LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
HM1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 29 mai 2024
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 309 F-B
Pourvoi n° D 22-20.308
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 29 MAI 2024
La société Banque CIC Sud Ouest, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 22-20.308 contre l'arrêt rendu le 5 janvier 2022 par la cour d'appel de Montpellier (4e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [H] [N], domicilié [Adresse 2],
2°/ à la société CP, société civile, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ducloz, conseiller, les observations de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de la société Banque CIC Sud Ouest, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [N], de la société CP, après débats en l'audience publique du 3 avril 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Ducloz, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 5 janvier 2022), le 23 juillet 2002, la société Banque CIC Sud Ouest (la banque) a consenti à l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée Carrosserie 113-Lunel (l'EURL) un prêt de 42 685 euros. M. [N], gérant de cette société, s'est rendu caution solidaire du remboursement de ce prêt.
2. Le 25 mars 2005, l'EURL a été mise en redressement judiciaire simplifié converti, le 26 décembre 2015, en redressement judiciaire.
3. Le 22 avril 2005, la banque a déclaré sa créance au passif de l'EURL.
4. Le 29 mars 2007, un plan de redressement a été arrêté par un tribunal de commerce, prévoyant la reprise par l'EURL du paiement des échéances du prêt.
5. Le 23 octobre 2013, M. [N] a apporté à la société civile immobilière C.P. (la SCI) un immeuble évalué à la somme de 500 000 euros et a reçu, en contrepartie, 500 000 parts de la SCI d'une valeur nominale de un euro. Le 1er juillet 2015, M. [N] a cédé la nue-propriété de ses parts à une autre société, la société BM.
6. Auparavant, un arrêt du 3 mars 2015 avait condamné M. [N], en sa qualité de caution solidaire de l'EURL, à payer à la banque la somme de 34 852,26 euros outre intérêts.
7. Le 17 février 2017, la banque a assigné M. [N] et la SCI sur le fondement de l'article 1167 du code civil, en nullité ou en inopposabilité de l'apport réalisé le 23 octobre 2013. Elle a demandé en cause d'appel la nullité ou l'inopposabilité de la cession réalisée le 1er juillet 2015.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, en tant qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de la banque en nullité ou en inopposabilité de l'acte du 1er juillet 2015
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, en tant qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de la banque en nullité ou en inopposabilité de l'acte du 23 octobre 2013
Enoncé du moyen
9. La banque fait grief à l'arrêt de rejeter toutes ses prétentions, alors « que les créanciers peuvent, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits ; que pour débouter la banque de sa demande en inopposabilité de l'acte d'apport de l'immeuble appartenant à M. [N] signé le 23 octobre 2013 au profit de la SCI, société familiale dont il est le gérant, après avoir été pourtant assigné par la banque le 11 avril 2013, aux fins d'obtenir sa condamnation, en qualité de caution des sommes restant dues au titre d'un prêt qu'il avait souscrit le 23 juillet 2002 au nom de l'EURL qu'il dirigeait, la cour d'appel retient, par motifs propres et adoptés, que "l'apport d'un bien à une société ne conduit pas à un appauvrissement de l'associé apporteur puisque l'immeuble, valorisé à 500 000 euros qui est sorti du patrimoine de M. [N] a été remplacé par des droits sociaux pour une valeur équivalente, ce dernier ayant reçu en contrepartie 500 000 parts sociales de la SCI [de sorte] qu'à défaut de démonstration de ce qu'un tiers aurait reçu ces parts sociales M. [N] ne s'est pas appauvri, l'acte d'apport n'ayant nullement affecté les droits de créancier de la banque [puisque] à la date de l'arrêt du 3 mars 2015 qui a condamné M. [N] à payer la somme de 34 852,86 euros à la banque, celle-ci était parfaitement en mesure de procéder à une saisie des parts sociales qui étaient encore valorisées à hauteur du montant de l'immeuble dont il n'est pas évoqué qu'il était vendu, ce qui aurait alors garanti sa créance à hauteur du cautionnement, l'acte du 1er juillet 2015 étant postérieur ; qu'ainsi l'existence d'un acte accompli en fraude des droits de la banque justifiant la nullité de l'acte du 23 octobre 2013 antérieurement à l'existence de l'acte sous seing privé du 1er juillet 2015 n'est pas rapportée" ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si le risque d'inscription d'hypothèque sur l'immeuble du chef de la société bénéficiaire de l'apport et la difficulté de négocier les parts sociales acquises par M. [N] le 23 octobre 2013 ne constituaient pas un facteur de diminution de la valeur du gage général de la banque et d'appauvrissement du débiteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1167 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
10. Selon ce texte, les créanciers peuvent, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude à leurs droits.
11. Pour rejeter la demande de la banque en nullité ou en inopposabilité de l'acte du 23 octobre 2013, l'arrêt retient que l'apport d'un bien à une société ne conduit pas à un appauvrissement de l'associé apporteur puisque l'immeuble, valorisé à 500 000 euros, qui est sorti du patrimoine de M. [N], a été remplacé par des droits sociaux pour une valeur équivalente, ce dernier ayant reçu en contrepartie 500 000 parts sociales de la SCI d'une valeur nominale de un euro. L'arrêt en déduit que M. [N] ne s'est pas appauvri, l'acte litigieux n'ayant pas affecté les droits de créancier de la banque.
12. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si la difficulté de négocier les parts sociales et le risque d'inscription d'hypothèques sur l'immeuble du chef de la SCI ne constituaient pas des facteurs de diminution de la valeur du gage du créancier et d'appauvrissement du débiteur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le second moyen, pris en sa première branche
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
13. Selon ce texte, la censure qui s'attache à un arrêt de cassation est limitée à la portée du moyen qui constitue la base de la cassation, sauf le cas d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
14. La cassation de l'arrêt en ce qu'il rejette la demande en nullité ou en inopposabilité de l'acte d'apport du 23 octobre 2013 entraîne la cassation des dispositions de cet arrêt déclarant irrecevables les mêmes demandes portant sur la cession, le 1er juillet 2015, de la nue propriété des parts émises en rémunération de l'apport, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne M. [N] et la société C.P. aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [N] et la société C.P. et les condamne à payer à la société Banque CIC Sud Ouest la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf mai deux mille vingt-quatre.