LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 mars 2024
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 150 F-D
Pourvoi n° P 23-14.824
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 20 MARS 2024
M. [F] [T], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° P 23-14.824 contre l'arrêt rendu le 15 décembre 2022 par la cour d'appel de Grenoble (chambre commerciale), dans le litige l'opposant à la société Le Grenier, société coopérative à forme anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bellino, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [T], de la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de la société Le Grenier, après débats en l'audience publique du 30 janvier 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bellino, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 15 décembre 2022), M. [T] a été embauché à compter du 1er février 2010 par la société Le Grenier. Son contrat de travail comportait, moyennant le paiement d'une indemnité compensatrice, une obligation de non-concurrence, à laquelle l'employeur pouvait renoncer à condition d'en informer le salarié au plus tard dans les quinze jours suivant la notification de la rupture de son contrat de travail.
2. Outre ses fonctions salariées, M. [T] a été nommé directeur général le 15 juin 2011, puis directeur général unique le 12 mai 2016, et enfin président du directoire de la société Le Grenier le 5 avril 2017.
3. Par lettre du 14 décembre 2017, M. [T] a fait part au président du conseil de surveillance de sa volonté de démissionner tant de ses fonctions salariées que de celles exercées au titre de son mandat social de président du directoire.
4. Son contrat de travail a pris fin le 14 mars 2018. Sa démission de son mandat social a été constatée par délibération du conseil de surveillance du 30 mars 2018.
5. Invoquant l'absence de paiement de l'indemnité compensatrice de son obligation de non-concurrence, M. [T] a saisi un conseil de prud'hommes. En appel, la société Le Grenier a été condamnée à lui payer la somme de 34 071,06 euros à ce titre.
6. Parallèlement, la société Le Grenier a assigné M. [T] devant un tribunal de commerce afin de voir constater qu'il avait manqué à l'obligation de loyauté à laquelle il était tenu en sa qualité de président du directoire et de le voir condamner à lui payer une somme à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'absence de renonciation par elle à la clause de non-concurrence.
Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
7. M. [T] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la société Le Grenier la somme de 33 640,35 euros au titre du préjudice subi résultant de la perte de chance pour la société Le Grenier d'avoir pu renoncer à l'application de la clause de non-concurrence, alors :
« 1°/ que ne manque pas à l'obligation de loyauté le mandataire social, également directeur de magasin salarié, qui démissionne de ses fonctions de directeur et de son mandat social après avoir rappelé dans la lettre de démission, l'existence, dans son contrat de travail d'une clause de non-concurrence et qui n'a pas dissimulé l'identité de la nouvelle entreprise, non concurrente de la précédente, auprès de laquelle il allait exercer ses nouvelles fonctions ; qu'en retenant, pour condamner M. [T] à payer à la société Le Grenier la somme de 33 640,35 euros, qu'il avait manqué à son obligation de loyauté faute de l'avoir informée sur la possibilité de renoncer à la clause de non-concurrence stipulée dans son contrat de travail, après avoir pourtant constaté d'une part, que M. [T] avait indiqué dans sa lettre de démission qu'il entendait se prévaloir de la clause de non-concurrence et d'autre part, que la société Le Grenier avait reconnu elle-même que "l'embauche de Monsieur [T] par la Polyclinique des [3] [soit par une société non concurrente] n'était un secret pour personne", la cour d'appel a méconnu les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1134, devenu 1103, du code civil ;
2°/ qu'aux termes de l'article 12 du contrat de travail conclu entre M. [T] et la société Le Grenier, cette dernière avait la possibilité de renoncer purement et simplement au bénéfice de la clause de non-concurrence en informant, au plus tard, M. [T] dans les quinze jours suivant la notification de la rupture de son contrat de travail ; qu'en affirmant, pour retenir que M. [T] avait manqué à son obligation de loyauté et le condamner à payer à la société Le Grenier la somme de 33 640,35 euros, qu'aucune information loyale n'aurait été fournie à la société sur la possibilité dont elle disposait de renoncer à la clause de non-concurrence, quand cette possibilité était expressément prévue à l'article 12 du contrat de travail qu'elle avait signé, la cour d'appel a derechef violé l'article 1134, devenu 1103, du code civil ;
3°/ qu'aux termes de l'article 12 du contrat de travail conclu entre M. [T] et la société Le Grenier, cette dernière bénéficiait de la faculté unilatérale de renoncer à la clause de non-concurrence ; qu'en affirmant, pour condamner M. [T] à payer à la société Le Grenier la somme de 33 640,35 euros, qu'il résultait d'une attestation d'un membre du directoire que M. [T] avait dit qu'il ne lèverait pas la clause de non-concurrence, quand cette circonstance ne pouvait faire obstacle à la faculté de renonciation unilatérale dont bénéficiait la société Le Grenier, la cour d'appel a statué par un motif inopérant en violation de l'article l'article 1134, devenu 1103, du code civil. »
Réponse de la Cour
8. L'arrêt constate que le contrat de travail de M. [T] comportait une clause de non-concurrence pendant deux ans et que les parties se réservaient la possibilité de renoncer au bénéfice de cette clause, à tout moment, et au plus tard en informant le salarié dans les quinze jours suivant la notification de la rupture de son contrat de travail. Il relève que ce contrat a été signé par M. [T] et par l'ancien président directeur général de la société Le Grenier et que, dans sa lettre de démission adressée au président du conseil de surveillance, M. [T] a indiqué qu'il entendait se prévaloir de la clause de non-concurrence.
9. L'arrêt retient que M. [T] est mis en cause non en sa qualité de salarié, mais en celle de président du directoire, qu'au titre de cette fonction, il était tenu d'une obligation de loyauté envers la société dont la gestion lui avait été confiée et envers les autres organes de gouvernance de celle-ci et qu'il lui appartenait ainsi d'informer précisément les autres membres du directoire, ainsi que les membres du conseil de surveillance, des termes précis de la clause de non-concurrence et de la possibilité pour la société d'y renoncer, puisqu'il était notoire qu'il quittait cette société pour exercer des fonctions ne rendant pas ladite clause nécessaire. Il relève que si le conseil de surveillance a bien été avisé de l'existence de cette clause de non-concurrence, aucun élément ne permet de retenir qu'une information loyale lui a été fournie sur la possibilité pour la société d'y renoncer. Il relève enfin qu'il résulte de l'attestation d'un membre du directoire que M. [T] avait affirmé qu'il ne lèverait pas la clause de non-concurrence et retient que cette attestation est confirmée par celle du président du conseil de surveillance selon laquelle M. [T] avait indiqué qu'il existait une clause mais qu'elle était inamovible.
10. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, a pu retenir, sans méconnaître les conséquences légales de ses constatations, qu'en n'informant pas les organes de direction de la faculté pour la société Le Grenier de renoncer à la clause de non-concurrence insérée dans son contrat de travail, M. [T] avait manqué, en sa qualité de président du directoire, à son obligation de loyauté à l'occasion de sa démission de ses fonctions salariales.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
12. M. [T] fait le même grief à l'arrêt, alors « que le juge doit faire respecter et respecter lui-même le principe du contradictoire ; qu'il ne peut relever d'office un moyen sans avoir au préalable invité les parties à s'en expliquer contradictoirement ; qu'en relevant d'office, pour condamner M. [T] à payer à la société Le Grenier la somme de 33 640,35 euros, le moyen tiré de l'existence d'une perte de chance, subie par cette dernière, d'avoir pu renoncer à l'application de la clause de non-concurrence, sans avoir préalablement rouvert les débats pour permettre aux parties de présenter leurs observations sur ce moyen, la cour d'appel a méconnu le principe du contradictoire en violation de l'article 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 16 du code de procédure civile :
13. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
14. Pour condamner M. [T] à payer à la société Le Grenier la somme de 33 640,35 euros au titre du préjudice subi, l'arrêt retient que le manquement de M. [T] à son obligation de loyauté a engendré la perte d'une chance pour la société Le Grenier de pouvoir renoncer à l'application de la clause de non-concurrence et ainsi d'avoir à payer l'indemnité correspondante, que cette perte doit être fixée à 90 % et que la demande de la société Le Grenier est donc bien fondée à hauteur de 90 % de la somme allouée par la chambre sociale de la cour d'appel à M. [T] au titre de l'indemnité de non-concurrence.
15. En statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen, qu'elle avait relevé d'office, tiré de ce que le préjudice subi par la société Le Grenier consistait en une perte de chance, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il condamne M. [T] à payer à la société Le Grenier la somme de 33 640,35 euros au titre du préjudice subi résultant de la perte de chance pour la société Le Grenier d'avoir pu renoncer à l'application de la clause de non-concurrence, l'arrêt rendu le 15 décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;
Condamne la société Le Grenier aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Le Grenier et la condamne à payer à M. [T] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt mars deux mille vingt-quatre.