LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 avril 2024
Cassation partielle
sans renvoi
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 335 F-D
Pourvoi n° G 22-12.239
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 AVRIL 2024
La société [3], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 22-12.239 contre l'arrêt rendu le 17 décembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 13), dans le litige l'opposant à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lapasset, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société [3], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis, et l'avis de Mme Tuffreau, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 5 mars 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, Mme Lapasset, conseiller rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 décembre 2021), la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis (la caisse) a pris en charge au titre de la législation professionnelle, par une décision du 21 novembre 2016, l'accident survenu le 19 octobre 2016, à l'un des salariés de la société [3] (l'employeur), qui a émis des réserves.
2. L'employeur a saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale aux fins d'inopposabilité de cette décision.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident de la caisse
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen du pourvoi principal de l'employeur, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de rejeter son recours, alors « que les réserves visées par l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, s'entendant de la contestation du caractère professionnel de l'accident par l'employeur, ne peuvent porter que sur les circonstances de temps et de lieu de celui-ci ou sur l'existence d'une cause totalement étrangère au travail ; que constituent des réserves motivées, la lettre de l'employeur qui conteste « l'absence de témoins » sans qu'il soit dans l'obligation de développer davantage de tels moyens à ce stade ; qu'en décidant que les réserves émises par l'employeur ne pouvaient être qualifiées de réserves motivées au sens de l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale au motif que les réserves émises auraient été insuffisamment précises, circonstanciées et détaillées au regard des faits de l'espèce, quand il résultait de ses propres constatations que l'employeur avait contesté que l'accident s'était produit au temps et au lieu du travail en relevant notamment l'absence de témoin, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article R. 441-11, III du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009. »
Réponse de la Cour
Vu l'article R. 441-11, III, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, applicable au litige :
5. Selon ce texte, en cas de réserves motivées de la part de l'employeur ou si elle l'estime nécessaire, la caisse envoie, avant décision, à l'employeur et à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident ou de la maladie, ou procède à une enquête auprès des intéressés.
6. Pour rejeter le recours de l'employeur, après avoir relevé que la lettre de réserves du 21 octobre 2016 était ainsi libellée : « Nous émettons des réserves sur le caractère professionnel de l'accident cité en référence du fait qu'aucun témoin ne peut attester l'heure et le lieu indiqué par l'intérimaire », l'arrêt retient que la seule mention de l'absence de témoin pouvant attester l'heure et le lieu indiqué par le salarié, ne constitue pas des réserves portant sur les circonstances de temps et de lieu du travail ou sur la matérialité du fait accidentel et que, par les termes de la lettre susvisée, la société ne remet pas expressément en cause le fait que l'accident soit bien survenu au temps et au lieu du travail. Il ajoute que la caisse, qui, par ailleurs disposait de présomptions graves, précises et concordantes, n'était pas tenue de procéder à une instruction et pouvait prendre en charge l'accident d'emblée.
7. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que l'employeur, qui, au stade de la recevabilité des réserves, n'était pas tenu d'apporter la preuve de leur bien-fondé, avait formulé, en temps utile, des réserves quant aux circonstances de temps et de lieu de l'accident, de sorte que la caisse ne pouvait prendre sa décision sans procéder à une instruction préalable, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
8. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
9. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
10. Il résulte de ce qui est dit aux paragraphes 5 et 7 qu'il y a lieu de déclarer inopposable à la société [3] la décision de prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis, au titre de la législation professionnelle, de l'accident en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi principal, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare l'appel et le recours de l'employeur recevables, l'arrêt rendu le 17 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DÉCLARE inopposable à la société [3] la décision de prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis, au titre de la législation professionnelle, de l'accident dont a été victime M. [C], le 19 octobre 2016 ;
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis aux dépens, au titre des instances suivies tant devant la cour d'appel de Paris que devant la Cour de cassation ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis et la condamne à payer à la société [3] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq avril deux mille vingt-quatre.