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29/05/2024 | FRANCE | N°52400530

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 29 mai 2024, 52400530


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


SOC.


CZ






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 29 mai 2024








Cassation partielle




Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président






Arrêt n° 530 F-D


Pourvoi n° P 22-13.440








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇ

AIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 29 MAI 2024


Mme [V] [U], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 22-13.440 contre l'arrêt rendu le 20 janvier 2022 par la cour d'appel...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CZ

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 29 mai 2024

Cassation partielle

Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 530 F-D

Pourvoi n° P 22-13.440

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 29 MAI 2024

Mme [V] [U], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 22-13.440 contre l'arrêt rendu le 20 janvier 2022 par la cour d'appel de Lyon (chambre social C), dans le litige l'opposant à la société Pharmacie de Morancé, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Pietton, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [U], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Pharmacie de Morancé, après débats en l'audience publique du 30 avril 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Pietton, conseiller rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 20 janvier 2022), Mme [U] a été engagée, en qualité de préparatrice, par la société Pharmacie de Morancé, à compter du 14 juin 2004.

2. A la suite d'une tentative de suicide sur son lieu de travail, le 16 juillet 2018, elle a été placée en arrêt de travail pour accident du travail, lequel a été déclaré par l'employeur le 4 septembre suivant.

3. Licenciée pour faute grave le 24 octobre 2018, elle a saisi la juridiction prud'homale en contestation de cette rupture, en paiement de dommages-intérêts, notamment pour harcèlement moral et violation de l'obligation de sécurité.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches

Enoncé du moyen

4. La salariée fait grief à l'arrêt de dire fondé son licenciement pour faute grave et de la débouter de ses demandes en condamnation de l'employeur au paiement d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts, alors :

« 1°/ que le salarié peut préparer sa future activité concurrente, fût-ce à l'insu de l'employeur, à condition que cette concurrence ne soit effective qu'après l'expiration du contrat de travail ; que le démarchage, pendant un arrêt de travail pour maladie, d'un fournisseur de son employeur et d'un autre fournisseur en vue de connaître leur intérêt pour l'approvisionner dans l'activité concurrente qu'il envisage de créer n'est pas constitutif d'actes de concurrence illicite ou déloyale, ni d'un manquement à son obligation de loyauté, dès lors qu'il n'a pas été accompagné de pratiques illicites de concurrence déloyale - dénigrement, débauchage de personnel ou détournement de clientèle ; qu'en l'espèce, il ressort de l'arrêt attaqué que la salariée, préparatrice au sein de la société Pharmacie de Morancé, ''...qui occupait des fonctions dédiées et revendiquait sa compétence en matière de phytothérapie et de naturopathie ainsi que l'attachement de la clientèle de l'officine à ses services'', a fait l'objet le 24 octobre 2018 d'un licenciement pour faute grave pour avoir ''entrepris au mois d'octobre 2018, durant son arrêt de travail consécutif à l'accident du travail du 16 juillet 2018, de démarcher un fournisseur de l'officine et une autre officine dans la perspective de créer une entreprise dont l'activité portait atteinte aux intérêts de son employeur en ce qu'elle lui était concurrente, pour ce qui concerne le secteur d'activité qui lui était confié au sein de l'entreprise'' ; qu'en qualifiant ces faits de « manquement à l'obligation de loyauté » justifiant le licenciement pour faute grave en l'absence de toute constatation de l'accomplissement effectifs d'actes concurrentiels ou de manoeuvres de concurrence déloyale la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1121-1 L.1221-1, L.1222-1, L.1226-9, L.1235-1 du code du travail, ensemble le principe fondamental de liberté du travail ;

3°/ qu'une sanction disciplinaire ne peut pas être infligée à titre préventif ; que le seul risque d'un ''détournement volontaire ou involontaire'' de clientèle par un salarié en arrêt de travail pour accident du travail, qui projette à l'insu de son employeur une activité concurrentielle future ne constitue ni une faute grave justifiant son licenciement pendant la période de suspension, ni même une cause réelle et sérieuse de licenciement ni, en raison de son caractère hypothétique, une atteinte au bon exercice de ses fonctions laquelle ne saurait se caractériser que par des agissements objectifs ; que ce risque hypothétique ne saurait justifier à lui seul le licenciement du salarié pour perte de confiance, ni pour un manquement à son obligation de loyauté consistant à ne pas avoir révélé ses projets à son employeur ; qu'en retenant à l'appui de sa décision que le maintien de la salariée dans l'entreprise lui aurait ''permis...d'entretenir et de nouer des relations avec les clients de l'officine qu'elle aurait pu, volontairement ou involontairement, détourner de celle-ci au profit de sa propre [future] entreprise'' et encore que ''l'attachement de plusieurs clients de l'officine aux prestations assurées par la salariée au sein de l'officine établit le risque pour l'employeur de perdre cette clientèle si la salariée venait à quitter l'entreprise et celui, dans la perspective où la salariée continuerait d'exercer son activité au sein de celle-ci tout en projetant de créer sa propre entreprise, que la perte de clientèle soit plus étendue'' la cour d'appel, qui a autorisé l'employeur à sanctionner par un licenciement pour faute grave un risque purement hypothétique, a violé derechef les textes et principes susvisés, ensemble l'article L. 1331-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1226-9 du code du travail :

5. Selon ce texte, au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l'employeur ne peut rompre ce dernier que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie.

6. Pendant la période de suspension du contrat de travail consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle, l'employeur peut seulement, dans le cas d'une rupture pour faute grave, reprocher au salarié des manquements à l'obligation de loyauté.

7. Pour dire le licenciement de la salariée fondé sur une faute grave, l'arrêt constate d'abord que le 3 octobre 2018, la salariée a adressé deux courriels, l'un à un fournisseur de l'employeur, l'autre à une autre officine, par lesquels elle les informait de son intention de créer son entreprise en tant que phytothérapeute naturopathe, de son intérêt pour la gamme des produits du fournisseur et demandant si elle pouvait « sous-traiter » des produits commercialisés par l'autre officine tout en sollicitant auprès d'elle un conseil relatif à l'utilisation des plantes sèches. Il retient ensuite que la salariée, qui était spécialisée dans la vente de produits phytothérapiques au sein de l'entreprise, projetait ainsi de créer sa propre entreprise dont l'activité, par nature, faisait concurrence à celle qu'elle exerçait jusque-là pour son employeur et que l'attachement de plusieurs clients de l'officine aux prestations de la salariée établissait le risque pour l'employeur de perdre cette clientèle si la salariée venait à quitter l'entreprise et celui, dans la perspective où la salariée continuerait d'exercer son activité au sein de celle-ci tout en projetant de créer sa propre entreprise, que la perte de clientèle soit plus étendue.

8. Il en conclut, après avoir observé que la salariée ne précisait pas si elle avait, ou non, créé sa propre entreprise de naturopathe, qu'elle avait entrepris, durant son arrêt de travail consécutif à son accident du travail, de démarcher un fournisseur de l'officine et une autre officine dans la perspective de créer une entreprise dont l'activité portait atteinte aux intérêts de l'employeur en ce qu'elle lui était concurrente.

9. En statuant ainsi, par des motifs hypothétiques et impropres à caractériser l'exercice par la salariée d'une activité pour le compte d'une entreprise concurrente de l'employeur et partant, un manquement à l'obligation de loyauté, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

10. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes tendant à voir constater qu'elle avait fait l'objet d'un harcèlement moral et condamner
l'employeur au paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral et manquement à son obligation de sécurité, alors « qu'aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ; que, dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en l'espèce, pour débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral, la cour d'appel a conclu ''que les éléments produits par la salariée manifestent principalement une appréhension très subjective des conditions de fonctionnement de l'entreprise, sans qu'il soit mis en exergue précisément ou puisse être relevé de décisions ou d'attitudes particulières de l'employeur ou de ses collaborateurs pouvant être directement à l'origine du trouble objectivement manifesté par la salariée, particulièrement les sentiments de stress, de surcharge au travail, de déficit de communication ou de manque de reconnaissance qu'elle a exprimés, ce dont il résulte que la matérialité des faits à l'origine de ce trouble ne peut être établie'' ; qu'en se déterminant de la sorte quand, d'une part, il résultait de ses propres constatations que la salariée, durant la période 2017/2018, avait ''ce qui ressort tant de certains des propos tenus dans ses messages que des pièces qu'elle produit, exprimé une grande souffrance psychologique, ce qui a donné lieu à des arrêts de travail, notamment pour surmenage professionnel, dont le point culminant a certainement été sa tentative de suicide par absorption de médicaments sur son lieu de travail, le 16 juillet 2018'', et sans examiner, d'autre part, les faits invoqués et justifiés par la salariée, à savoir qu'elle n'avait bénéficié d'aucun suivi médical périodique par la médecine du travail avant cette tentative de suicide, que cet accident du travail avait été tardivement déclaré par l'employeur, que l'employeur lui avait fixé, pendant une période d'arrêt de travail, un entretien professionnel ; que par courriel dont il avait adressé copie à l'ensemble du personnel, il lui avait demandé de réaliser la démarche particulièrement humiliante de formuler des excuses publiques ; qu'enfin, il lui avait adressé une sanction disciplinaire en rétorsion de sa tentative de suicide sur le lieu de travail, tous éléments dont résultait une présomption de harcèlement moral qu'il incombait à l'employeur de renverser, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-1 et L.1154-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

11. En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

12. Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

13. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

14. Pour débouter la salariée de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, l'arrêt retient que les éléments produits par la salariée manifestent principalement une appréhension très subjective des conditions de fonctionnement de l'entreprise, sans que puisse être relevées des décisions ou attitudes particulières de l'employeur ou de ses collaborateurs pouvant être directement à l'origine du trouble objectivement manifesté par la salariée, particulièrement les sentiments de stress, de surcharge au travail, de déficit de communication ou de manque de reconnaissance qu'elle a exprimés, ce dont il déduit que la matérialité des faits à l'origine de ce trouble ne peut être établie.

15. En statuant ainsi, sans examiner tous les éléments invoqués par la salariée qui faisait valoir qu'elle n'avait bénéficié d'aucun suivi médical périodique par la médecine du travail avant sa tentative de suicide, que cet accident du travail avait été tardivement déclaré par l'employeur, que l'employeur lui avait fixé, pendant une période d'arrêt de travail, un entretien professionnel et que, par courriel dont il avait adressé copie à l'ensemble du personnel, il lui avait demandé de formuler des excuses publiques et enfin qu'il lui avait adressé le 27 juillet 2018 un rappel à l'ordre en rétorsion de sa tentative de suicide sur le lieu de travail, afin d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement moral, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit le licenciement de Mme [U] fondé sur une faute grave, la déboute de ses demandes en paiement des indemnités de rupture, de dommages-intérêts pour licenciement nul, pour harcèlement moral et pour violation de l'obligation de sécurité et absences de visites médicales et en qu'il laisse à chacune des parties la charge des dépens par elles exposés et rejette la demande de Mme [U] au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 20 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;

Condamne la société Pharmacie de Morancé aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Pharmacie de Morancé et la condamne à payer à Mme [U] la somme de 3000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf mai deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 52400530
Date de la décision : 29/05/2024
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Lyon, 20 janvier 2022


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 29 mai. 2024, pourvoi n°52400530


Composition du Tribunal
Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:52400530
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