LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
IJ
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 mai 2024
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 205 F-D
Pourvoi n° K 21-26.014
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 2 MAI 2024
1°/ M. [W] [F], domicilié [Adresse 2],
2°/ M. [T] [F], domicilié [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° K 21-26.014 contre l'arrêt rendu le 4 novembre 2021 par la cour d'appel de Nîmes (chambre civile, 1re chambre), dans le litige les opposant à M. [N] [G], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
M. [G] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, quatre moyens de cassation.
Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dard, conseiller, les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de MM. [W] et [T] [F], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [G], et l'avis de Mme Caron-Deglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 mars 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, Mme Dard, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 4 novembre 2021), [E] [F] et son épouse, [J] [I], sont décédés respectivement les 8 novembre 2010 et 11 novembre 2011, en laissant pour leur succéder leur fils, [C] [F], et leur petit-fils, M. [N] [G], venant par représentation de leur fille, [R] [G], prédécédée.
2. Des difficultés étant survenues lors du règlement des successions, M. [N] [G] a assigné [C] [F] en partage.
3. MM. [W] et [T] [F] sont intervenus à l'instance en qualité d'ayants droit de [C] [F], décédé le 19 décembre 2020.
Examen des moyens
Sur les deuxième et quatrième moyens du pourvoi principal et les moyens du pourvoi incident
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le quatrième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal et sur les moyens du pourvoi incident, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation et sur le deuxième moyen et le quatrième moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal, qui sont irrecevables.
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
5. MM. [F] font grief à l'arrêt de déclarer prescrites leurs demandes en reconnaissance de créances au titre d'un trop-payé de fermages et d'améliorations culturales, alors :
« 1°/ qu'il résulte des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile que la cour d'appel n'est saisie que des prétentions énoncées au dispositif des conclusions d'appel des parties ; que, d'autre part, les juges ne peuvent pas suppléer d'office le moyen résultant de la prescription ; qu'en déclarant, dès lors, irrecevable la demande de M. [W] [F] et de M. [T] [F] tendant à la reconnaissance d'une créance d'un montant de 2 286, 75 euros au titre des fermages payés en trop pour cause de prescription, quand, dans le dispositif de ses conclusions d'appel, M. [N] [G] n'avait pas soulevé la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action tendant à la reconnaissance d'une créance d'un montant de 2 286, 75 euros au titre des fermages payés en trop, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 954 du code de procédure civile et de l'article 2247 du code civil ;
2°/ qu'il résulte des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile que la cour d'appel n'est saisie que des prétentions énoncées au dispositif des conclusions d'appel des parties ; que, d'autre part, les juges ne peuvent pas suppléer d'office le moyen résultant de la prescription ; qu'en déclarant, dès lors, irrecevable la demande de M. [W] [F] et de M. [T] [F] tendant à la reconnaissance d'une créance d'un montant de 168 227 euros au titre des améliorations culturales pour cause de prescription, quand, dans le dispositif de ses conclusions d'appel, M. [N] [G] n'avait pas soulevé la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action tendant à la reconnaissance d'une créance d'un montant de 168 227 euros au titre des améliorations culturales, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 954 du code de procédure civile et de l'article 2247 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 954, alinéas 2 et 3, du code de procédure civile et 2247 du code civil :
6. Il résulte du premier de ces textes que les prétentions des parties formulées dans leurs conclusions d'appel sont récapitulées sous forme de dispositif et que la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.
7. Aux termes du second, les juges ne peuvent pas suppléer le moyen résultant de la prescription.
8. Pour déclarer irrecevables les demandes de MM. [F] en reconnaissance de créances au titre d'un trop-payé de fermages et d'améliorations culturales, l'arrêt retient que celles-ci ont été formées pour la première fois par conclusions du 18 juin 2020, soit après l'expiration du délai quinquennal de prescription courant à compter du 11 novembre 2011, date de l'ouverture de la succession de [J] [I].
9. En statuant ainsi, alors que la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes ne figurait pas dans le dispositif des conclusions de M. [G], la cour d'appel, qui ne pouvait ni statuer sur cette fin de non-recevoir ni la relever d'office, a violé les textes susvisés.
Et sur le troisième moyen du pourvoi principal
10. MM. [F] font grief à l'arrêt de fixer la créance de salaire différé de [R] [G] à la somme de 26 152 euros et de dire que cette somme sera prélevée sur la succession avant tout partage et attribuée à M. [G], alors « que l'action en paiement de la créance résultant d'un contrat de salaire différé est soumise aux règles de prescription de droit commun ; qu'une demande en paiement d'une créance formulée devant un notaire, qui ne s'analyse pas en une demande en justice, n'interrompt pas le délai de prescription auquel est soumis l'action en paiement de cette créance ; qu'en énonçant, dès lors, pour retenir que l'action en paiement d'une créance de salaire différée exercée par M. [N] [G] n'était pas prescrite, que la prescription de l'action en demande du bénéfice d'un contrat de salaire différé court à compter de l'ouverture de la succession, soit à compter du 11 novembre 2011, et que M. [N] [G] justifiait de ce que la déclaration de créance salariale avait été effectuée le 31 mai 2013 devant le notaire chargé du règlement des successions, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 2240 et suivants du code civil et des articles L. 321-13 et L. 321-17 du code rural et de la pêche maritime. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2240, 2241 et 2244 du code de procédure civile :
11. Il résulte de ces textes que la prescription est interrompue par la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait,
la demande en justice, même en référé, une mesure conservatoire prévue par le code des procédures civiles d'exécution ou un acte d'exécution forcée.
12. Pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la créance de salaire différé de [R] [G], l'arrêt, après avoir énoncé que la prescription courait à compter du 11 novembre 2011, date du décès de [J] [I], retient que M. [G] justifie que la créance a été déclarée auprès du notaire chargé du règlement de la succession, le 31 mai 2013.
13. En statuant ainsi, alors qu'une déclaration de créance entre les mains du notaire chargé du règlement d'une succession n'interrompt pas la prescription, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
14. La cassation des chefs de dispositif déclarant prescrites les demandes en reconnaissance de créances au titre d'un trop-payé de fermages et d'améliorations culturales, fixant la créance de salaire différé de [R] [G] à une certaine somme et disant que cette somme sera prélevée sur la succession avant tout partage et attribuée à M. [G] n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt disant que les entiers dépens de l'appel seront employés en frais privilégiés de partage et rejetant les demandes formées par les parties en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par les dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables les demandes de MM. [F] en reconnaissance de créances d'un montant de 2 286, 75 euros au titre des fermages payés en trop et d'un montant de 168 227 euros au titre des améliorations culturales pour cause de prescription, fixe la créance de salaire différé de [R] [G] à la somme de 26 152 euros et dit que cette somme sera prélevée sur la succession avant tout partage et attribuée à M. [N] [G], son représentant, dans le cadre des opérations de partage, l'arrêt rendu le 4 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne M. [G] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [G] et le condamne à payer à MM. [F] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux mai deux mille vingt-quatre.