LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
MB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 15 mai 2024
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 259 F-D
Pourvoi n° R 22-13.534
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 15 MAI 2024
La société Eiffage génie civil, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Eiffage TP - département Pipeline, venant elle-même aux droits de la société DLE spécialités, a formé le pourvoi n° R 22-13.534 contre l'arrêt rendu le 17 janvier 2022 par la cour d'appel de Pau (2e chambre, section 1), dans le litige l'opposant à la société Teréga,société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], anciennement TIGF, défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Comte, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Eiffage génie civil, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société Teréga, et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 mars 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Comte, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 17 janvier 2022), le 3 février 2014, à l'issue d'une procédure d'appel d'offres, la société TIGF, devenue Teréga, gestionnaire d'une partie du réseau national de transport de gaz naturel, a confié la réalisation d'une canalisation de gaz à un groupement momentané d'entreprises, constitué de la société de droit italien SALP et de la société DLE Adour, aux droits de laquelle est venue la société Eiffage génie civil (la société Eiffage).
2. En raison des difficultés rencontrées lors de l'exécution du chantier, trois avenants successifs ont été conclus par les parties, modifiant le prix du marché à la hausse. Au terme du dernier d'entre eux, signé le 29 septembre 2017, les parties sont convenues de fixer définitivement le prix final du contrat à une certaine somme, en ce compris des surcoûts de 14 millions d'euros HT, dont 10 millions revenant à la société Eiffage et 4 millions à la société SALP. Le 11 octobre 2017, la société Teréga a effectué les versements prévus par cet avenant.
3. Soutenant qu'avant même la signature de l'avenant du 29 septembre 2017, la société Teréga s'était, par sa proposition du 20 novembre 2015 acceptée le 23 novembre 2015, engagée à lui verser la somme de 10 millions d'euros HT le 31 décembre 2015 au plus tard, la société Eiffage l'a assignée en paiement des intérêts moratoires ayant couru sur cette somme du 31 décembre 2015 au 11 octobre 2017. La société Teréga a opposé à la société Eiffage l'irrecevabilité de la demande au regard de la transaction intervenue entre les parties le 29 septembre 2017.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La société Eiffage fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action dirigée contre la société Teréga, alors « que, tenu de respecter le principe du contradictoire, le juge ne peut relever un moyen d'office sans inviter préalablement les parties à formuler leurs observations sur son bien-fondé ; qu'en l'espèce, pour déclarer irrecevable l'action de la société EGC, la cour a jugé que les dispositions de l'article 67 de la loi du 8 août 1994, prohibant en matière de marchés publics toute renonciation aux intérêts moratoires, n'étaient pas applicables dès lors que le marché litigieux avait été conclu par la société Eiffage et la société Teréga, qui était une entité adjudicatrice et non un pouvoir adjudicateur ; qu'en relevant d'office ce moyen, pris de ce que les dispositions de ce texte n'étaient pas applicables aux marchés, quelle que soit leur qualification, conclus avec une entité adjudicatrice, et en déclarant irrecevable l'action de la société Eiffage, sans avoir au préalable invité les parties à formuler leurs observations, la cour a violé l'article 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. La société Teréga ayant soutenu, dans ses écritures d'appel, que l'article 67 de la loi n° 94-679 du 8 août 1994 s'appliquait exclusivement aux marchés publics, que les marchés régis, non par le code des marchés publics, mais par l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 n'étaient pas des marchés publics et que le marché litigieux n'était pas un marché public mais un marché régi par cette ordonnance dès lors que la société Teréga n'était pas un pouvoir adjudicateur, c'est sans violer le principe de la contradiction que la cour d'appel a retenu l'inapplicabilité dudit article 67 au marché litigieux, faute d'avoir été passé par un pouvoir adjudicateur.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
7. La société Eiffage fait le même grief à l'arrêt, alors « que les dispositions de l'article 67 de la loi du 8 août 1994 interdisent de manière absolue toute renonciation aux intérêts moratoires dus en raison de retards dans le règlement des marchés publics, que cette renonciation intervienne lors de la passation du marché ou postérieurement, sans opérer de distinction selon que le marché a été passé avec une entité adjudicatrice ou un pouvoir adjudicateur ; qu'en l'espèce, pour juger irrecevable l'action en paiement d'intérêts moratoires, la cour a retenu que la société Eiffage avait pu, par avenant du 29 septembre 2017, renoncer au paiement d'intérêts moratoires, au motif que la société Teréga était une entité adjudicatrice et non un pouvoir adjudicateur ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 67 de la loi du 8 août 1994. »
Réponse de la Cour
8. L'arrêt énonce à bon droit que l'article 67 de la loi n° 94-679 du 8 août 1994, qui s'applique « [d]ans le cadre des marchés publics », est applicable aux seuls marchés publics. Il rappelle que le code des marchés publics, applicable ratione temporis au marché litigieux, passé le 3 février 2014, définit, à son article 1er , les marchés publics comme « les contrats conclus à titre onéreux entre les pouvoirs adjudicateurs définis à l'article 2 et des opérateurs économiques publics ou privés, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services » et, à son article 2, les pouvoirs adjudicateurs comme « l'État et ses établissements publics autres que ceux ayant un caractère industriel et commercial » ou « les collectivités territoriales et les établissements publics locaux ». Il retient que la société Teréga n'a pas la qualité de pouvoir adjudicateur.
9. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, dont il se déduit que le marché conclu par la société Teréga avec les sociétés SALP et DLE Adour le 3 février 2014 n'était pas un marché public et que l'article 67 de la loi n° 94-679 du 8 août 1994 ne lui était donc pas applicable, la cour d'appel a exactement retenu que la société Eiffage, venant aux droits de la société DLE Adour, avait pu, par l'avenant du 29 septembre 2017, valablement renoncer aux intérêts moratoires qui lui étaient éventuellement dus.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
11. La société Eiffage fait le même grief à l'arrêt, alors « que les transactions ne règlent que les différends qui s'y trouvent compris ; qu'en l'espèce, la cour a retenu, pour juger que l'action de la société Eiffage tendant au paiement d'intérêts moratoires était irrecevable, que la société Teréga était fondée à lui opposer les termes de l'avenant du 29 septembre 2017 valant transaction ; qu'en statuant ainsi, quand elle constatait que, par cette transaction, la société Eiffage avait seulement renoncé irrévocablement à toute action, prétention amiable ou contentieux ou à tout autre recours de quelque nature que ce soit concernant le prix du contrat, de sorte qu'elle n'incluait pas l'éventuel paiement d'intérêts moratoires, la cour d'appel a violé les articles 2048 et 2049 du code civil. »
Réponse de la Cour
12. Après avoir relevé, par motifs adoptés, que les échanges qu'ont eu les parties en 2015 ne peuvent être considérés comme des engagements contractuels, les propositions relatives au montant définitif du marché étant présentées sous conditions, et, par motifs propres, que l'exposé préalable de l'avenant signé le 29 septembre 2017 fait état d'une rencontre du 7 juin 2017 entre les sociétés Eiffage, SALP et Teréga au cours de laquelle les parties se sont entendues sur les conditions opérationnelles, contractuelles et financières de clôture du projet, et que l'avenant du 29 septembre 2017 contient une clause le qualifiant de transaction, l'arrêt constate que les parties se sont accordées, aux termes de l'article 2 de cet avenant, notamment, sur le prix final du contrat exécuté, ce prix étant ferme, forfaitaire, non révisable et définitif, que les sociétés SALP et Eiffage ont déclaré renoncer irrévocablement à toute action, prétention amiable ou contentieuse ou à tout autre recours de quelque nature que ce soit à l'encontre du client concernant le prix du contrat et que la société Teréga avait payé le montant dû le 11 octobre 2017, après la signature de l'avenant.
13. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu considérer que ce n'est que par l'avenant du 29 septembre 2017, et non par les échanges menés en 2015, que les parties se sont accordées définitivement sur le prix du marché, de sorte que la société Eiffage était irrecevable à solliciter les intérêts de retard relatifs au paiement du prix du marché entre le mois de novembre 2015 et le 11 octobre 2017.
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Eiffage génie civil aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Eiffage génie civil et la condamne à payer à la société Teréga la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mai deux mille vingt-quatre.