La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/06/2024 | FRANCE | N°52400619

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 12 juin 2024, 52400619


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


SOC.


ZB1






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 12 juin 2024








Renvoi devant la cour de justice de l'Union européenne




M. SOMMER, président






Arrêt n° 619 FS-D


Pourvoi n° F 22-10.903








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAISr> _________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 12 JUIN 2024


La Société nouvelle de l'hôtel Plaza, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], ayant un établissement [Adresse...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

ZB1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 12 juin 2024

Renvoi devant la cour de justice de l'Union européenne

M. SOMMER, président

Arrêt n° 619 FS-D

Pourvoi n° F 22-10.903

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 12 JUIN 2024

La Société nouvelle de l'hôtel Plaza, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], ayant un établissement [Adresse 1], a formé le pourvoi n° F 22-10.903 contre l'arrêt rendu le 25 novembre 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-5), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [B] [G], domiciliée [Adresse 3],

2°/ à Pôle emploi, direction régionale PACA, dont le siège est [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.

Mme [G] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Pietton, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la Société nouvelle de l'hôtel Plaza, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [G], l'avis écrit de M. [J] et l'avis oral de Mme Grivel, avocats généraux, après débats en l'audience publique du 14 mai 2024 où étaient présents M. Sommer, président, M. Pietton, conseiller rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, MM. Barincou, Seguy, Mmes Douxami, Brinet, conseillers, Mme Prieur, M. Carillon, Mme Maitral, M. Redon, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 25 novembre 2021), Mme [G] a été engagée en qualité de chef de projet senior le 12 octobre 1992 par la Société nouvelle de l'hôtel Plaza (la société). Celle-ci a confié les tâches de bagagiste et de femme de chambre à un prestataire de services.

2. En septembre 2018, la société a informé son personnel que l'hôtel allait fermer afin que soient effectués des travaux de rénovation de grande ampleur. Aux motifs que cette fermeture entraînait un arrêt de l'exploitation de l'hôtel pendant au moins 20 mois, la société a engagé une procédure de licenciement collectif pour motif économique à l'égard de l'ensemble du personnel d'exploitation, en supprimant 29 postes.

3. Le licenciement pour motif économique de la salariée lui a été notifié à titre conservatoire par courrier du 22 janvier 2019 et cette dernière a accepté le 29 janvier 2019 le contrat de sécurisation professionnelle qui lui avait été proposé, les relations contractuelles ayant pris fin le 31 janvier 2019 à l'issue du délai de réflexion dont elle disposait.

4. Après avoir saisi, le 5 décembre 2018, la juridiction prud'homale de demandes en résiliation judiciaire du contrat aux torts de l'employeur et paiement de différentes sommes, la salariée a maintenu, après son licenciement, cette demande de résiliation et a sollicité, à titre subsidiaire, la nullité de son licenciement pour absence de plan de sauvegarde de l'emploi et sa réintégration.

5. Par arrêt du 25 novembre 2021, la cour d'appel a constaté la nullité du licenciement, condamné la société à verser à la salariée diverses sommes à titre d'indemnité pour licenciement nul, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents et a ordonné le remboursement des indemnités de chômage qui lui avaient été versées dans la limite de six mois d'indemnités.

6. Pour statuer ainsi, la cour d'appel a retenu que les salariés de la société GSF Jupiter, prestataire de services qui mettait, depuis 2017, à disposition ses salariés pour des prestations d'entretien et de nettoyage de l'hôtel, devaient être pris en compte pour l'application de l'article L. 1233-61 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, aux termes duquel dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l'employeur établit et met en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre.

7. La société a formé un pourvoi contre cet arrêt.

Enoncé du moyen

8. Par un premier moyen, la société fait grief à l'arrêt de constater la nullité du licenciement de la salariée, de la condamner à lui verser certaines sommes à titre d'indemnité pour licenciement nul, d'indemnité de préavis et d'indemnité de congés payés sur préavis, et de lui ordonner le remboursement des indemnités de chômage versées à la salariée dans la limite de six mois d'indemnités, alors « que dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l'employeur est tenu d'établir et de mettre en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre ; que l'effectif de cinquante salariés qui déclenche cette obligation ne peut s'entendre que des salariés de l'entreprise que celle-ci a le pouvoir de licencier et seuls susceptibles de bénéficier des mesures du plan de sauvegarde de l'emploi, et exclut en conséquence les salariés qui sont mis à sa disposition par une entreprise extérieure, dont le décompte dans l'effectif de l'entreprise prévu par l'article L. 1111-2 du code du travail ne trouve à s'appliquer que lorsque l'obligation mise à la charge de l'employeur a vocation à bénéficier à la communauté de travail qu'ils forment avec les salariés de l'entreprise ; qu'en retenant que les règles relatives au licenciement économique ne faisaient pas exception à l'application de l'article L. 1111-2 du code du travail, qui dispose expressément que la règle de calcul qu'il énonce s'étend à la mise en oeuvre de l'ensemble des dispositions dudit code, pour en déduire que les salariés mis à la disposition de l'employeur devaient être décomptés pour l'appréciation du seuil de cinquante salariés requis pour la mise en place du plan de sauvegarde de l'emploi, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-61 et L. 1111-2 du code du travail. »

Rappel des textes applicables

Le droit de l'Union

9. Selon l'article 1er , paragraphe 1, de la directive 98/59/CE du Conseil du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs, aux fins de l'application de la présente directive.

a) on entend par « licenciements collectifs » : les licenciements effectués par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs lorsque le nombre de licenciements intervenus est, selon le choix effectué par les États membres :

i) soit, pour une période de trente jours :

- au moins égal à 10 dans les établissements employant habituellement plus de 20 et moins de 100 travailleurs,

- au moins égal à 10 % du nombre des travailleurs dans les établissements employant habituellement au moins 100 et moins de 300 travailleurs,

- au moins égal à 30 dans les établissements employant habituellement au moins 300 travailleurs ;

ii) soit, pour une période de quatre-vingt-dix jours, au moins égal à 20, quel que soit le nombre des travailleurs habituellement employés dans les établissements concernés ;

b) on entend par « représentants des travailleurs » : les représentants des travailleurs prévus par la législation ou la pratique des États membres.

Pour le calcul du nombre de licenciements prévus au premier alinéa, point a), sont assimilées aux licenciements les cessations du contrat de travail intervenues à l'initiative de l'employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs, à condition que les licenciements soient au moins au nombre de cinq.

Le droit national

10. Aux termes de l'article L 1233-61 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l'employeur établit et met en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre.

11. Il résulte de l'article L. 1235-10 alinéa 1er du même code que, lorsque ces deux conditions cumulatives sont remplies, le licenciement intervenu en l'absence de toute décision relative à la validation ou à l'homologation d'un plan de sauvegarde de l'emploi ou alors qu'une décision négative a été rendue, est nul.

12. Selon l'article L. 1111-2 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, qui détermine les salariés pris en compte dans l'effectif d'une entreprise pour toutes les dispositions de ce code qui se réfèrent à une condition d'effectif, les salariés d'une entreprise extérieure mis à disposition qui sont présents dans les locaux de l'entreprise utilisatrice et y travaillent depuis au moins un an sont compris dans ce décompte.

13. Si la chambre sociale de la Cour de cassation s'est prononcée sur l'application de ces dispositions s'agissant du contentieux des élections professionnelles (Soc., 15 avril 2015, pourvoi n° 14-20.200 ; Soc.,13 novembre 2008, pourvoi n° 07-60.472 ; Soc., 2 décembre 2020, pourvoi n° 19-60.141) en retenant que les salariés mis à disposition par une entreprise extérieure devaient être pris en compte dans l'effectif de l'entreprise, dès lors qu'ils remplissaient les conditions prévues à l'article L. 1111-2, elle n'a en revanche pas encore statué sur l'appréciation de l'effectif de l'entreprise en matière de licenciement économique collectif.

Motifs justifiant le renvoi préjudiciel

14. Il est constant que la société, qui a supprimé 29 des 39 postes que comptait son effectif, n'a pas établi ni mis en oeuvre de plan de sauvegarde de l'emploi avant de prononcer le licenciement des salariés concernés.

15. La salariée a invoqué cette omission pour contester la validité de son licenciement, en faisant valoir que le nombre de travailleurs employés habituellement par la société, étant au moins égal au seuil de 50 personnes prévu à l'article L. 1233-61 du code du travail, celle-ci était tenue, aux termes de cette disposition, de procéder à une telle mise en oeuvre avant de le prononcer.

16. Il n'est pas contesté qu'au moment de l'engagement de la procédure de licenciement collectif, le 11 décembre 2018, 11 salariés de la société GSF Jupiter étaient mis à disposition de la société en vertu d'un contrat de prestation de services.

17. En revanche, les parties s'opposent sur la question de savoir s'il convient de décompter, pour déterminer si le seuil de 50 personnes prévu à l'article L. 1233-61 du code du travail était atteint, les personnes mises à disposition par la société GSF Jupiter.

18. Dans son mémoire ampliatif, la société soutient qu'il doit y avoir une adéquation entre l'effectif de l'entreprise pris en compte et la mesure que constitue le plan de sauvegarde de l'emploi. Elle souligne qu'une appréciation extensive de la notion d'effectif de l'entreprise ne se justifie que lorsque les mesures subordonnées à une condition d'effectif sont susceptibles de leur bénéficier, ce qui est par exemple le cas pour la mise en place des institutions représentatives du personnel dans l'entreprise que les salariés mis à disposition sont susceptibles d'élire. Elle estime en revanche que les salariés mis à disposition n'étant pas susceptibles d'être licenciés par l'entreprise dans laquelle ils travaillent, et donc de bénéficier des mesures du plan de sauvegarde de l'emploi, ils ne doivent pas être pris en compte dans le décompte de l'effectif requis pour la mise en place du plan de sauvegarde de l'emploi.

19. La Cour de justice de l'Union européenne a cependant retenu que la notion de « travailleur », visée à l'article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 98/59/CE du Conseil du 20 juillet 1998, ne peut être définie par un renvoi aux législations des États membres, mais doit trouver une interprétation autonome et uniforme dans l'ordre juridique de l'Union. Sinon, les modalités de calcul des seuils qui y sont prévus, et, partant, ces seuils eux-mêmes, seraient à la disposition des États membres, ce qui permettrait ainsi à ces derniers d'altérer le champ d'application de cette directive et de priver celle-ci de son plein effet (CJUE, 9 juillet 2015, Balkaya, aff. C-229/14, point 33).

20. Dès lors, il convient de demander à la Cour de justice de l'Union européenne si les salariés mis à disposition d'une entreprise par une entreprise extérieure doivent être considérés comme ayant la qualité de travailleur habituellement employé par l'entreprise utilisatrice au sens de l'article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 98/59/CE du Conseil du 20 juillet 1998.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Vu l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

RENVOIE à la Cour de justice de l'Union européenne la question suivante :

L'article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 98/59/CE du Conseil du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs, selon lequel :

a) on entend par « licenciements collectifs » : les licenciements effectués par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs lorsque le nombre de licenciements intervenus est, selon le choix effectué par les États membres :

i) soit, pour une période de trente jours :

- au moins égal à 10 dans les établissements employant habituellement plus de 20 et moins de 100 travailleurs,

- au moins égal à 10 % du nombre des travailleurs dans les établissements employant habituellement au moins 100 et moins de 300 travailleurs,

- au moins égal à 30 dans les établissements employant habituellement au moins 300 travailleurs ;

ii) soit, pour une période de quatre-vingt-dix jours, au moins égal à 20, quel que soit le nombre des travailleurs habituellement employés dans les établissements concernés,

doit-il être interprété en ce sens que doivent être comptabilisés comme travailleurs dans le calcul des effectifs prévu par cette disposition les salariés mis à la disposition de l'entreprise par une entreprise extérieure qui sont présents dans les locaux et travaillent habituellement dans l'entreprise utilisatrice au moment de la mise en oeuvre de la procédure de licenciement ?

SURSOIT à statuer sur le pourvoi jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne ;

Réserve les dépens ;

DIT qu'une expédition du présent arrêt ainsi que le dossier de l'affaire seront transmis par le directeur de greffe de la Cour de cassation au greffe de la Cour de justice de l'Union européenne ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze juin deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 52400619
Date de la décision : 12/06/2024
Sens de l'arrêt : Renvoi devant la cour de justice de l'u.e

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix en Provence, 25 novembre 2021


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 12 jui. 2024, pourvoi n°52400619


Composition du Tribunal
Président : M. Sommer (président)
Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:52400619
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award