LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 avril 2024
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 304 F-D
Pourvoi n° Z 22-21.063
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 4 AVRIL 2024
La société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 22-21.063 contre l'arrêt rendu le 7 juillet 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-6), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [U] [Z], domicilié [Adresse 3],
2°/ à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à la société Generali vie, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
M. [Z] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.
Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Cassignard, conseiller, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Allianz IARD, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [Z], et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 février 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Cassignard, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 7 juillet 2022), M. [Z] a été victime le 9 décembre 2009 d'un accident de la circulation caractérisant un accident de trajet, impliquant un véhicule assuré par la société Gan eurocourtage, aux droits de laquelle est venue la société Allianz (l'assureur).
2. Une expertise amiable contradictoire a été diligentée à l'issue de laquelle les experts ont déposé leur rapport commun le 10 août 2014.
3. M. [Z] a assigné l'assureur et la société Generali vie devant un tribunal de grande instance, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône (la caisse), à fin d'indemnisation de ses préjudices.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal, formé par l'assureur, pris en ses deux premières branches
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
5. L'assureur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à M. [Z], après imputation des débours définitifs des tiers payeurs et de la somme de 58 000 euros déjà réglée à titre provisionnel, une somme totale de 513 434,83 euros, dont la somme de 386 721,26 euros au titre du poste de préjudice des dépenses de santé futures, alors que « en condamnant la société Allianz à payer à M. [Z], outre la somme de 25 573,46 euros au titre de la prothèse de natation, la somme de 361 147,80 euros au titre de la prothèse Variflex, après avoir constaté que « la caisse primaire d'assurance-maladie a produit le 03/11/2021 un état des débours définitifs rectifiés, compte arrêté au 05/01/2017, aux termes duquel le montant des frais futurs a été réduit de 449 164,79 euros à 133 853,45 euros », ce dont il résultait que la somme de 133 843,45 euros devait en toute hypothèse être déduite de la somme retenue au titre du poste dépenses de santé futures, peu important que cette somme n'ait pas inclus les frais de renouvellement de prothèse, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences qui s'inféraient de ses propres constatations et a violé les articles 29 et 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, ensemble le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ».
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
6. M. [Z] conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il est contraire à la thèse défendue devant la cour d'appel par l'assureur, qui sollicitait la confirmation du jugement l'ayant condamné à payer à la victime la somme de 19 501,93 euros au titre des dépenses de santé futures, somme correspondant au montant capitalisé d'une prothèse de natation que l'assureur avait accepté de prendre en charge, admettant par là-même n'y avoir lieu à déduction des frais futurs de la caisse s'agissant d'une prothèse et de son renouvellement non pris en charge par la sécurité sociale.
7. Cependant, le moyen n'est pas contraire à la thèse développée devant le juge du fond, l'assureur ayant accepté de prendre en charge l'indemnisation de la prothèse de natation non remboursée, sans pour autant renoncer à l'imputation du montant de la prothèse-type prise en charge par la caisse au titre des dépenses de santé futures.
8. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 29 et 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :
9. Il résulte de ces textes que le recours subrogatoire des tiers payeurs s'exerce poste par poste, sur les seules indemnités qui réparent les préjudices qu'ils ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel.
10. Pour condamner l'assureur à payer à M. [Z] la somme de 386 721,26 euros au titre du poste de préjudice des dépenses de santé futures, l'arrêt retient qu'il convient d'ajouter à la valeur capitalisée du renouvellement de la prothèse de marche Variflex, d'un montant de 361 147,80 euros, que la caisse refuse de prendre à sa charge, le montant capitalisé d'une prothèse de natation que l'assureur offre de régler, évalué à 25 573,46 euros par la cour d'appel.
11. En statuant ainsi, alors qu'elle relevait que la caisse avait produit un état des débours définitifs rectifiés faisant état au titre des frais futurs d'un montant de 133 853,45 euros, qui devait s'imputer sur le poste des dépenses de santé futures, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés.
Et sur le moyen du pourvoi incident formé par M. [Z]
Enoncé du moyen
12. M. [Z] fait grief à l'arrêt de condamner l'assureur à lui payer, après imputation des débours définitifs des tiers payeurs et de la provision déjà réglée de 58 000 euros, une somme de 513 434,83 euros seulement, dont 0 euro au titre du déficit fonctionnel permanent, alors que « la rente versée à la victime d'un accident du travail ne répare pas le déficit fonctionnel permanent de sorte que le recours du tiers payeur débiteur de cette rente ne peut s'exercer sur l'indemnité due à la victime au titre de ce poste de préjudice ; qu'en l'espèce, en imputant sur le poste déficit fonctionnel permanent évalué à 96 950 euros la créance résiduelle de la caisse primaire d'assurance maladie au titre de la rente qu'elle verse à M. [Z], victime d'un accident du travail, soit 256 843,16 euros, au motif que la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, outre l'incidence professionnelle, le déficit fonctionnel permanent, et juger en conséquence qu'aucun montant d'indemnisation ne revient à M. [Z], la cour d'appel a violé l'article 31 de la loi du 5 juillet 1985 ».
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
13. L'assureur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il est contraire à la thèse défendue devant la cour d'appel par M. [Z], qui ne contestait pas le montant du poste de préjudice de déficit fonctionnel permanent selon les méthodes d'évaluation retenues par la cour d'appel. L'assureur soutient par ailleurs que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit.
14. Cependant le moyen n'est pas contraire à la thèse soutenue devant les juges du fond par M. [Z], qui n'a pas invoqué que la rente versée par la caisse réparait son déficit fonctionnel permanent ni admis qu'elle s'imputait sur ce poste de préjudice.
15. Le moyen, qui est nouveau mais de pur droit, est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale et les articles 29 et 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 :
16. Selon les deux premiers de ces textes, la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle atteinte d'une incapacité permanente égale ou supérieure au taux de 10 % prévu par l'article R. 434-1 du même code est égale au salaire annuel multiplié par le taux d'incapacité qui peut être réduit ou augmenté en fonction de la gravité de celle-ci.
17. Il résulte des deux derniers que le recours subrogatoire des tiers payeurs s'exerce poste par poste, sur les seules indemnités qui réparent les préjudices qu'ils ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel.
18. Selon une jurisprudence constante, la rente versée à la victime d'un accident du travail en application des articles L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale indemnise les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle.
19. Depuis deux arrêts d'assemblée plénière rendus le 20 janvier 2023 (Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvois n° 20-23.673 et 21-23.947, publiés), la Cour de cassation juge que la rente visée aux articles précédents ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.
20. Pour dire qu'il ne revient aucune somme à M. [Z] du chef du déficit fonctionnel permanent, l'arrêt retient que la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, outre l'incidence professionnelle, le déficit fonctionnel permanent.
21. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement :
- en ce qu'il a, après imputation des débours définitifs des tiers payeurs et de la somme de 58 000 euros déjà réglée à titre provisionnel, condamné la société Allianz IARD à payer à M. [Z], une somme de 513 434,83 euros
- en ce qu'il a fixé à 0 euro la somme due au titre du déficit fonctionnel permanent,
- en ce qu'il a fixé à la somme de 386 721,26 euros la somme due par la société Allianz à M. [Z] au titre des dépenses de santé futures, l'arrêt rendu le 7 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre avril deux mille vingt-quatre.