LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° H 23-86.969 F-D
N° 00672
ODVS
11 JUIN 2024
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 11 JUIN 2024
Le procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence a formé un pourvoi contre l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, en date du 15 novembre 2023, qui, dans l'information suivie contre M. [Y] [E] des chefs, notamment, de travail dissimulé et escroquerie, en bande organisée, soumission de personnes vulnérables à des conditions d'hébergement indignes et blanchiment, a prononcé sur une contestation élevée en matière de saisie effectuée dans le cabinet d'un avocat.
Par ordonnance du 29 janvier 2024, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [Y] [E], les observations de la SCP Spinosi, avocat du bâtonnier du barreau de Marseille, et les conclusions de M. Desportes, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 30 avril 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Dans une information ouverte des chefs rappelés ci-dessus, et du fait de la possible mise en cause de M. [Y] [E], avocat, dans les faits objets de l'information, le juge des libertés et de la détention a autorisé, par ordonnances des 11 et 12 septembre 2023, des perquisitions au domicile et au cabinet de ce dernier.
3. Les opérations de perquisition ont eu lieu le 12 septembre 2023, en présence de l'intéressé et du représentant du bâtonnier, ainsi que d'un expert en informatique qui a procédé à un inventaire du contenu des équipements informatiques à l'aide de mots-clés.
4. Saisi d'un recours, le juge des libertés et de la détention a ordonné, par décision avant-dire droit, une expertise du disque dur externe d'un ordinateur et des données d'un téléphone portable placés sous scellés.
5. Par ordonnance du 10 novembre 2023, le juge des libertés et de la détention a, postérieurement au dépôt du rapport de l'expert informatique, ordonné le versement au dossier desdits scellés.
6. M. [E] et le bâtonnier ont formé un recours contre cette décision.
Examen de la recevabilité du pourvoi, contestée en défense
7. À défaut de texte législatif contraire, l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction rendue sur le recours suspensif formé à l'encontre de la décision du juge des libertés et de la détention statuant sur la contestation, par le bâtonnier ou son délégué, de la saisie effectuée dans le cabinet ou au domicile d'un avocat, entre dans les prévisions de l'article 567 du code de procédure pénale.
8. Dès lors, conformément à l'article 567 susvisé, le ministère public a qualité pour former un pourvoi contre l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction.
9. L'article 192 du code de procédure pénale dispose que les fonctions du ministère public auprès de la chambre de l'instruction sont exercées par le procureur général ou par ses substituts.
10. Il en résulte que le procureur général a, seul, qualité pour former un pourvoi contre la décision susvisée, et que le pourvoi, formé par le procureur général près la cour d'appel dont relève la juridiction qui a rendu la décision, est recevable.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
11. Le moyen est pris de la violation de l'article 56-1 du code de procédure pénale.
12. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a infirmé la décision du juge des libertés et de la détention et ordonné la restitution des deux scellés concernés, au motif que ce magistrat s'était livré à une analyse globale et n'avait pas personnellement procédé à l'examen de chacun des éléments saisis, alors qu'il appartenait au président de la chambre de l'instruction de procéder lui-même à cet examen.
Réponse de la Cour
Vu l'article 56-1 du code de procédure pénale :
13. Il résulte de ce texte que, saisi d'un recours contre une ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant prononcé sur une demande de restitution de scellés constitués suite à une perquisition diligentée dans un cabinet d'avocat, le président de la chambre de l'instruction statue à nouveau en fait et en droit sur la contestation.
14. Il se déduit de ce même texte qu'il appartient à la personne contestant la saisie de documents au motif que celle-ci serait disproportionnée ou porterait atteinte à l'exercice des droits de la défense d'identifier les documents concernés et d'apporter les éléments permettant d'établir que ces derniers ne peuvent être saisis.
15. Pour infirmer la décision du juge des libertés et de la détention et ordonner la restitution des scellés, l'ordonnance attaquée énonce, notamment, que le premier juge a procédé au versement des deux scellés par une analyse globale en admettant, s'agissant du scellé du disque dur externe de l'ordinateur, que la totalité des éléments contenus dans l'extraction n'était peut-être pas utile à la manifestation de la vérité et, s'agissant du scellé du téléphone portable, qu'il s'agissait d'une consultation non exhaustive.
16. Le président ajoute que le juge des libertés et de la détention n'a pas pris personnellement connaissance de chacun des éléments saisis, alors que seule une analyse précise de ceux-ci, au besoin après une nouvelle expertise, était de nature à lui permettre de décider s'ils devaient être restitués ou versés au dossier de la procédure, de contrôler si cette saisie ne portait pas atteinte au libre exercice de la profession d'avocat, au respect du secret professionnel et à celui des droits de la défense et de vérifier si le versement des scellés était nécessaire et proportionné.
17. En se déterminant ainsi, le président de la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus rappelés pour les motifs qui suivent.
18. En premier lieu, il lui appartenait de procéder lui-même à l'examen des documents dont la saisie était contestée pour statuer à nouveau en fait et en droit, au besoin après une nouvelle expertise.
19. En second lieu, il ne pouvait ordonner la restitution des scellés alors que les demandeurs n'avaient ni identifié précisément les documents se trouvant dans lesdits scellés dont ils contestaient la saisie ni apporté d'éléments au soutien de cette contestation.
20. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 15 novembre 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la juridiction du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'ordonnance annulée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du onze juin deux mille vingt-quatre.