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08/03/2024 | FRANCE | N°P2400675

France | France, Cour de cassation, Assemblee pleniere, 08 mars 2024, P2400675


LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :


COUR DE CASSATION LM




ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE




Audience publique du 8 mars 2024


Cassation


M. SOULARD, premier président


Arrêt n° 675 B+R


Pourvoi n° M 21-12.560
















R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E






AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS






ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉN

IÈRE, DU 8 MARS 2024




La société Cora, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° M 21-12.560 contre l'arrêt rendu le 1er décembre 2020 par la cour d'appel de Metz (1re cham...

LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :

COUR DE CASSATION LM

ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE

Audience publique du 8 mars 2024

Cassation

M. SOULARD, premier président

Arrêt n° 675 B+R

Pourvoi n° M 21-12.560

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, DU 8 MARS 2024

La société Cora, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° M 21-12.560 contre l'arrêt rendu le 1er décembre 2020 par la cour d'appel de Metz (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à la commune de [Localité 3], prise en la personne de son maire en exercice, domicilié en cette qualité mairie de [Localité 3], [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Par ordonnance en date du 22 mai 2023, le premier président de la Cour de cassation a ordonné le renvoi de l'examen du pourvoi devant l'assemblée plénière.

La demanderesse au pourvoi invoque, devant l'assemblée plénière, le moyen de cassation formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Cora.

Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de la commune de Sarrebourg.

Des observations complémentaires ont été déposées au greffe de la Cour de cassation par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Cora.

Le rapport écrit de Mme Isola, conseiller, et l'avis écrit de M. Adida-Canac, avocat général, ont été mis à disposition des parties.

Sur le rapport de Mme Isola, conseiller, assistée de Mme Safatian, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, auquel, les parties invitées à le faire, la SCP Waquet, Farge et Hazan, et la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia ont répliqué, après débats en l'audience publique du 19 janvier 2024 où étaient présents M. Soulard, premier président, M. Sommer, Mme Teiller, MM. Bonnal, Vigneau, Mmes Champalaune, Martinel, présidents, Mme Isola, conseiller rapporteur, MM. Huglo, Echappé, Mmes de la Lance, Duval-Arnould, Durin-Karsenty, Vaissette, doyens de chambre, Mme Daubigney, MM. Maziau, Boyer, Mme Lacquemant, M. Ancel, conseillers, M. Adida-Canac, avocat général, et Mme Mégnien, greffier fonctionnel-expert,

la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, composée du premier président, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 1er décembre 2020) et les productions, la commune de Sarrebourg a notifié à la société Cora (la société), au titre des exercices 2009, 2010 et 2011, trois titres exécutoires pour le paiement de la taxe locale sur la publicité extérieure (la TLPE), instituée par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008.

2. Ces titres ne précisaient pas la juridiction devant laquelle le recours pour les contester devait être formé.

3. Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 14 octobre 2013, la société, qui s'était acquittée des sommes qui lui avaient été réclamées, a sollicité de la commune de [Localité 3], à titre conservatoire, le remboursement de certaines d'entre elles, en raison de la transmission par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel, le 3 septembre 2013, d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du code général des collectivités territoriales relatives à la TLPE.

4. Par une décision n° 2013-351 QPC du 25 octobre 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les articles L. 2333-6 à L. 2333-14 ainsi que les paragraphes A et D de l'article L. 2333-16 du code général des collectivités territoriales, dans leur rédaction issue de l'article 171 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, et a dit que cette déclaration d'inconstitutionnalité, prenant effet à compter de la publication de cette décision, ne pouvait être invoquée qu'à l'encontre des impositions contestées avant cette date.

5. Le 16 mars 2015, la société a assigné la commune de Sarrebourg devant un tribunal de grande instance en annulation des trois titres exécutoires précités, qui étaient fondés sur les articles censurés par la décision du Conseil constitutionnel, et en remboursement des sommes versées.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La société fait grief à l'arrêt de constater qu'elle a saisi le tribunal de grande instance en annulation des titres exécutoires plus d'un an après que ces titres ont été portés à sa connaissance, de rejeter sa demande d'annulation comme tardive et de dire que la commune de [Localité 3] n'était pas redevable des taxes locales de publicité extérieure payées par la société au titre des années 2009 à 2011, alors « qu'en application de l'article L. 1617-5, 2°, du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable au litige, l'action dont dispose le débiteur d'une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé de ladite créance se prescrit dans le délai de deux mois suivant la réception du titre exécutoire ou, à défaut, du premier acte procédant de ce titre ou de la notification d'un acte de poursuite ; qu'en vertu de l'article R. 421-5 du code de justice administrative, dont l'application n'est pas exclue par l'article précité, les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ; qu'en opposant à la société Cora, à laquelle le délai légal de recours n'était pas opposable à défaut d'une information donnée par la commune sur les voies et délais de recours, un « délai raisonnable » d'un an pour agir qui n'est prévu par aucun texte légal ou réglementaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1617-5, 2°, du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017, l'article R. 421-5 du code de justice administrative et l'article 680 du code de procédure civile :

7. Selon le premier de ces textes, l'action dont dispose le débiteur d'une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé de ladite créance se prescrit dans le délai de deux mois suivant la réception du titre exécutoire ou, à défaut, du premier acte procédant de ce titre ou de la notification d'un acte de poursuite.

8. Aux termes du deuxième, les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision.

9. Il résulte du troisième que l'acte de notification d'un jugement à une partie doit, pour faire courir le délai de recours, indiquer de manière très apparente les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé. À défaut, le délai de recours ne court pas.

10. La Cour de cassation juge que le délai de deux mois ouvert par l'article L. 1617-5, 2°, du code général des collectivités territoriales au débiteur d'une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé du titre exécutoire constatant ladite créance n'est opposable qu'à la condition d'avoir été mentionné, ainsi que la voie de recours, dans la notification de ce titre exécutoire (2e Civ., 8 janvier 2015, pourvoi n° 13-27.678, Bull. 2015, II, n° 4).

11. En conséquence, en l'absence de notification mentionnant de manière exacte les voies et délais de recours, le débiteur peut saisir la juridiction judiciaire pour contester le titre exécutoire, sans être tenu par le délai de deux mois prévu à l'article L. 1617-5, 2°, du code général des collectivités territoriales.

12. La jurisprudence du Conseil d'État était fixée dans le même sens que celle de la Cour de cassation.

13. Depuis une décision du 13 juillet 2016, le Conseil d'État juge que si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable, lequel, en règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance (CE, 13 juillet 2016, n° 387763, publié au Recueil Lebon).

14. Il juge que cette obligation d'exercer un recours dans un délai raisonnable s'applique en matière de contestation des titres exécutoires émis par les collectivités locales (CE, 9 mars 2018, n° 401386, mentionné aux tables du Recueil Lebon).

15. Le pourvoi pose la question de savoir si la règle prétorienne issue de la décision du 13 juillet 2016 devrait recevoir application devant les juridictions judiciaires, notamment en matière de délai de recours contre un titre de recettes.

16. Si, pour répondre, notamment, aux impératifs de clarté et de prévisibilité du droit, une convergence jurisprudentielle entre les deux ordres de juridiction est recherchée lorsqu'il est statué sur des questions en partage, celle-ci peut ne pas aboutir en présence de principes et règles juridiques différents applicables respectivement dans ces deux ordres. Tel est le cas en l'espèce.

17. En premier lieu, les motifs ayant justifié l'application d'une telle règle devant les juridictions administratives, qui permet de prévenir les situations dans lesquelles, faute de notification régulière, une décision administrative pourrait être contestée indéfiniment, sont propres aux règles du contentieux administratif.

18. En effet, les juridictions judiciaires n'exercent pas de contrôle de légalité par la voie du recours pour excès de pouvoir.

19. Quant aux contestations d'un titre exécutoire, formées devant ces juridictions, généralement à l'occasion de l'action en recouvrement, elles interviennent nécessairement dans le délai de prescription de cette action, tel le délai de quatre ans s'agissant des créances d'une collectivité territoriale.

20. Par ailleurs, les actions tendant à la décharge d'une imposition et à la restitution de l'indu fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle supérieure se prescrivent par deux ans, en application de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales.

21. Enfin, les mêmes actions, lorsqu'elles sont fondées sur une déclaration de non-conformité à la Constitution du texte servant de fondement à l'imposition, sont ouvertes dans les conditions fixées par la décision du Conseil constitutionnel.

22. Ainsi, le risque de contestation d'actes ou de décisions sans limite de durée ne se présente pas dans les mêmes termes devant les juridictions judiciaires devant lesquelles les règles de la prescription extinctive suffisent en principe à répondre à l'exigence de sécurité juridique.

23. En second lieu, la règle issue de l'article 680 du code de procédure civile constitue un principe général qui s'applique devant les juridictions judiciaires, quelle que soit la nature de cette décision ou de cet acte et celle des voies et délais de recours.

24. Transposer la solution dégagée par le Conseil d'État pourrait conduire à étendre cette règle à tous les délais de recours, ce qui remettrait en cause l'application de ce principe général et pourrait porter atteinte à l'équilibre des droits des parties dans le procès civil.

25. Le maintien de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui se justifie par les principes et règles applicables devant le juge civil, permet un juste équilibre entre le droit du créancier public de recouvrer les sommes qui lui sont dues et le droit du débiteur d'accéder au juge.

26. Il se déduit de l'ensemble de ces éléments qu'en l'absence de notification régulière des voies et délais de recours, le débiteur n'est pas tenu de saisir le juge civil dans le délai défini par la décision du Conseil d'État du 13 juillet 2016 précitée.

27. Pour écarter la demande d'annulation comme tardive, l'arrêt retient que plus d'un an s'est écoulé entre le jour où la société a eu connaissance des titres exécutoires et le jour où elle a agi en annulation de ces titres.

28. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;

Condamne la commune de [Localité 3] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé par le premier président en son audience publique du huit mars deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Assemblee pleniere
Numéro d'arrêt : P2400675
Date de la décision : 08/03/2024
Sens de l'arrêt : Cassation

Analyses

DELAIS - Voies de recours - Délai - Notification régulière - Absence - Titre émis par une collectivité territoriale - Action en contestation - Modalités - Effet

IMPOTS ET TAXES - Recouvrement (règles communes) - Titre exécutoire - Délais et voies de recours - Notification régulière - Nécessité

En l'absence de notification régulière des voies et délais de recours, le délai de recours de deux mois prévu par l'article L. 1617-5, 2°, du code général des collectivités territoriales pour contester un titre émis par une collectivité territoriale ne court pas. Le débiteur n'est pas tenu de saisir le juge civil dans le délai d'un an à compter de la date à laquelle le titre, ou à défaut, le premier acte procédant de ce titre ou un acte de poursuite a été notifié au débiteur ou porté à sa connaissance


Références :

Article L. 1617-5, 2°, du code général des collectivités territoriales.
Publié au bulletin

Décision attaquée : Cour d'appel de Metz, 01 décembre 2020

Ass. plén., 8 mars 2024, pourvoi n° 21-21230, Bull., (cassation partielle).


Publications
Proposition de citation : Cass. Ass. Plén., 08 mar. 2024, pourvoi n°P2400675


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (premier président)
Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia

Origine de la décision
Date de l'import : 09/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:P2400675
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