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06/06/2024 | FRANCE | N°22400531

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 06 juin 2024, 22400531


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 2


FD






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 6 juin 2024








Cassation partielle




Mme MARTINEL, président






Arrêt n° 531 F-D


Pourvoi n° Q 22-17.052








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
______________________

___




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 JUIN 2024


Mme [U] [P], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 22-17.052 contre le jugement rendu le 31 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Bordeaux...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

FD

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 6 juin 2024

Cassation partielle

Mme MARTINEL, président

Arrêt n° 531 F-D

Pourvoi n° Q 22-17.052

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 JUIN 2024

Mme [U] [P], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 22-17.052 contre le jugement rendu le 31 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Bordeaux (pôle social), dans le litige l'opposant à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail d'Aquitaine, organisme de prévoyance sociale à régime général de la sécurité sociale, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Reveneau, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de Mme [P], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail d'Aquitaine, après débats en l'audience publique du 29 avril 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Reveneau, conseiller rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Bordeaux, 31 mars 2022), rendu en dernier ressort, Mme [P] (l'assurée), bénéficiaire d'une pension de réversion du chef de son conjoint décédé, avec effet au 1er mars 2009, servie par la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail d'Aquitaine (la caisse), a obtenu le 1er avril 2018 une pension de retraite personnelle. Après régularisation du montant de ses ressources, la caisse lui a notifié le 28 juin 2019 une modification du montant de sa pension de réversion ainsi qu'un indu correspondant au trop-perçu pour la période du 1er juin 2017 au 31 mai 2019.

2. L'assurée a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.

Recevabilité du pourvoi, contestée par la défense

3. La caisse soulève l'irrecevabilité du pourvoi au regard du montant du litige supérieur au taux du dernier ressort.

4. Selon l'article 40 du code de procédure civile, le jugement qui statue sur une demande indéterminée est, sauf disposition contraire, susceptible d'appel.

5. Selon l'article 605 du même code, le pourvoi en cassation n'est ouvert qu'à l'encontre de jugements rendus en dernier ressort.

6. Selon l'article R. 211-3-24 du code de l'organisation judiciaire, applicable au litige, le tribunal judiciaire statue en dernier ressort lorsqu'il est appelé à connaître, en matière civile, d'une action personnelle ou mobilière portant sur une demande dont le montant est inférieur ou égal à la somme de 5 000 euros.

7. La demande de l'assurée tendant à voir « cristalliser » ses droits à pension de réversion ne constitue pas une demande au sens de l'article 40 précité du code de procédure civile, mais un moyen tendant à faire échec à l'action en répétition de l'indu engagée par la caisse.

8. Le montant de l'indu notifié à l'assurée, à l'origine d'un montant supérieur au taux de la compétence de dernier ressort, a été ramené, dans le dernier état des écritures de la caisse, à un montant de 3 063,46 euros correspondant au solde de l'indu, inférieur à ce taux.

9. Il en résulte que le jugement attaqué, exactement qualifié de jugement en dernier ressort, n'est pas susceptible d'appel.

10. Le pourvoi est, dès lors, recevable.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

11. L'assurée fait grief au jugement de la condamner à payer à la caisse une certaine somme au titre du solde d'un indu de pension de réversion, alors :

« 1°/ que l'ultime révision d'une pension de réversion ne peut être postérieure à un délai de trois mois après la date à laquelle l'ex-conjoint survivant est entré en jouissance de ses avantages personnels de retraite, sauf si l'intéressé n'a pas informé de cette date l'organisme auquel incombe la pension de réversion ; que des manquements antérieurs à l'obligation d'informer l'organisme payeur de la pension de réversion de modifications intervenues dans la situation du bénéficiaire ne privent pas ce dernier du droit à cristallisation de sa pension de réversion à condition qu'il ait informé l'organisme auquel incombe la pension de réversion de sa date d'entrée en jouissance de ses avantages personnels de retraite ; que pour juger qu'il ne saurait être fait grief à la caisse d'avoir, plus d'un an après que l'assurée ne fût entrée en jouissance de ses avantages personnels de retraite, effectué une révision de sa pension de réversion, le tribunal a jugé que « la cristallisation des ressources n'est opposable à la caisse que si le titulaire de la pension de réversion l'a informé avant cette date de l'ensemble de ses ressources et celles de son ménage étant soumis à une obligation de déclaration de la situation et de ses modifications » et qu'il convenait de permettre à la caisse de prendre en compte « des biens mobiliers non déclarés en leur temps », au motif que l'assurée « [avait] déclaré tardivement [ces] biens mobiliers », à savoir des livrets d'épargne crédités en 2013 et 2014 ; qu'en statuant ainsi, tandis que seule l'ignorance par la caisse de la date à laquelle l'assurée était entrée en jouissance de l'ensemble de ses avantages personnels de retraite pouvait autoriser cet organisme à procéder à une révision de sa pension de réversion plus de trois mois après cette date, le tribunal judiciaire de Bordeaux a violé les articles R. 353-1-1, R. 815-18 et R. 815-38 du code de la sécurité sociale ;

2°/ que, à titre subsidiaire, lorsque l'organisme payeur a été informé de la date à laquelle le bénéficiaire d'une pension de réversion est entré en jouissance de ses avantages personnels de retraite, les droits de ce bénéficiaire sont cristallisés trois mois après cette date à la condition que l'intéressé ait informé de cette date l'organisme auquel incombe la pension de réversion ; que ledit bénéficiaire ne saurait être déchu de son droit à cristallisation que s'il est rapporté la preuve que l'organisme payeur n'avait pas une connaissance complète de sa situation à la date de la cristallisation de ses droits à pension de réversion et ce, en raison d'une faute exclusive du bénéficiaire ayant empêché l'organisme payeur de procéder, dans le délai réglementaire, à l'ultime révision de la pension ; qu'en l'espèce, le tribunal judiciaire de Bordeaux a jugé qu'il ne saurait être fait grief à la caisse d'avoir, plus d'un an après que l'assurée ne fut entrée en jouissance de ses avantages personnels de retraite, « effectué une révision de [sa] pension de réversion [?] afin de prendre en compte [?] des biens mobiliers non déclarés en leur temps », au motif que l'assurée « [avait] déclaré tardivement [ces] biens mobiliers » à savoir des livrets d'épargne crédités en 2013 et 2014 ; qu'en statuant ainsi, sans constater que la caisse n'aurait pas eu connaissance de la complète situation de l'assurée dans le délai de révision et que cette ignorance aurait en outre été imputable à une faute exclusive de l'assurée ayant empêché l'ultime révision de sa pension dans le délai réglementaire, le tribunal judiciaire de Bordeaux a privé sa décision de base légale au regard des articles R. 353-1-1, R. 815-18 et R. 815-38 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

12. Selon l'article L. 353-1 du code de la sécurité sociale, en cas de décès de l'assuré, son conjoint survivant a droit à une pension de réversion si ses ressources personnelles ou celles du ménage n'excèdent pas des plafonds fixés par décret. Lorsque le montant de la pension majoré de ces ressources excède les plafonds prévus, la pension de réversion est réduite à due concurrence du dépassement.

13. Il résulte de la combinaison des articles R. 353-1-1, R. 815-18 et R. 815-38 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable au litige, que si la date de la dernière révision de la pension de réversion ne peut être postérieure, notamment, à un délai de trois mois après la date à laquelle le conjoint survivant est entré en jouissance de l'ensemble des avantages personnels de retraite de base complémentaire lorsqu'il peut prétendre à de tels avantages, c'est à la condition que l'intéressé ait informé des changements survenus dans sa situation l'organisme auquel incombe le paiement de la pension de réversion.

14. Ayant constaté que l'assurée, bénéficiaire d'une pension de réversion depuis le 1er mars 2009, et qui avait placé au courant de l'année 2013 diverses sommes sur deux comptes Librissime et CMSO ouverts à son nom et produisant intérêts, n'avait informé la caisse que tardivement de l'existence de ces sommes, à l'occasion de la liquidation de sa retraite personnelle dont elle était entrée en jouissance le 1er avril 2018, de sorte que le versement de sa pension de réversion avait été suspendu par la caisse le 28 juin 2019 avec effet au 1er août 2017, le tribunal, en ayant exactement déduit que le défaut d'information de la caisse par l'assurée faisait échec à la règle de la « cristallisation » instaurée par l'article R. 353-1-1 du code de la sécurité sociale, et qui n'avait dès lors pas à procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision.

15. Le moyen, n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

16. L'assurée fait le même grief au jugement, alors « que le juge ne peut rejeter une demande sans analyser, même sommairement, les éléments de preuve qui lui sont soumis ; qu'en l'espèce, pour condamner l'assurée à payer la somme de 3.063,46 ¿ à la caisse, le tribunal judiciaire de Bordeaux a retenu que « la preuve n'est pas rapportée que la caisse aurait pris en compte deux fois les mêmes sommes en crédit si l'on se réfère au nouveau solde de chacun des livrets », qu'il « en résulte que seuls les nouveaux soldes des livrets précités au 31 janvier 2013 et au 1er février 2014 doivent être pris en considération » et que « le tribunal considère que la preuve n'est pas rapportée que la caisse aurait pris en compte deux fois les mêmes sommes en crédit si l'on se réfère au nouveau solde de chacun des livrets aux dates fixées ci-dessus » ; qu'en statuant ainsi, sans analyser, même sommairement, l'arrêté des comptes du livret Librissime au 31 décembre 2013 produit par l'assurée dont il résultait que la somme de 22.950 ¿ inscrite au crédit du solde CMSO au 1er février 2013 résultait d'un virement réalisé depuis le solde Librissime au 31 janvier 2013 et que, par voie de conséquence, la caisse ne pouvait calculer les ressources de l'assurée sur la base du solde du compte Librissime au 31 janvier et du solde du compte CMSO au 1er février 2014 sans compter deux fois la somme de 22.950 ¿, le tribunal judiciaire de Bordeaux a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

17. Pour condamner l'assurée à rembourser à la caisse le solde d'un indu de 3 063,46 euros au titre de la pension de réversion perçue par elle sur la période s'étendant du 1er juin 2017 au 31 mai 2019, le jugement énonce que l'assurée disposait de liquidités d'un montant de 54 950 euros au crédit de son compte Librissime à la date du 30 janvier 2013 à la suite de deux virements de 32 000 euros et 22 950 euros, et d'un montant de 23 270,34 euros au crédit de son compte CMSO à la suite d'un virement de 22 950 euros.

18. En se déterminant ainsi, sans répondre aux conclusions de l'assurée qui soutenait que le montant total de ses liquidités retenu par la caisse n'était pas de 54 950 et 23 270,34 euros, soit 78 220,34 euros, mais de 54 950 euros et (23 270,34 - 22 950 =) 320,34 euros, soit 55 270,34 euros, la somme de 22 950 euros créditée sur son compte Librissime en ayant été immédiatement débitée pour être portée au crédit de son compte CMSO, de sorte que cette somme de 22 950 euros avait été comptabilisée à tort deux fois pour l'évaluation de ses ressources, le tribunal n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable le recours de Mme [P], le jugement rendu en dernier ressort le 31 mars 2022, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Bordeaux ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Bordeaux, autrement composé ;

Condamne la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail d'Aquitaine aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail d'Aquitaine et la condamne à verser à Mme [P] la la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six juin deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 22400531
Date de la décision : 06/06/2024
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Références :

Décision attaquée : Tribunal judiciaire de Bordeaux, 31 mars 2022


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 06 jui. 2024, pourvoi n°22400531


Composition du Tribunal
Président : Mme Martinel (président)
Avocat(s) : SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:22400531
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