LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 mai 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 264 F-D
Pourvoi n° F 22-17.297
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 MAI 2024
Le syndicat des copropriétaires du centre commercial régional [4], dont le siège est [Adresse 3], représenté par son syndic la société Klepierre management, domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° F 22-17.297 contre l'arrêt rendu le 9 mars 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 2), dans le litige l'opposant à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne (CPAM), dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Baraké, conseiller référendaire, les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat du syndicat des copropriétaires du centre commercial régional [4], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, après débats en l'audience publique du 3 avril 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Baraké, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 mars 2022), le syndicat des copropriétaires du centre commercial régional [4] (le syndicat des copropriétaires) est propriétaire d'un immeuble à usage de parking, édifié sur une parcelle voisine de celle supportant un immeuble de bureaux appartenant à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne (la CPAM).
2. Par une convention du 26 juillet 1983, une servitude de passage et de stationnement a été constituée au profit du fonds de la CPAM, lui octroyant un certain nombre de places banalisées de parking et un droit de passage pour accéder à son propre immeuble, en contrepartie d'une participation aux charges relatives à ce parking.
3. Le 30 mars 2001, alors qu'un litige les opposait après une modification des modalités d'accès au parking, les parties ont signé un protocole d'accord modifiant partiellement la convention de 1983. Celui-ci entérinait la mise en place d'un accès sécurisé au parking et fixait le nombre et le type de cartes d'accès remises à la CPAM.
4. Le 6 janvier 2016, le syndicat des copropriétaires a assigné la CPAM en paiement d'un arriéré de charges au titre des années 2010 à 2018.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
5. Le syndicat des copropriétaires fait grief à l'arrêt de condamner la CPAM à lui payer une certaine somme, alors « que l'article 2 de la convention du 26 juillet 1983 stipule que « la participation [de la CPAM] aux charges relatives [au parking du centre commercial régional [4]] sera calculée au prorata du nombre de places mises à disposition par rapport au nombre total de places qui est actuellement de 5 400 » ; qu'en retenant, pour juger que le montant des charges exigibles était déterminé en fonction du nombre de places de parking allouées sur le nombre total de places convenu entre les parties, soit 5 400, que si le syndicat des copropriétaires produisait un rapport de la commission de sécurité mentionnant un nombre de places réduit à 5 272, puis, en cause d'appel, un décompte du 23 mars 2016 au terme duquel ce nombre serait encore réduit à 5 116 places, cette réduction, qui venait nécessairement accroître le coût des charges répercutées sur la CPAM, n'avait fait l'objet d'aucun avenant à la convention ni d'aucun accord entre les parties, de sorte qu'il y avait lieu de prendre en compte le nombre total de places convenu entre les parties dans la convention du 26 juillet 1983, soit 5 400 places, la cour d'appel a méconnu la loi des parties qui déterminait la participation aux charges relatives au parking du centre commercial par la CPAM en fonction du nombre réel de places dans le parking, susceptible, par nature, de varier dans le temps, indépendamment de la volonté des parties, et ne mentionnait le nombre de 5 400 places que pour indiquer le nombre de places au jour de la conclusion de la convention, et a ainsi violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
6. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
7. Pour accueillir la demande en paiement, l'arrêt énonce qu'en l'absence d'avenant ou d'accord des parties, la réduction du nombre total de places de stationnement invoquée par le syndicat des copropriétaires ne pouvait être prise en compte, seul le nombre de places convenu entre les parties devant être retenu pour calculer le montant de l'arriéré de charges.
8. En statuant ainsi, alors que la convention du 26 juillet 1983 ne mentionnait le nombre total de places existant au jour de sa conclusion qu'à titre indicatif, la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
9. La CPAM fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme, alors « que les juges du fond doivent interpréter les conventions qui leur sont soumises lorsque l'écrit est susceptible de plusieurs sens ; qu'en l'espèce, l'article 2 du contrat conclu le 26 juillet 1983, dont les stipulations sont demeurées inchangées après régularisation de l'avenant du 30 mars 2001, stipulait que « en contrepartie de l'utilisation des places dans le parking du centre commercial, la CPAM participera à toutes les charges relatives à ce parking telles que ces charges résultent du budget approuvé par l'assemblée générale des copropriétaires, lequel à titre indicatif comporte les rubriques ci-après : - nettoyage, - contrat d'entretien et de réparation, - service d'ordre extérieur, - sécurité extérieure, - assurance incendie, - fonctionnement général "éclairage", - assurance responsabilité civile, - impôts fonciers, - salaires, - honoraires » ; que cet article pouvait à tout le moins être interprété de deux façons différentes, comme ne visant que des charges d'entretien, qui seules figuraient dans la liste indicative fournie, ou comme visant des charges de toute nature, y compris des gros travaux ; qu'en jugeant toutefois que l'acte n'appelait aucune interprétation et qu'il imposait à la CPAM de participer à toutes les charges, « en ce compris les travaux de réfection et gros travaux de structure », sans rechercher quelle avait été la commune intention des parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
10. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Lorsque les stipulations d'une convention sont ambiguës, il appartient au juge de déterminer quelle a été la commune intention des parties.
11. Pour fixer les sommes dues par la CPAM au titre des charges, l'arrêt retient que les termes clairs et dépourvus d'ambiguïté de l'article 2 de la convention de 1983, qui n'appellent aucune interprétation, justifient que la CPAM participe à toutes les charges relatives au parking, en ce compris les travaux de réfection et gros travaux de structure, peu important qu'ils n'aient pas été mentionnés dans la liste indicative et non exhaustive donnée par cette stipulation.
12. En se déterminant ainsi, alors que la clause pouvait aussi signifier, comme soutenu par la CPAM, que seules les charges relatives à la gestion et l'entretien courant du parking étaient incluses, et non les dépenses et grosses réparations afférentes à la conservation de l'immeuble, de sorte qu'elle présentait un caractère ambigu nécessitant une interprétation, la cour d'appel, qui n'a pas recherché quelle était la commune intention des parties, n'a pas donné de base légale à sa décision. PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme le jugement déclarant irrecevable le syndicat des copropriétaires du centre commercial régional [4] en son action portant sur les charges afférentes à l'année 2010, l'arrêt rendu le 9 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente mai deux mille vingt-quatre.