LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° H 23-80.253 F-D
N° 00652
RB5
23 MAI 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 23 MAI 2024
M. [V] [D] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-1, en date du 14 décembre 2022, qui, pour fraude fiscale, l'a condamné à deux ans d'emprisonnement, 50 000 euros d'amende, l'interdiction définitive de gérer, et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [V] [D], les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la direction générale des finances publiques et la direction départementale des finances publiques des Alpes-Maritimes, et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 24 avril 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. A la suite d'une plainte de l'administration fiscale, déposée sur avis conforme de la commission des infractions fiscales, M. [V] [D] a été cité devant le tribunal correctionnel du chef de fraude fiscale.
3. Le tribunal correctionnel l'a renvoyé des fins de la poursuite.
4. Le ministère public et l'administration fiscale ont relevé appel de la décision.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen
5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité et a déclaré M. [D] coupable des faits reprochés, le condamnant pénalement et déclarant recevable la direction générale des finances publiques en son action civile, alors :
« 1°/ que la commission des infractions fiscales a pour obligation d'informer le contribuable de sa saisine par lettre recommandée avec avis de réception, expédiée à sa dernière adresse connue, que M. [D] a fait valoir dans ses conclusions que les deux lettres en date du 30 mai 2016, expédiées par la commission des infractions fiscales, revenues non retirées, ont été envoyées non pas à sa dernière adresse connue en Espagne mais à [Localité 1] (Alpes Maritimes), alors même que M. [D] a informé plusieurs fois les services fiscaux lors des réunions qui se sont tenues en novembre 2013 et septembre 2014, et sur les correspondances adressées à l'administration fiscale, de sa nouvelle adresse en Espagne, en produisant à cet effet de nombreux documents l'attestant (pièces n° 5, 10, 16 et 18) ; que le tribunal relevait ainsi pour annuler la procédure que les prévenus n'ont pas été régulièrement informés de la saisine et n'ont pu dès lors faire valoir leurs observations, et ce malgré la connaissance par l'administration fiscale de leur adresse en Espagne ; qu'en se bornant à considérer qu'il ne ressort d'aucune des pièces soumises à son appréciation, que les lettres aient été envoyées à une mauvaise adresse et que le prévenu n'établit pas qu'elles aient été envoyées à une adresse erronée « s'agissant en l'espèce non pas de son adresse mais du lieu de commission des faits qui lui sont reprochés », la cour d'appel a violé le principe susvisé, les droits de la défense, les articles L 228 du livre des procédures fiscales, R 228-2 du même livre, 1741 à 1750 du code général des impôts et 593 du code de procédure pénale et s'est contredite ;
2°/ que l'information du contribuable doit lui être adressée à sa dernière adresse connue et non « au lieu de commission des faits », comme l'a retenu la cour d'appel après avoir cependant rappelé la jurisprudence de la Cour de cassation au terme de laquelle la commission des infractions fiscales a l'obligation d'informer le contribuable de sa saisine par lettre recommandée avec accusé de réception expédiée à sa dernière adresse connue, la Cour a méconnu les principes et textes susvisés ;
3°/ qu'en reconnaissant que l'avis de la Commission des infractions fiscales n'a pas été envoyé à l'adresse de M. [D], mais « au lieu de commission des faits reprochés », tout en indiquant que le prévenu n'établit pas que cet avis aurait été envoyé à une adresse erronée et en rejetant l'exception de nullité soulevée de ce chef, la cour d'appel s'est contredite et n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des textes et du principe susvisé. »
Réponse de la Cour
7. Pour écarter l'exception de nullité des poursuites pénales tirée de ce que la lettre avisant le prévenu de la saisine de la commission des infractions fiscales aurait été adressée à son ancien domicile, l'arrêt rappelle qu'en application des articles L. 228 et R. 228-2 du livre des procédures fiscales, la commission des infractions fiscales n'a pas d'autre obligation que d'informer le contribuable de sa saisine, par lettre recommandée avec avis de réception expédiée à sa dernière adresse connue, la validité de la procédure n'étant pas subordonnée à la réception effective de cette lettre.
8. Les juges relèvent que l'avis de la commission des infractions fiscales en date du 17 septembre 2016 mentionne que M. et Mme [D] ont été informés par lettres du 30 mai 2016, qu'ils n'ont pas retirées.
9. Les juges retiennent qu'en soulignant le fait qu'est mentionné le lieu « [Localité 1], Alpes Maritimes » sous le nom du prévenu sur l'avis de la commission des infractions fiscales, M. [D] n'établit pas que cet avis aurait été envoyé à une adresse erronée, s'agissant en l'espèce non pas de son adresse mais du lieu de commission des faits qui lui sont reprochés.
10. Ils concluent qu'il ne ressort dès lors d'aucune des pièces soumises à l'appréciation de la cour que ces lettres aient été envoyées à une mauvaise adresse.
11. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui a pu considérer, par des énonciations relevant de son appréciation souveraine, que la lettre recommandée exigée par l'article R. 228-2 précité a été expédiée à l'adresse déclarée par le contribuable, a justifié sa décision.
12. Par conséquent, le moyen doit être écarté.
Mais sur le troisième moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [D] à la peine de deux ans d'emprisonnement, décerné mandat d'arrêt, constaté l'impossibilité d'ordonner l'une des mesures d'aménagement, ainsi qu'à la peine de 50 000 euros d'amende et à la peine complémentaire d'interdiction définitive d'exercer une profession commerciale ou industrielle, alors :
« 4°/ que le juge qui prononce une peine d'amende doit en outre motiver sa décision en tenant compte des ressources et des charges de l'auteur de l'infraction ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est fondée pour prononcer l'amende sur l'économie d'impôt réalisée sans s'être expliquée précisément sur les ressources de M. [D], et absolument pas sur ses charges, privant ainsi sa décision de toute base légale au regard de l'article 132-20 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 132-1 et 132-20 du code pénal, et 593 du code de procédure pénale :
14. Il résulte des deux premiers de ces textes que l'amende doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle, dont ses ressources et charges.
15. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
16. Pour condamner le prévenu à une amende de 50 000 euros, l'arrêt relève qu'il a déclaré à l'audience ne pas avoir d'autre ressource que sa retraite estimée à 30 000 euros par an et que les nombreuses sociétés dont il était le gérant ont été liquidées et ne lui ont rien rapporté.
17. En se déterminant ainsi, sans tenir compte des charges du prévenu, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
18. La cassation est par conséquent encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs.
Portée et conséquences de la cassation
19. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives aux peines. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 14 décembre 2022, mais en ses seules dispositions relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois mai deux mille vingt-quatre.