LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FM13
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 mars 2024
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 127 F-B
Pourvoi n° K 22-15.300
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 13 MARS 2024
M. [S] [H], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 22-15.300 contre l'arrêt rendu le 14 mars 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 10), dans le litige l'opposant :
1°/ au directeur général des finances publiques, domicilié [Adresse 2],
2°/ au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, domicilié [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Daubigney, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Briard, avocat de M. [H], de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur général des finances publiques, du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, après débats en l'audience publique du 23 janvier 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Daubigney, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 mars 2022), l'administration fiscale a notifié à M. [H] une proposition de rectification portant rappel d'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) pour les années 2011 à 2015 et de contribution exceptionnelle sur la fortune (CEF) pour l'année 2012, remettant en cause l'exonération partielle de 75 % de la valeur des actions de la société Parasol production au motif que cette société exercerait à titre principal une activité civile non éligible au dispositif d'exonération prévu à l'article 885 I bis du code général des impôts.
2. Après rejet implicite de sa réclamation, M. [H] a assigné l'administration fiscale afin d'obtenir la décharge des impositions supplémentaires réclamées.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en sa première branche
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. M. [H] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant au dégrèvement des rappels d'ISF pour les années 2011 à 2015 et de la CEF, en principal, intérêts et pénalités mis en recouvrement à son encontre et au remboursement des sommes versées, alors :
« 1°/ que la version de l'article 885 I bis du code général des impôts applicable au litige n'exige pas expressément que l'activité industrielle, commerciale ou artisanale, agricole ou libérale des parts ou actions soit maintenue au-delà de la durée de l'engagement de conservation des titres, en considérant que l'administration fiscale était fondée à soutenir que l'exonération partielle ne trouvait pas à s'appliquer peu important que la période du redressement soit postérieure à la durée de conservation des titres, au motif que ledit article ne mentionne en aucune façon que la condition relative à l'exercice d'une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ne serait plus exigée au-delà de la durée de l'engagement de conservation, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé l'article 885 I bis du code général des impôts ;
2°/ qu'à partir de 2009, à l'issue de la période d'engagement collectif de conservation de six ans pris dans le cadre du "pacte Dutreil" conclu le 5 décembre 2003, le bénéfice du régime d'exonération partielle d'ISF était uniquement conditionné, selon les termes mêmes du c de l'article 885 I bis du code général des impôts, à ce que les titres de la société visés par le pacte soient la propriété de M. [H] et sa fille, en considérant que l'administration fiscale était fondée à soutenir que l'exonération partielle ne trouvait pas à s'appliquer, peu important que la période du redressement soit postérieure à la durée de conservation des titres, au motif que ledit article ne mentionne en aucune façon que la condition relative à l'exercice d'une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ne serait plus exigée au-delà de la durée de l'engagement de conservation, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé l'article 885 I bis du code général des impôts. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte des articles 885 A et 885 I bis du code général des impôts, alors applicables, que les parts ou les actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ne sont pas comprises dans les bases d'imposition à l'ISF, à concurrence des trois quarts de leur valeur, si elles remplissent certaines conditions limitativement énumérées, en particulier celle prévoyant qu'à compter de la date d'expiration de l'engagement collectif, les parts ou actions restent la propriété du redevable.
6. Après avoir énoncé, par motifs propres et adoptés, que la condition relative à l'exercice de l'activité de la société dont les parts sont visées à l'article 885 I bis du code général des impôts est un corollaire de la mesure de réduction fiscale et en constitue une prémisse puisqu'elle identifie les titres admis à ce régime, l'arrêt retient qu'il importe peu que la période d'imposition soit postérieure à la durée de conservation des titres.
7. De ces énonciations et constatations, la cour d'appel a exactement déduit que, même postérieurement à la période visée par l'engagement de conservation des titres, l'éligibilité des parts au dispositif prévu à l'article 885 I bis du code général des impôts demeurait soumise à la condition que la société exerçât une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, cette condition devant être remplie au 1er janvier de chaque année concernée par la déclaration.
Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
8. M. [H] fait le même grief à l'arrêt, alors « que le bénéfice du régime de faveur des dispositions de l'article 885 I bis du code général des impôts est applicable aux parts ou actions d'une société qui exerce à la fois une activité civile et une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, dans la mesure où cette activité civile n'est pas prépondérante, cette prépondérance s'appréciant en considération d'un faisceau d'indices déterminés d'après la nature de l'activité et les conditions de son exercice, en subordonnant l'avantage qu'institue ces dispositions à la condition que le montant du chiffre d'affaires procuré par cette activité représente au moins 50 % du montant du chiffre d'affaires total et à la condition que le montant de l'actif brut immobilisé représente au moins 50 % du montant total de l'actif brut, la cour d'appel, qui s'est déterminé par des motifs impropres à établir que la société Parasol production avait pour activité principale une activité commerciale, a violé l'article 885 I bis du code général des impôts. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 885 I bis du code général des impôts, alors applicable :
9. Selon ce texte, les parts ou les actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale qui ont fait l'objet d'un engagement collectif de conservation présentant certaines caractéristiques ne sont pas comprises dans les bases d'imposition à l'ISF à concurrence des trois quarts de leur valeur si certaines conditions sont réunies.
10. Il en résulte que ce régime de faveur peut également s'appliquer aux parts ou actions de sociétés qui, ayant pour partie une activité civile autre qu'agricole ou libérale, exercent principalement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, cette prépondérance s'appréciant en considération d'un faisceau d'indices déterminés d'après la nature de l'activité et les conditions de son exercice.
11. Pour rejeter les demandes de M. [H] tendant au dégrèvement intégral des impositions supplémentaires mises à sa charge, l'arrêt, après avoir énoncé, par motifs propres et adoptés, que le caractère prépondérant de l'activité industrielle, commerciale, agricole ou libérale peut être retenu si le chiffre d'affaires procuré par cette activité représente au moins 50 % de son chiffre d'affaires total et si le montant de l'actif brut immobilisé est supérieur à 50 % du montant total de l'actif brut, puis relevé que la société Parasol production développe une activité commerciale de prestations de services rendues dans le domaine de l'audiovisuel et une activité civile de gestion de patrimoine, retient, que M. [H] ne rapporte pas la preuve que les actifs affectés à l'activité commerciale représenteraient plus de 50 % de son actif brut et que l'actif brut de la société Parasol production serait majoritairement constitué de valeurs mobilières de placement ne présentant pas un caractère professionnel.
12. En se déterminant ainsi, sans examiner, comme il lui incombait, l'ensemble des indices dont se prévalait le contribuable pour démontrer le caractère principalement commercial de la société, en particulier les éléments relatifs à la nature de l'activité exercée et les conditions de son exercice, et sans rechercher, comme elle y était invitée, si les liquidités et titres de placement inscrits au bilan de la société Parasol production constituaient des actifs dont l'acquisition découlait de son activité sociale, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne le directeur général des finances publiques et le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le directeur général des finances publiques et le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris et les condamne à payer à M. [H] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du treize mars deux mille vingt-quatre et signé par lui et Mme Labat, greffier présent lors du prononcé.