue en France est une mesure nécessaire à la protection de la santé, des droits et libertés d'autrui au sens de l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le simple versement des droits à congés par l'employeur détachant n'autorise pas qu'il soit exonéré de cette adhésion, puisqu'il ne suffit pas non plus à en exonérer l'employeur français opérant sur le territoire français ; que la dispense d'adhésion ne peut se justifier que parce que le pays de l'employeur détachant offre lui-même au salarié détaché ce que l'adhésion à la Caisse offre aux salariés du même secteur en France ; que, pour justifier l'absence d'obligation de la société polonaise Lambda à adhérer à la Caisse pour l'activité de ses salariés détachés en France, la cour s'est bornée à constater que ladite société avait accordé à ses salariés des droits à congés payés au moins équivalents à ceux prévus par la législation française ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les salariés détachés bénéficiaient en Pologne d'un régime de protection au moins équivalent à celui que procure la Caisse en France, à laquelle l'adhésion est rendue nécessaire et obligatoire parce qu'elle assure au salarié la protection susvisée, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1262-4,7° et D. 3141-26 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1262-4,7°, L. 3141-30, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, D. 3141-12, D. 3141-14 et D. 3141-26, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2016-1553 du 18 novembre 2016, du code du travail :

4. L'adhésion obligatoire prévue en France par les articles L. 3141-30, L. 3141-32 et D. 3141-12 du code du travail aux caisses de congés payés est une mesure nécessaire à la protection de la santé, des droits et libertés d'autrui au sens de l'article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. L'entreprise, qui se doit de respecter les règles de cette affiliation en réglant ses cotisations, n'est pas fondée à se prévaloir d'un paiement direct et libératoire des congés payés à ses salariés pour s'opposer au paiement des cotisations dues à la caisse compétente (Soc. 16 décembre 2015, pourvoi n° 14-17.394).

5. Dans son arrêt du 25 octobre 2001 (CJCE, 25 octobre 2001, Finalarte Sociedade de Construção Civil Lda C/ Urlaubs- und Lohnausgleichskasse der Bauwirtschaft (C-49/98) e.a., C-52/98, C-53/98, C-54/98, C-68/98, C-69/98, C-70/98, C-71/98), la Cour de justice des communautés européennes a dit pour droit : Les articles 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE) et 60 du traité CE (devenu article 50 CE) ne s'opposent pas à ce qu'un État membre impose à une entreprise établie dans un autre État membre, qui effectue une prestation de services sur le territoire du premier État membre, une réglementation nationale, telle que celle qui résulte de l'article 1er, paragraphe 3, première phrase, de l'Arbeitnehmerentsendegesetz (loi allemande sur le détachement des travailleurs), garantissant aux travailleurs détachés à cette fin par l'entreprise des droits à des congés payés, à condition, d'une part, que les travailleurs ne bénéficient pas d'une protection essentiellement comparable en vertu de la législation de l'État membre d'établissement de leur employeur, de sorte que l'application de la réglementation nationale du premier État membre leur apporte un avantage réel qui contribue, de manière significative, à leur protection sociale, et, d'autre part, que l'application de cette réglementation du premier État membre soit proportionnée à l'objectif d'intérêt général poursuivi.

6. Selon le premier des textes susvisés, les employeurs détachant temporairement des salariés sur le territoire national sont soumis aux dispositions légales et aux stipulations conventionnelles applicables aux salariés employés par les entreprises de la même branche d'activité établies en France, en matière de législation du travail, pour ce qui concerne les conditions d'assujettissement aux caisses de congés payés et intempéries.
7. Aux termes du dernier de ces textes, les entreprises mentionnées à l'article D. 3141-14, établies dans un autre Etat membre de la Communauté européenne ou dans l'un des autres Etats partie à l'accord sur l'Espace économique européen, peuvent s'exonérer des obligations figurant à la présente sous-section si elles justifient que leurs salariés bénéficient de leurs droits à congés payés pour la période de détachement dans des conditions au moins équivalentes à celles prévues par la législation française.

8. Il en résulte que, pour s'exonérer de l'obligation d'affiliation à la caisse de congés payés, l'employeur doit justifier que les droits à congés payés accordés aux salariés détachés sont du même niveau que ceux prévus par le droit français, mais aussi qu'ils peuvent être effectivement exercés dans des conditions au moins équivalentes à celles résultant du mécanisme d'adhésion à la caisse de congés payés.

9. Pour débouter la caisse de l'ensemble de ses demandes, l'arrêt retient que la société, qui établit qu'elle a accordé aux salariés détachés, pendant le temps de leur détachement sur le sol français, des droits à congés équivalents à ceux prévus par la législation française, n'avait pas l'obligation de s'affilier à la caisse de congés payés.

10. En se déterminant ainsi, sans vérifier que les droits à congés payés accordés aux salariés détachés pouvaient être effectivement exercés dans des conditions au moins équivalentes à celles résultant du mécanisme d'adhésion à la caisse de congés payés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il reçoit en son intervention volontaire la caisse Congés intempéries BTP Méditerranée venant aux droits de la caisse Congés intempéries BTP Côte d'Azur Corse et déboute la caisse Congés intempéries BTP de sa demande de rejet des pièces et conclusions déposées au RPVA le 8 mars 2021 par la société Lambda, l'arrêt rendu le 3 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne la société Lambda aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Lambda et la condamne à payer à la caisse Congés intempéries BTP de la région Méditerranée la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf juin deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 52400656
Date de la décision : 19/06/2024
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Analyses

TRAVAIL REGLEMENTATION, DUREE DU TRAVAIL - Repos et congés - Congés payés - Caisse de congés payés - Régimes particuliers - Bâtiment et travaux publics - Affiliation - Employeur - Obligation - Exonération - Conditions - Cas - Employeur établi sur le territoire de l'Union européenne - Salarié détaché sur le sol français - Portée

Il résulte de l'article D. 3141-26 du code du travail, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2016-1553 du 18 novembre 2016, que, pour s'exonérer de l'obligation d'affiliation à la caisse de congés payés, l'employeur doit justifier que les droits à congés payés accordés aux salariés détachés sont du même niveau que ceux prévus par le droit français, mais aussi qu'ils peuvent être effectivement exercés dans des conditions au moins équivalentes à celles résultant du mécanisme d'adhésion à la caisse de congés payés


Références :

Articles L. 1262-4, 7°, et L. 3141-30, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, du code du travail

articles D. 3141-12, D. 3141-14 et D. 3141-26 du code du travail, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2016-1553 du 18 nove
mbre 2016.
Publié au bulletin

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix en Provence, 03 juin 2021

Sur les conditions d'exonération, pour un employeur recourant à des salariés détachés, de l'obligation d'affiliation à une caisse de congés payés instituée sur le lieu du détachement, cf : CJCE, arrêt du 25 octobre 2001, Finalarte Sociedade de Construção Civil Lda / Urlaubs- und Lohnausgleichskasse der Bauwirtschaft, C 49/98.


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 19 jui. 2024, pourvoi n°52400656


Composition du Tribunal
Président : M. Sommer
Avocat(s) : SCP L. Poulet-Odent, SCP Spinosi

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:52400656
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