LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 avril 2024
Cassation
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 172 F-D
Pourvoi n° Z 22-21.270
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 4 AVRIL 2024
La société banque Socredo, société anonyme d'économie mixte, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 22-21.270 contre l'arrêt rendu le 12 mai 2022 par la cour d'appel de Papeete (chambre civile), dans le litige l'opposant à M. [E] [K], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Peyregne-Wable, conseiller, les observations de la SCP Duhamel, avocat de la société banque Socredo, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [K], après débats en l'audience publique du 13 février 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Peyregne-Wable, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 12 mai 2022), suivant offre de crédit à la consommation acceptée le 15 septembre 2015, souscrite en Polynésie française, la société banque Socredo (la banque) a consenti à M. [K] (l'emprunteur) un prêt d'une certaine somme remboursable par échéances mensuelles.
2. A la suite d'une mise en demeure de régler les échéances impayées, délivrée le 4 juin 2018, la banque s'est prévalue de la déchéance du terme et a assigné l'emprunteur le 4 eptembre 2018 en paiement du solde restant dû.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La banque fait grief à l'arrêt de déclarer ses demandes irrecevables, alors « qu'à l'égard d'une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l'égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que, si l'action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d'échéance successives, l'action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité ; que la cour d'appel, statuant sur la prescription de l'action et constatant que les parties s'accordaient sur l'application des dispositions de l'article L.P. 10 de la loi du Pays n° 2016-28 du 11 août 2016 prévoyant un délai de prescription biennale, a déclaré l'action prescrite aux motifs propres qu'il s'était écoulé plus de deux ans entre la date de la première échéance impayée, le 31 janvier 2016, et la signification de l'assignation le 4 septembre 2018 ; que par motifs réputés adoptés, elle a également jugé que le délai de prescription de l'article L.P. 10 de la loi du Pays n° 2016-28 du 11 août 2016 commençait à courir, en matière de crédit à la consommation, à partir du premier incident de paiement non régularisé ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L.P. 10 de la loi du Pays n° 2016-28 du 11 août 2016, ensemble les articles 2224 et 2233 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L.P. 10 et 74 de la loi du Pays n° 2016-28 du 11 août 2016 relative à la protection des consommateurs et les articles 2224 et 2233 du code civil :
4. Aux termes du premier de ces textes, applicable, selon le deuxième, aux contrats en cours, sans préjudice des règles de prescriptions particulières du code civil tel qu'applicable en Polynésie française, l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs ou non professionnels, se prescrit par deux ans.
5. Il résulte des deux derniers textes visés qu'à l'égard d'une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l'égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que, si l'action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d'échéance successives, l'action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité.
6. Pour déclarer irrecevable l'action en paiement de la banque, l'arrêt retient que le point de départ de la prescription biennale est la date du premier incident non régularisé.
7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
8. La banque fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'à supposer que l'arrêt puisse être lu comme faisant application des stipulations contractuelles reprenant les termes de l'ancien article L. 311-52 du code de la consommation inapplicable au litige, le juge doit faire respecter et respecter lui-même le principe du contradictoire et ne peut relever d'office un moyen sans inviter les parties à faire valoir leurs observations ; qu'en fondant d'office la prescription de l'action sur les dispositions contractuelles cependant que ni la société Socredo, ni M. [K] ne revendiquaient leur application pour statuer sur la recevabilité de l'action de la Banque, les deux parties s'accordant sur l'application de la prescription de l'article L.P. 10 de la loi du Pays n° 2016-28 du 11 août 2016, la cour d'appel, qui n'a pas invité les parties à en débattre préalablement, a violé l'article 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 16 du code de procédure civile :
9. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
10. Pour déclarer irrecevable l'action en paiement de la banque, l'arrêt fait application cumulativement de l'article 10 de la loi du Pays du 11 août 2016 et des dispositions de l'article L. 311-52 du code de la consommation reproduit dans le contrat.
11. En statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen relevé d'office tiré de ce qu'elles se seraient volontairement soumises à des dispositions du code de la consommation inapplicables en Polynésie, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 12 mai 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Papeete autrement composée ;
Condamne M. [K] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [K] et le condamne à payer à la société banque Socredo la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre avril deux mille vingt-quatre.