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19/06/2024 | FRANCE | N°42400376

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 19 juin 2024, 42400376


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


COMM.


MB






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 19 juin 2024








Rejet




M. VIGNEAU, président






Arrêt n° 376 F-B


Pourvoi n° R 22-24.689








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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La société Dutyfly solutions, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5], a formé le pourvoi n° R 22-24.689 contre l'arrêt rend...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

MB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 19 juin 2024

Rejet

M. VIGNEAU, président

Arrêt n° 376 F-B

Pourvoi n° R 22-24.689

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 19 JUIN 2024

La société Dutyfly solutions, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5], a formé le pourvoi n° R 22-24.689 contre l'arrêt rendu le 24 octobre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 10), dans le litige l'opposant :

1°/ au directeur régional des douanes et des droits indirects de [Localité 3] fret, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ au receveur régional des douanes de [Localité 3] fret, dont le siège est [Adresse 2],

3°/ à la directrice générale des douanes et des droits indirects, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Tostain, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Dutyfly solutions, de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur régional des douanes et des droits indirects de [Localité 3] fret, du receveur régional des douanes de [Localité 3] fret et de la directrice générale des douanes et des droits indirects, après débats en l'audience publique du 7 mai 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Tostain, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 octobre 2022), rendu sur renvoi après cassation (Com., 23 juin 2021, pourvoi n° 19-12.407), la société Dutyfly solutions (la société Dutyfly) a été victime, le 4 décembre 2013, d'un vol de tabac manufacturé, détenu sous le régime de suspension de droits d'accise.

2. Après ce vol, l'administration des douanes a procédé à un recensement des alcools et tabacs détenus par la société Dutyfly, puis lui a notifié un avis de mise en recouvrement (AMR) des sommes dues au titre du droit de consommation sur les cigarettes par application des articles 575 et 575 A du code général des impôts.

3. La société Dutyfly a assigné l'administration des douanes en annulation de cet AMR et en décharge des droits mis en recouvrement.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La société Dutyfly fait grief à l'arrêt de rejeter toutes ses demandes, alors :

« 1°/ que lorsque le produit est mis à la consommation, l'impôt est dû par la personne qui met à la consommation ; que l'arrêt attaqué constate que les marchandises ont été mises à la consommation, du fait de leur sortie irrégulière du régime de suspension de droits sous lequel elles étaient placées, par suite de leur vol survenu le 4 décembre 2013 dans l'entrepôt fiscal de la société Dutyfly ; qu'en jugeant pourtant que la société Dutyfly était redevable des droits d'accise sur les marchandises placées dans son entrepôt sous régime suspensif et qui en sont sorties par l'effet du vol, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 302 D du code général des impôts ;

2°/ que lorsque les marchandises sont irrégulièrement sorties du régime suspensif de droits de l'entrepôt douanier, l'entrepositaire agréé n'est redevable des droits d'accise devenus exigibles qu'en l'absence de toute autre personne ayant participé à cette sortie ; qu'en jugeant au contraire que l'article 8, paragraphe 1, sous a), i), de la directive 2008/118/CE du Conseil du 16 décembre 2008 relative au régime général d'accise et abrogeant la directive 92/12/CEE ouvrait une option à l'administration des douanes, tant l'entrepositaire agréé que la personne ayant participé à la sortie irrégulière des marchandises étant redevables de l'intégralité des droits d'accise, la cour d'appel a encore violé l'article 8 de la directive 2008/118 ;

3°/ que le juge national a l'obligation de laisser inappliquée toute disposition contraire à une disposition du droit de l'Union qui est d'effet direct dans le litige dont il est saisi ; qu'en se bornant à retenir que le texte de droit interne de transposition de la directive 2008/118, dont l'article 8 prévoit que le redevable des droits d'accise en cas de sortie irrégulière des marchandises du régime suspensif est la personne ayant participé à cette sortie, n'a pas prévu de désignation alternative du redevable, quand il lui appartenait de laisser inappliquées ces dispositions contraires, la cour d'appel a violé les articles 88-1 de la Constitution, 4 du Traité sur l'Union européenne, 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et 8 de la directive 2008/118, ensemble les principes généraux de primauté et d'effectivité du droit de l'Union européenne. »

Réponse de la Cour

5. En premier lieu, selon l'article 302 D, I, 2, 2°, du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011, dans le cas de déchets ou de pertes qui ne sont pas exonérés de droits, l'impôt est dû par la personne chez laquelle ces déchets ou ces pertes ont été constatés.

6. Ayant retenu que les droits d'accise litigieux étaient devenus exigibles en application de l'article 302 D, I, 1, 2°, du code général des impôts dès lors que la perte des produits par suite du vol survenu le 4 décembre 2013 dans l'entrepôt de la société Dutyfly ne présentait pas un caractère irrémédiable, la cour d'appel en a exactement déduit que le redevable de ces droits était, en application de l'article 302 D, I, 2, 2°, du code général des impôts, la personne chez laquelle cette perte non exonérée de droits d'accise avait été constatée, soit la société Dutyfly.

7. En second lieu, l'article 8, paragraphe 1, sous a), i), de la directive 2008/118/CE du 16 décembre 2008 relative au régime général d'accise et abrogeant la directive 92/12/CEE (la directive 2008/118), dispose :

« 1. La personne redevable des droits d'accise devenus exigibles est :

a) en ce qui concerne la sortie de produits soumis à accise d'un régime de suspension de droits visée à l'article 7, paragraphe 2, point a) :

i) l'entrepositaire agréé, le destinataire enregistré ou toute autre personne procédant à la sortie des produits soumis à accise du régime de suspension de droits ou pour le compte de laquelle il est procédé à cette sortie ou, en cas de sortie irrégulière de l'entrepôt fiscal, toute autre personne ayant participé à cette sortie. »

8. La Cour de justice de l'Union européenne juge qu'il y a lieu d'interpréter la directive 2008/118 conformément aux objectifs poursuivis par celle-ci, parmi lesquels figure la lutte contre la fraude, l'évasion fiscale et les abus éventuels, et que cette directive établit le régime général des droits d'accise frappant directement ou indirectement la consommation des produits qui y sont énumérés, et ce, notamment, afin que l'exigibilité de l'accise soit identique dans tous les États membres et que la dette fiscale y afférente soit effectivement recouvrée (arrêt du 10 juin 2021, Commissioners for Her Majesty's Revenue and Customs (Agent innocent), C-279/19, points 31 et 32).

9. Elle a retenu qu'en ayant étendu, à l'article 38 de la directive 2008/118, la liste des redevables des droits d'accise à toute personne ayant participé à l'irrégularité, le législateur de l'Union avait entendu définir largement les personnes susceptibles d'être redevables du paiement des droits d'accise en cas d'irrégularités, et ce, de façon à assurer autant que possible le recouvrement de ces droits (arrêt du 17 octobre 2019, Comida paralela 12, C-579/18, point 37).

10. Sous l'empire de la directive 92/12/CEE du 25 février 1992 relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (la directive 92/12), qui laissait le soin aux Etats membres de déterminer les modalités de perception et de recouvrement de l'accise devenue exigible et ne spécifiait pas quelle était la personne redevable des droits d'accise, la Cour de justice a jugé qu'il découlait de l'économie de cette directive, ainsi que de son neuvième considérant, que les autorités nationales devaient, en tout état de cause, veiller à ce que la dette fiscale soit effectivement recouvrée (arrêt du 5 avril 2001, Van de Water, C-325/99, point 41).

11. Saisie de la question de savoir si l'article 14, paragraphe 1, première phrase, de la directive 92/12 devait être interprété en ce sens que, en cas de sortie irrégulière du produit soumis à accise, la responsabilité de l'entrepositaire garant du paiement des droits était de nature objective, sans possibilité de se dégager de l'obligation et du paiement des sommes correspondant aux sanctions respectives, même lorsque cette sortie dépend d'un acte illicite ¿ exclusivement ¿ imputable à un tiers, la Cour de justice a dit pour droit que la franchise de taxe que cet article prévoit ne s'applique pas à l'entrepositaire, responsable du paiement des droits, dans le cas d'une sortie du régime suspensif due à un acte illicite, même lorsque l'entrepositaire est totalement étranger à cet acte illicite, exclusivement imputable à un tiers, et qu'il a une confiance légitime dans le fait que le produit circule régulièrement en régime de suspension des droits (arrêt du 7 septembre 2023, KRI SpA, C-323/22).

12. Dans l'arrêt précité KRI SpA, la Cour de justice a retenu que le législateur de l'Union avait conféré un rôle central à l'entrepositaire agréé dans le cadre de la procédure de circulation des produits soumis à accise et placés sous un régime suspensif, que cet entrepositaire, en sa qualité de personne physique ou morale autorisée par les autorités compétentes d'un État membre à produire, transformer, détenir, recevoir et expédier des produits soumis à accise en régime suspensif dans l'exercice de son activité professionnelle, est, par conséquent, désigné comme étant le redevable du paiement des droits d'accise lorsqu'une irrégularité ou une infraction entraînant l'exigibilité de ceux-ci a été commise au cours de la circulation de ces produits et que cette responsabilité est, en outre, objective et repose non pas sur la faute prouvée ou présumée de l'entrepositaire, mais sur sa participation à une activité économique (arrêt KRI SpA, précité, points 55 et 56 ; également en ce sens, arrêts du 24 mars 2022, TanQuid Polska, C-711/20, point 43, du 24 février 2021, Silcompa SpA, C-95/19, point 52, et du 2 juin 2016, Kapnoviomichania Karelia AE, C-81/15, points 31 et 32).

13. Par ailleurs, aux termes de l'article 8, paragraphe 2, de la directive 2008/118, lorsque plusieurs débiteurs sont redevables d'une même dette liée à un droit d'accise, ils sont tenus au paiement de cette dette à titre solidaire.

14. Il s'ensuit qu'au regard des objectifs de la directive 2008/118, et de son économie générale qui est d'assurer que la dette d'accise est effectivement recouvrée, l'article 8, paragraphe 1, sous a), i), de cette directive ne peut s'interpréter qu'en ce sens qu'en cas de sortie irrégulière de l'entrepôt fiscal des produits soumis à accise, sont redevables des droits d'accise devenus exigibles tant l'entrepositaire agréé que toute personne ayant participé à cette sortie.

15. Les griefs des deuxième et troisième branches, qui postulent le contraire, manquent en droit.

16. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Dutyfly solutions aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Dutyfly solutions et la condamne à payer à la directrice générale des douanes et droits indirects, au receveur régional des douanes de [Localité 3] fret et au directeur régional des douanes et droits indirects de [Localité 3] fret la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf juin deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 42400376
Date de la décision : 19/06/2024
Sens de l'arrêt : Rejet

Analyses

L'article 8, § 1, sous a), i), de la directive 2008/118/CE du Conseil du 16 décembre 2008 relative au régime général d'accise et abrogeant la directive 92/12/CEE s'interprète en ce sens qu'en cas de sortie irrégulière de l'entrepôt fiscal des produits soumis à accise, sont redevables des droits d'accise devenus exigibles tant l'entrepositaire agréé que toute personne ayant participé à cette sortie


Références :

Publié au bulletin

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 24 octobre 2022


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 19 jui. 2024, pourvoi n°42400376


Composition du Tribunal
Président : M. Vigneau
Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Foussard et Froger

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:42400376
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