LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 mai 2024
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 245 F-D
Pourvoi n° V 22-18.989
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 10 MAI 2024
1°/ M. [I] [K],
2°/ Mme [N] [Z], épouse [K],
tous deux domiciliés [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° V 22-18.989 contre l'arrêt rendu le 7 février 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 10), dans le litige les opposant :
1°/ au directeur général des finances publiques, domicilié [Adresse 2],
2°/ au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, domicilié [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Daubigney, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Briard, avocat de M. et Mme [K], de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur général des finances publiques et du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, après débats en l'audience publique du 12 mars 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Daubigney, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 février 2022), M. [K] est propriétaire de 23 108 sur 2 384 513 parts de la société civile Océane (la société), nu-propriétaire de 682 064 autres parts, et usufruitier de 1 451 198 parts. Son fils mineur, [H], rattaché au foyer fiscal de M. et Mme [K], est titulaire de 18 140 parts en pleine propriété, soit 0,76 % des droits. La société n'a pas opté pour le régime de l'impôt sur les sociétés
2. M. et Mme [K] ont déposé une déclaration au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) pour l'année 2010, en faisant application de l'article 885 V bis du code général des impôts, qui prévoit un plafonnement du montant de cet impôt.
3. Estimant que la quote-part des résultats de la société au titre de l'exercice clos en 2009 de M. [K] et de son fils devait être prise en compte pour le calcul du plafonnement, ce qui en entraînait la suppression, l'administration fiscale leur a notifié une proposition de rectification portant rappel d'un surplus d'ISF.
4. Après mise en recouvrement et rejet de leur réclamation, M. et Mme [K] ont assigné l'administration fiscale en décharge du surplus d'imposition réclamée.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. M. et Mme [K] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à l'annulation de la décision de rejet de la réclamation contentieuse présentée et au prononcé de la décharge du supplément d'ISF mise à leur charge au titre de l'année 2010, alors « que lorsqu'une société civile, exerçant une activité de gestion d'un portefeuille mobilier constitué pour l'essentiel de contrats de capitalisation, n'a pas opté pour son assujettissement à l'impôt sur les sociétés et que l'ensemble de ses associés relève du II de l'article 238 bis K du code général des impôts, ces derniers sont soumis à l'impôt sur le revenu à concurrence de leur quote-part des revenus de la société déterminés en application de l'article 125-0 A de ce code, indépendamment de la répartition de ces revenus et sans qu'aient d'incidence à cet égard les modalités de calcul du résultat que la société est statutairement tenue de déterminer à seule fin d'information de ces mêmes associés qu'en jugeant, après avoir relevé que les comptes de la société avaient été approuvés le 30 juin 2010 et que le bénéfice de cette société, arrêté conformément à l'article 18 de ses statuts, avait été réparti entre les associés par inscription au crédit de leurs comptes courants au prorata de leurs droits sociaux, que le bénéfice ainsi déterminé, y compris la part de gains latents qu'il comportait du fait de ce mode de calcul statutaire, devait être inclus, à concurrence de la quote-part de chaque associé, dans ses revenus imposables au titre de l'année en cause, de sorte que M. et Mme [K] devait mentionner sur sa déclaration de revenus 2010 la quote-part de résultat réalisé au titre de l'exercice clos en 2009, au prorata de ses droits, pour déterminer le plafonnement de l'ISF 2010, la cour d'appel a violé les articles 8, 885 V bis, 885 E, 125-0 A et 238 bis K du code général des impôts. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 8, 885 V bis, 885 E, 125-0 A et 238 bis K du code général des impôts, dans leur version alors applicable :
6. Il résulte du second de ces textes que l'ISF du redevable est réduit de la différence entre, d'une part, le total de cet impôt et des impôts dus en France et à l'étranger au titre des revenus et produits de l'année précédente et, d'autre part, 85 % du total des revenus nets de frais professionnels de l'année précédente après déduction des seuls déficits catégoriels dont l'imputation est autorisée ainsi que des revenus exonérés d'impôt sur le revenu réalisés au cours de la même année en France ou hors de France et des produits soumis à un prélèvement libératoire.
7. Il résulte du premier que les membres des sociétés civiles qui ne revêtent pas, en droit ou en fait, l'une des formes de sociétés visées à l'article 206 1 du code général des impôts et qui, sous réserve des exceptions prévues à l'article 239 ter, ne se livrent pas à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 du même code, sont, lorsque ces sociétés n'ont pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, personnellement soumis à l'impôt sur le revenu pour la part de bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la société.
8. Il résulte des deux derniers de ces textes que la part de bénéfice ainsi que les profits résultant de la cession des droits sociaux sont déterminés et imposés en tenant compte de la nature de l'activité de la société et que les produits attachés aux bons ou contrats de capitalisation ainsi qu'aux placements de même nature souscrits auprès d'entreprises d'assurance établies en France sont soumis à l'impôt sur le revenu lors du dénouement du contrat.
9. Il se déduit de ces dispositions que si une société civile établit ses bénéfices en tenant compte de la valeur vénale réelle des éléments composant son actif net, la part de gains latents qu'ils comportent du fait de ce mode de calcul statutaire ne peut être incluse, à concurrence de la quote-part de chaque associé, dans les revenus imposables de celui-ci au titre de l'année en cause, peu important les modalités de détermination du résultat de la société civile telles qu'arrêtés par ses statuts.
10. Pour rejeter les demandes de M. et Mme [K], l'arrêt, après avoir énoncé que pour une société soumise à l'impôts sur le revenu, les bénéfices sont considérés comme acquis à la date de clôture de l'exercice et que ceux-ci sont réputés acquis par les associés à leur date de réalisation même si les associés n'en n'ont pas encore eu la disposition, relève que la société a inscrit dans sa comptabilité un certain résultat au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2009 et l'a, par assemblée générale du 30 juin 2010, réparti au débit des comptes courants d'associés en proportion de leurs droits dans le capital social. Il relève encore que les plus values latentes de la société doivent être incluses dans les revenus de la société au titre de cet exercice.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a retenu le bénéfice comptable réalisé par les sociétés civiles et son inscription en compte courant comme un revenu imposable alors qu'aucun résultat bénéficiaire n'était taxable au titre des contrats de capitalisation, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne le directeur général des finances publiques et le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le directeur général des finances publiques et le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris et les condamne à payer à M. et Mme [K] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix mai deux mille vingt-quatre.