LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 mai 2024
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 253 F-B
Pourvoi n° C 22-18.812
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 10 MAI 2024
M. [B] [E], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° C 22-18.812 contre l'arrêt rendu le 19 mai 2022 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile A), dans le litige l'opposant au directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, domicilié [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Tostain, conseiller référendaire, les observations de Me Haas, avocat de M. [E], de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, après débats en l'audience publique du 12 mars 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Tostain, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 19 mai 2022), le 4 juillet 2013, l'administration fiscale a adressé à M. [E] une proposition de rectification portant rappel d'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) au titre des années 2007 à 2012.
2. Après le rejet de sa réclamation contentieuse, M. [E] a assigné l'administration fiscale en annulation de la décision de rejet et dégrèvement des impositions réclamées.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. [E] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation de la décision du 17 octobre 2017 et sa demande de dégrèvement des suppléments d'ISF pour les années 2007 à 2012, alors « que la décision d'abandonner un rehaussement d'imposition portant sur la donation de parts sociales a pour conséquence d'en cristalliser la valeur unitaire, sauf à démontrer que celle-ci a évolué dans le temps ; qu'en effet, une telle circonstance se fonde implicitement mais nécessairement sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte et constitue dès lors une prise de position formelle au sens de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales ; qu'en jugeant que l'abandon des rehaussements initialement envisagés et relatifs aux droits de mutation des titres de la société Capimmo ne pouvait être considéré comme une prise de position formelle de l'administration fiscale sur la valeur unitaire des parts de cette société, la cour d'appel a violé l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, l'administration ne peut procéder à aucun rehaussement d'impositions antérieures lorsqu'elle a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal.
5. Une décision de dégrèvement d'office non motivée ne constitue pas une prise de position formelle de l'administration au sens de ce texte.
6. Ayant relevé que l'abandon par l'administration fiscale de rappels de droits de mutation à titre gratuit réclamés à la suite d'une donation-partage de titres de la société Capimmo n'était assorti d'aucune motivation, la cour d'appel en a déduit à bon droit que l'administration fiscale n'avait pas pris de position formelle sur la valeur unitaire des parts de cette société pour l'année 2011 et avait pu valablement évaluer la valeur réelle des parts de la société Capimmo, de 2007 à 2012.
7.Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
8. M. [E] fait le même grief à l'arrêt, alors « que les titres d'une société sont assimilés à des biens professionnels lorsque celle-ci participe à l'animation des sociétés d'un groupe et leur rend des services spécifiques d'ordre administratif, juridique, comptable, financier ou immobilier ; qu'en considérant que les parts détenues par M. [E] dans la société Capimmo devaient être incluses dans l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune après avoir pourtant constaté que cette société exerçait à titre principal une activité commerciale de syndic et d'administration de biens au profit des sociétés civiles immobilières qu'elle détenait, la cour d'appel a violé les articles 885 O ter et quater du code général des impôts. »
Réponse de la Cour
9. Au sens des articles 885 O ter et 885 O quater du code général des impôts, alors applicables, est assimilée à une société exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale une société holding qui, outre la gestion d'un portefeuille de participations, a pour activité principale la participation active à la conduite de la politique de son groupe et au contrôle de ses filiales exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale.
10. Il en résulte qu'une société holding qui ne contrôle aucune filiale opérationnelle ne peut être qualifiée de holding animatrice, de sorte que, si elle n'exerce pas elle-même une activité opérationnelle à titre principal, ses parts ou actions ne peuvent être considérées comme des biens professionnels exonérés de l'ISF.
11. Ayant relevé que la société Capimmo détenait à son actif uniquement des parts de sociétés civiles immobilières exerçant une activité civile de gestion de leur propre patrimoine immobilier à travers la location nue, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que les parts de la société Capimmo ne pouvaient être considérées comme des biens professionnels exonérés de l'ISF en tant que parts d'une société holding animatrice de son groupe.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
13. M. [E] fait le même grief à l'arrêt, alors « que la limitation de l'exonération d'ISF prévue par l'article 885 O ter du code général des impôts, qui exclut de la qualification de biens professionnels les actifs d'une société non nécessaires à son activité, ne s'étend pas aux actifs des filiales et sous-filiales ; qu'en jugeant ainsi que les actifs des SCI Siyanne et [Adresse 1], détenus par la société Capimmo, devaient être pris en compte pour établir le caractère professionnel des parts détenues par M. [E] dans cette dernière société, la cour d'appel a violé les articles 885 O ter et quater du code général des impôts. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 885 O ter et 885 O quater du code général des impôts, alors applicables :
14. Aux termes du premier de ces textes, seule la fraction de la valeur des parts ou actions correspondant aux éléments du patrimoine social nécessaires à l'activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de la société est considérée comme un bien professionnel.
15. Aux termes du second, ne sont pas considérées comme des biens professionnels les parts ou actions de sociétés ayant pour activité principale la gestion de leur propre patrimoine mobilier ou immobilier.
16. Il en résulte que les parts ou actions de sociétés exerçant à la fois une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale et une activité civile de gestion de leur propre patrimoine mobilier ou immobilier peuvent bénéficier du régime des biens professionnels exonérés d'ISF uniquement si cette dernière activité n'est pas exercée à titre principal et seulement pour la fraction de la valeur de ces parts ou actions nécessaires à l'activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.
17. Pour juger que les parts de la société Capimmo ne constituent pas des biens professionnels au sens des articles 885 O ter et 885 O quater du code général des impôts, l'arrêt relève que, même si la société Capimmo a pour activité principale une activité commerciale, elle perçoit d'importants produits financiers provenant de la location d'immeubles nus possédés par les sociétés civiles immobilières dont elle détient 99,99 % des parts. Il ajoute que la société Capimmo ne peut pas bénéficier du régime des biens professionnels pour la fraction de ses biens correspondant à son activité civile et que, dès lors que la valeur nette des biens non professionnels est supérieure à la valeur réelle nette de l'actif de la société, les parts de la société Capimmo ne constituent pas des biens professionnels au sens de l'article 885 O quater du code général des impôts.
18. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui incombait, la fraction de la valeur des parts de la société Capimmo correspondant aux éléments du patrimoine social nécessaires à son activité commerciale, dont elle avait relevé qu'elle était exercée à titre principal, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 mai 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Condamne le directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et des Bouches-du-Rhône, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et des Bouches-du-Rhône, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, et le condamne à payer à M. [E] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix mai deux mille vingt-quatre.