LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 juin 2024
Cassation
M. SOMMER, président
Arrêt n° 620 FS-B
Pourvoi n° K 23-14.292
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 12 JUIN 2024
Le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, établissement public à caractère industriel et commercial, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 23-14.292 contre l'arrêt rendu le 2 février 2023 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant à M. [N] [S], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. [S], et l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 mai 2024 où étaient présents M. Sommer, président, M. Barincou, conseiller rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, MM. Pietton, Seguy, Mmes Douxami, Brinet, conseillers, Mme Prieur, M. Carillon, Mme Maitral, M. Redon, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 2 février 2023), M. [S] a été engagé, en qualité de technicien supérieur, le 21 septembre 1993 par l'établissement public à caractère technique et industriel Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
2. Le 1er septembre 2016, il a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement puis devant le conseil conventionnel auquel l'employeur a soumis une proposition de mise à pied d'un mois.
3. Licencié pour faute par lettre du 11 octobre 2016, le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour contester cette rupture.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de déclarer sans cause réelle et sérieuse le licenciement et de le condamner à payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, alors :
« 1°/ que l'employeur a pour obligation de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir ou de faire cesser les agissements dégradant à connotation sexuelle et attentatoire à la dignité, au besoin en procédant au licenciement du salarié auteur de tels agissements ; que constitue ainsi une faute justifiant le licenciement tout comportement d'un salarié de nature insultante, humiliante, dégradante, sexiste ou de nature sexuelle à l'égard d'autres salariés ; qu'en l'espèce, le salarié a été licencié pour faute pour avoir adopté à l'égard de plusieurs de ses collègues de sexe féminin un comportement inconvenant, notamment des propos répétés à connotation sexuelle, sexistes, insultants, humiliants et dégradants à leur égard ; que selon les propres constatations de l'arrêt il ressort des attestations de Mmes [R] et [O] que les 2 et 3 juillet 2016, M. [S] a tenu des propos à connotation sexuelle et insultants à leurs égards auprès d'autres collègues de travail. Ainsi, Mme [R] précise que : « un de mes collaborateurs qui avait été invité par [N] [S], me rapporte que celui-ci avait dit de moi que j'étais une partouzeuse, que j'avais une belle chatte et que j'aimais les femmes. Il a également parlé en des termes salaces d'[F] [O] et de sa nouvelle relation masculine »" ; que l'arrêt a ainsi constaté la matérialité du comportement fautif de M. [S] relevant que l'employeur établit suffisamment le grief reproché à M. [S] dans la lettre de licenciement en date du 11 octobre 2016, à savoir avoir tenu des propos à connotation sexuelle, insultants, humiliants et dégradants à l'encontre de deux collègues de sexe féminin. Finalement, il ressort des attestations de Mmes [R], [C], [O] et [I], ainsi que du procès-verbal de la séance du 6 octobre 2016 du conseil conventionnel du CEA que M. [S] avait tenu, par le passé, des propos similaires, à connotation sexuelle, insultants et dégradants, à leur encontre" ; qu'en écartant pourtant la faute et le caractère réel et sérieux du licenciement, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 1232-1, L. 1235-1 et L. 1235-3 du code du travail, ensemble les articles L. 4121-1, L. 4121-2 et L. 1142-2-1 du code du travail ;
2°/ que les propos à connotation sexuelle, sexistes, insultants, humiliants et dégradants d'un salarié à l'égard de collègues féminines, et ce de manière réitérée pendant plusieurs années, constituent une faute justifiant le licenciement, nonobstant le fait que ce comportement réitéré n'ait pas immédiatement été sanctionné ou qu'il ait pu être toléré dans un premier temps par ses supérieurs ; que compte tenu de son obligation de préservation de la santé de ses salariés et de son obligation de les protéger du comportement attentatoire à leur dignité, le fait pour l'employeur de ne pas avoir immédiatement licencié le salarié fautif et de l'avoir uniquement sermonné" dans un premier temps, ne lui conférait pas une immunité pour l'avenir contre toute mesure de licenciement et ne privait pas l'employeur de sa faculté de le licencier par la suite du fait de la réitération de ces manquements ; qu'aussi en se fondant sur les motifs impropres selon lesquels l'employeur avait dans un premier temps eu connaissance des propos inappropriés du salarié sans réagir et sans le sanctionner et que son supérieur l'avait sermonné" par le passé sans immédiatement déclencher de procédure disciplinaire à son encontre, cependant que ces circonstances ne prémunissaient pas le salarié contre une mesure de licenciement à l'avenir et ne privaient pas le CEA de son droit, et plus encore de son obligation, de procéder au licenciement du salarié fautif afin de sanctionner sa faute et de mettre fin à son comportement attentatoire aux droits et à la santé des salariées victimes de ses propos à connotation sexuelle, insultants, humiliants et dégradants, la cour d'appel a violé les articles L. 1232-1, L. 1235-1 et L. 1235-3 du code du travail, ensemble les articles L. 4121-1, L. 4121-2 et L. 1142-2-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1142-2-1, L. 1232-1, L. 1235-1, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail :
5. Aux termes du premier de ces textes, nul ne doit subir d'agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d'une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.
6. Il résulte des troisième et quatrième de ces textes que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et faire cesser notamment les agissements sexistes.
7. Pour dire le licenciement du salarié sans cause réelle et sérieuse et condamner l'employeur à lui payer en conséquence une somme à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient que, les 2 et 3 juillet 2016, le salarié a tenu, auprès de certains collègues de travail, des propos à connotation sexuelle, insultants, humiliants et dégradants à l'encontre de deux autres collègues de sexe féminin, indiquant notamment que l'une d'elles « était une partouzeuse », « avait une belle chatte » et « aimait les femmes » et parlant en des termes salaces d'une autre collègue et de sa nouvelle relation masculine.
8. Il énonce également que le salarié avait tenu, par le passé, des propos similaires, à connotation sexuelle, insultants et dégradants, à leur encontre et que sa hiérarchie en était informée mais ne l'avait pas sanctionné.
9. Relevant enfin que l'employeur envisageait initialement une mise à pied disciplinaire d'un mois et que le licenciement avait été sollicité par un représentant syndical au conseil conventionnel, l'arrêt en déduit que ce licenciement apparaît disproportionné, aucune sanction antérieure n'ayant été prononcée pour des faits similaires, alors que l'employeur en avait connaissance.
10. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le salarié avait tenu envers deux de ses collègues, de manière répétée, des propos à connotation sexuelle, insultants et dégradants, ce qui était de nature à caractériser, quelle qu'ait pu être l'attitude antérieure de l'employeur tenu à une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, un comportement fautif constitutif d'une cause réelle et sérieuse fondant le licenciement décidé par l'employeur, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 février 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;
Condamne M. [S] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze juin deux mille vingt-quatre.