LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 mai 2024
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 436 F-D
Pourvoi n° U 22-18.459
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 MAI 2024
Mme [S] [M], épouse [B], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° U 22-18.459 contre l'arrêt rendu le 14 avril 2022 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre), dans le litige l'opposant à la société Eurogroup Consulting France, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bouvier, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [M], , épouse [B], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Eurogroup Consulting France, après débats en l'audience publique du 20 mars 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bouvier, conseiller rapporteur, M. Rinuy, conseiller, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 14 avril 2022) et les productions, Mme [M], épouse [B], a été engagée en qualité d'assistante « ressources humaines » par la société Eurogroup Consulting France (la société), à compter du 3 janvier 2000 avec reprise d'ancienneté au 15 novembre 1999 selon contrat à durée indéterminée du 14 décembre 1999. Elle occupait en dernier lieu le poste de responsable développement RH.
2. A compter du 17 mai 2016, elle a été placée en arrêt de travail pour cause de maladie.
3. Par lettre du 24 novembre 2016, son conseil a pris contact avec la société en faisant état des graves difficultés rencontrées par la salariée dans l'exécution de son contrat de travail et de l'altération de son état de santé liée à ses horaires anormaux et aux méthodes de gestion de sa supérieure hiérarchique.
4. Une enquête interne sur les faits de harcèlement moral invoqués par la salariée a été menée dans l'entreprise et déposée le 14 mars 2017.
5. Par lettre du 13 mars 2017, la salariée a été mise à pied à titre conservatoire, convoquée à un entretien préalable fixé au 22 mars 2017 et licenciée pour faute lourde par lettre du 29 mars suivant.
6. Elle a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en nullité de ce licenciement et de demandes subséquentes.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en sa seconde branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande au titre de la violation de l'obligation de sécurité
Enoncé du moyen
7. La salariée fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande au titre de la violation de l'obligation de sécurité, alors « que manque à son obligation de sécurité de résultat, l'employeur qui, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, se borne à diligenter une enquête interne sans prendre des mesures immédiates pour le faire cesser ni toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ; qu'en l'espèce, Mme [B] a fait valoir que la direction de la société qui avait engagé, à partir de 2012, une politique de réduction des effectifs ne pouvait ignorer sa surcharge de travail matérialisée par un accroissement significatif de ses tâches et de ses horaires de travail ayant entraîné une altération de sa santé ; que son employeur n'avait jamais mis en place un accompagnement managérial qui lui avait été promis, ni pris de mesure pour remédier à cette charge de travail anormale ; qu'en se fondant sur les circonstances inopérantes que la société avait diligenté une enquête aux fins d'établir si ces faits étaient avérés dès qu'elle avait été alertée sur l'existence de possibles faits de harcèlement moral et que la surcharge de travail aurait été due à la faute de la salariée qui n'aurait pas su déléguer à ses équipes ou encore n'aurait pas donné suite à la proposition d'accompagnement managérial sans vérifier s'il n'appartenait pas à l'employeur qui connaissait la surcharge de travail de Mme [B], salariée depuis 17 ans, de justifier avoir pris les mesures de prévention nécessaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-3, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail. »
Réponse de la Cour
8. Ayant constaté que l'employeur, alerté par le courrier de l'avocat de la salariée du 28 novembre 2016, d'un possible harcèlement moral, avait diligenté une enquête, le 5 décembre suivant, confiée à une commission composée de délégués du personnel et d'un représentant de la direction, que cette commission avait entendu vingt-cinq personnes et a conclu le 13 mars 2017 à l'absence de harcèlement moral de la part de la supérieure hiérarchique de la salariée, la cour d'appel qui en avait déduit l'absence de violation par l'employeur de son obligation de sécurité, a légalement justifié sa décision.
Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à la nullité de son licenciement et de ses demandes subséquentes, à titre principal, de réintégration assortie du versement de la rémunération qui aurait dû lui être servie du 15 mars 2017 jusqu'à la date effective de sa réintégration et, à titre subsidiaire, de condamnation de la société à lui payer des dommages-intérêts pour licenciement nul, une indemnité conventionnelle de licenciement, une indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents
Enoncé du moyen
9. La salariée fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à la nullité de son licenciement et de ses demandes subséquentes, à titre principal, de réintégration assortie du versement de la rémunération qui aurait dû lui être servie du 15 mars 2017 jusqu'à la date effective de sa réintégration et, à titre subsidiaire, de condamnation de la société à lui payer des dommages-intérêts pour licenciement nul, une indemnité conventionnelle de licenciement, une indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, alors « que sauf preuve de la mauvaise foi du salarié laquelle ne peut résulter que de la connaissance par ce dernier de la fausseté des faits de harcèlement qu'il dénonce, le grief tiré de la relation des agissements de harcèlement moral par le salarié emporte à lui seul la nullité du licenciement, peu important que la lettre de licenciement énonce des griefs supplémentaires ; qu'en se fondant sur la circonstance inopérante que la lettre de licenciement de Mme [B] fait état d'agissements fautifs dont l'employeur a déduit que son maintien dans l'entreprise était impossible et sans constater que la société aurait rapporté la preuve de la mauvaise foi de la salariée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail ».
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail :
10. Aux termes du premier de ces textes, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
11. Selon le second, toute rupture de contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 du code du travail, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
12. Il s'en déduit que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.
13. Pour rejeter la demande de nullité du licenciement et celles soutenues au titre du harcèlement moral, ayant relevé que la lettre de licenciement pour faute lourde du 29 mars 2017 faisait état de plusieurs griefs, dont la volonté de la salariée de nuire à sa supérieure hiérarchique et à l'entreprise au moyen d'accusations qu'elle savait infondées et mensongères, l'arrêt retient que le licenciement n'est pas intervenu en raison de la dénonciation de faits de harcèlement moral mais après qu'une enquête a été diligentée sur l'existence de possibles faits de harcèlement moral, au cours de laquelle des témoins ont été auditionnés par la commission paritaire qui ont fait état d'agissements fautifs de la salariée dont l'employeur a déduit que son maintien dans l'entreprise était impossible.
14. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la lettre de licenciement reprochait à la salariée ses accusations de harcèlement moral portées à l'égard de sa supérieure hiérarchique, la cour d'appel qui n'a pas recherché si la mauvaise foi de la salariée, lors de cette dénonciation, était établie, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
15. La cassation prononcée sur le premier moyen ne s'étend pas au rejet de la demande de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire qu'aucun des griefs énoncés au moyen n'est susceptible d'atteindre.
16. La cassation des chefs de dispositif rejetant la demande de nullité du licenciement et les demandes subséquentes de la salariée emporte celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la salariée aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile et rejetant sa demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE mais seulement en ce qu'il rejette la demande de Mme [M], épouse [B], tendant à la nullité de son licenciement et ses demandes subséquentes, à titre principal, de réintégration assortie du versement de la rémunération qui aurait dû lui être servie du 15 mars 2017 jusqu'à la date effective de sa réintégration et, à titre subsidiaire, de condamnation de la société à lui payer des dommages-intérêts pour licenciement nul, une indemnité conventionnelle de licenciement, une indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents et en ce qu'il la déboute de sa demande formée en application de l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à verser la somme de 2 000 euros à ce titre à la société Eurogroup Consulting France, ainsi qu'aux dépens, l'arrêt rendu le 14 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne la société Eurogroup Consulting France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Eurogroup Consulting France et la condamne à payer à Mme [M], épouse [B], la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux mai deux mille vingt-quatre.