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11/06/2024 | FRANCE | N°C2400917

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 11 juin 2024, C2400917


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° C 24-81.955 FS-B


N° 00917




ODVS
11 JUIN 2024




CASSATION




M. BONNAL président,
















R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 11 JUIN 2024






M. [S] [M]

a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Cayenne, en date du 6 mars 2024, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de complicité de meurtre, infractions à la législation sur l...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° C 24-81.955 FS-B

N° 00917

ODVS
11 JUIN 2024

CASSATION

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 11 JUIN 2024

M. [S] [M] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Cayenne, en date du 6 mars 2024, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de complicité de meurtre, infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs, en récidive, non justification de ressources et blanchiment, a rejeté sa demande de mise en liberté et confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant une précédente demande de mise en liberté.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme Chaline-Bellamy, conseiller, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de M. [S] [M], et les conclusions de Mme Djemni-Wagner, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 juin 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chaline-Bellamy, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, MM. Cavalerie, Maziau, Seys, Dary, Mme Thomas, M. Hill, conseillers de la chambre, M. Violeau, Mme Merloz, M. Michon, conseillers référendaires, Mme Djemni-Wagner, avocat général, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [S] [M], mis en examen des chefs susmentionnés et placé en détention provisoire le 11 février 2022, a formé une demande de mise en liberté qui a été rejetée par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Cayenne le 31 janvier 2024.

3. Il a interjeté appel de cette décision, avec demande de comparution personnelle, au greffe de la maison d'arrêt de [Localité 1], où il était détenu, le 2 février 2024.

4. La déclaration d'appel a été reçue et transcrite au greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Cayenne le 21 février 2024.

5. Par ailleurs, une demande de mise en liberté d'office a été formée le 26 février 2024.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à mise en liberté d'office et rejeté son appel, alors :

« 1°/ que, à les supposer établies, les manoeuvres volontaires d'un agent du greffe pénitentiaire en vue de retarder la transmission d'un acte d'appel au greffe de la juridiction saisie ne sauraient, sauf concert frauduleux en vue de porter atteinte à la régularité de la détention, constituer une circonstance extérieure au service de la justice ; qu'il ne ressort pas de la procédure que M. [M] aurait, concomitamment aux actions de l'agent, multiplié les demandes de mise en liberté, et ce y compris après la prolongation de la détention provisoire intervenue le 1er février 2024, de sorte qu'en retenant cet unique élément pour dire que le détenu avait participé à un concert frauduleux en vue de retarder la transmission de sa déclaration d'appel, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 503, D. 45-26, 194, 593 du code de procédure pénale et 5 § 4 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ que, en tout état de cause, la chambre de l'instruction qui, après avoir relevé un certain nombre d'actes, qu'elle a qualifiés de volontaires, d'un agent du greffe pénitentiaire ayant eu pour effet de retarder la transmission de la déclaration d'appel de M. [M], s'est contentée, pour retenir l'existence d'un concert frauduleux avec le détenu, de relever que ce dernier avait concomitamment aux actions de l'agent multiplié les demandes de mise en liberté, y compris après la prolongation de la détention provisoire intervenue le 1er février 2024, ce qui était insusceptible de caractériser l'existence d'un concert frauduleux, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 503, D. 45-26,194, 593 du code de procédure pénale et 5 § 4 de la Convention européenne des droits de l'homme.»

Réponse de la Cour

Vu les articles 194, alinéa 4, 199 et 593 du code de procédure pénale :

7. Selon les deux premiers de ces textes, en matière de détention provisoire, la chambre de l'instruction doit se prononcer dans les plus brefs délais et au plus tard dans les dix jours de l'appel lorsqu'il s'agit d'une ordonnance de placement en détention et dans les quinze jours dans les autres cas, augmentés de cinq jours en cas de comparution personnelle, faute de quoi la personne concernée est mise d'office en liberté, sauf si des vérifications concernant sa demande ont été ordonnées ou si des circonstances imprévisibles et insurmontables mettent obstacle au jugement de l'affaire dans le délai prescrit.

8. La Cour de cassation juge qu'en cas de circonstances imprévisibles, insurmontables et extérieures au service de la justice (Crim., 18 janvier 2011, pourvoi n° 10-87.525, Bull. crim. 2011, n° 7) ou en cas de concert frauduleux impliquant un agent du service de la justice au bénéfice de la personne détenue (Crim., 13 janvier 2015, pourvoi n° 14-87.146, Bull. crim. 2015 n°16 ; Crim., 13 avril 2021, pourvoi n° 21-89.872), le délai ne commence à courir qu'à compter de la transcription de la déclaration d'appel sur le registre prévu par l'article 502 du code de procédure pénale.

9. Il résulte du troisième de ces textes que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

10. Pour écarter, après jonction de l'appel et de la demande de mise en liberté, le moyen pris du dépassement du délai de vingt jours applicable à l'examen de l'appel de la demande de mise en liberté, l'arrêt attaqué énonce que les renseignements obtenus auprès de la juridiction établissent que le tribunal judiciaire de Cayenne n'a jamais été informé par messagerie électronique de la déclaration d'appel enregistrée au greffe de la maison d'arrêt de Nancy le 2 février 2024, laquelle a été adressée à la chambre de l'instruction par courrier postal en écopli déposé le 5 février 2024, au vu du cachet de la Poste, contrairement aux indications portées au bordereau de transmission mentionnant la date du 2 février 2024, le tout rallongeant d'autant les délais postaux.

11. Les juges relèvent que l'agent de l'administration pénitentiaire signataire de la déclaration d'appel n'est pas identifié, n'ayant mentionné que des initiales, que le bordereau de transmission n'est pas correctement renseigné, ne comportant ni cachet ni signature de l'établissement pénitentiaire et que de précédents actes sous la même désignation d'agent avaient jusqu'alors été correctement transmis dans cette procédure.

12. Ils indiquent que ce cumul de fautes révèle l'agissement volontaire d'un agent pénitentiaire ayant sciemment fait le choix d'envoyer une déclaration d'appel par un procédé le plus lent possible, qu'il explique l'origine du retard dans la transmission de la déclaration d'appel et constitue une circonstance insurmontable et imprévisible ayant suspendu le cours normal du service public de la justice.

13. Ils ajoutent que l'administration pénitentiaire ne peut être considérée comme extérieure à la justice, sauf en cas de faute détachable et de concert frauduleux, l'agent pénitentiaire faisant ainsi le choix de s'extraire du service public de la justice.

14. Ils retiennent que si la chambre de l'instruction « ne peut statuer sur l'existence avérée d'un concert frauduleux, sauf à porter une appréciation sur des éléments à charge ou des éléments de culpabilité », « des éléments indirects peuvent être retenus à ce stade et ce, d'autant plus au vu des délais contraints imposés à la présente juridiction ».

15. Ils exposent que le choix d'enfreindre les règles ne peut être dicté que par celui de favoriser un détenu, ce d'autant plus que le présent mandat de dépôt était bien le seul titre de détention en cours depuis peu et que, par ailleurs, la personne mise en examen a multiplié concomitamment les demandes de mise en liberté et ce, y compris après la décision du 31 janvier 2024 prolongeant la détention provisoire.

16. Ils en déduisent que ces actions conjointes sont suffisantes pour considérer qu'elles ont été menées de concert.

17. Ils concluent que le cumul des difficultés constatées dans la transmission de l'acte d'appel ne peut être imputé qu'à une intervention volontaire d'un agent de l'établissement pénitentiaire constituant une circonstance imprévisible, insurmontable et extérieure au service de la justice, qui conduit à repousser le point de départ du délai pour statuer au jour de son enregistrement au greffe de la chambre d'instruction.

18. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision pour les motifs qui suivent.

19. En premier lieu, la chambre de l'instruction ne pouvait, sans se contredire, d'une part, énoncer ne pas pouvoir statuer sur l'existence avérée d'un concert frauduleux, d'autre part, retenir l'existence d'un tel concert.

20. En second lieu, après avoir relevé, à juste titre, l'existence d'indices d'un concert frauduleux impliquant un agent de l'administration pénitentiaire, il lui appartenait de procéder à des vérifications sur les conditions de la transmission de la déclaration d'appel de M. [M], dont elle constatait la nécessité, ainsi que l'y autorise l'article 194 du code de procédure pénale.

21. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Cayenne, en date du 6 mars 2024, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Cayenne, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Cayenne et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du onze juin deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2400917
Date de la décision : 11/06/2024
Sens de l'arrêt : Cassation

Analyses

DETENTION PROVISOIRE


Références :

Publié au bulletin

Décision attaquée : Chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Cayenne, 06 mars 2024


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 11 jui. 2024, pourvoi n°C2400917


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : Me Laurent Goldman

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:C2400917
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