LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 mars 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 135 F-D
Pourvois n°
A 22-17.200
R 22-21.745 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 MARS 2024
I. Le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 10], représenté par son syndic la société Mobixel, dont le siège est [Adresse 7], a formé le pourvoi n° A 22-17.200 contre un arrêt rendu le 5 avril 2022 par la cour d'appel d'Angers (chambre A, civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [U] [R], domicilié [Adresse 5], pris en sa qualité de liquidateur de la société [Adresse 10],
2°/ à la Mutuelle des architectes français (MAF), dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à la société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), dont le siège est [Adresse 9],
4°/ à la société Ducatel interventions immobilières (D2I), société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
5°/ à la société Axa France IARD, dont le siège est [Adresse 6], prise en sa qualité d'assureur de la société Ducatel interventions immobilières,
6°/ à la société Eiffage construction Pays-de-Loire, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la société Blandin Fonteneau,
7°/ à la société Botte fondations, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 8],
défendeurs à la cassation.
II. La Mutuelle des architectes français (MAF), a formé le pourvoi n° R 22-21.745 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant :
1°/ au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 10],
2°/ à M. [U] [R], ès qualités,
3°/ à la société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP),
4°/ à la société Ducatel interventions immobilières, représentée par la société [Z] et associés, en la personne de Mme [E] [Z], prise en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan, dont le siège est [Adresse 3],
5°/ à la société Axa France IARD,
6°/ à la société Eiffage construction Pays-de-Loire,
7°/ à la société Botte fondations, société par actions simplifiée,
défendeurs à la cassation.
Dans le pourvoi n° A 22-17-200, les sociétés Ducatel interventions immobilières et Axa France IARD ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation. Dans le pourvoi n° R 22-21.745, la demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 10], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la Mutuelle des architectes français, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Ducatel interventions immobilières et de la société Axa France IARD, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics, après débats en l'audience publique du 23 janvier 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° A 22-17.200 et R 22-21.745 sont joints.
Désistement partiel
2. Il est donné acte au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 10] (le syndicat des copropriétaires), d'une part, et à la Mutuelle des architectes français (la MAF), d'autre part, du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [R], pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société civile de construction-vente [Adresse 10] (la SCCV), et contre les sociétés Eiffage construction Pays-de-Loire, venant aux droits de la société Blandin Fonteneau, et Botte fondations.
Faits et procédure
3. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 5 avril 2022), la SCCV, désormais en liquidation judiciaire, qui a souscrit auprès de la MAF une assurance de constructeur non réalisateur, a entrepris la transformation d'un ancien hôpital en logements à vendre en l'état futur d'achèvement.
4. Elle a confié une mission de bureau d'études techniques à la société BTP ingénierie et coordination, désormais en liquidation judiciaire, assurée auprès de la SMABTP, la réalisation de l'opération incombant à la société SRI, contractant général, assurée auprès de la MAF, qui a sous-traité une mission complète de maîtrise d'oeuvre à la société Vincent Douriez, désormais en liquidation judiciaire, laquelle était également assurée auprès de la MAF.
5. La société SRI avait, par ailleurs, souscrit auprès de la MAF, une assurance dommages-ouvrage au bénéfice du maître de l'ouvrage.
6. La SCCV a, le 9 janvier 2007, résilié la convention de contractant général la liant à la société SRI et a confié, le 19 janvier suivant, une mission d'assistance à maître d'ouvrage à la société Ducatel interventions immobilières (la société D2I), assurée auprès de la société Axa France IARD.
7. Le 19 février 2010, à la suite de plaintes du voisinage faisant état de l'assèchement des puits domestiques, provoqué par le dispositif, mis en oeuvre dans le parking réalisé, de pompage permanent des eaux de la nappe phréatique et de reversement de celles-ci dans le réseau pluvial, la SCCV a été mise en demeure par arrêté du maire de cesser tout prélèvement des eaux souterraines et tout rejet de celles-ci dans le réseau pluvial.
8. Le maître de l'ouvrage s'est exécuté et le deuxième niveau du parking en sous-sol a été inondé.
9. La SCCV a abandonné le chantier et l'arrêté du maire a été annulé par une décision de la juridiction administrative.
10. M. [R], ès qualités, a, après expertise, assigné les intervenants à l'acte de construire et leurs assureurs en réparation des désordres matériels affectant les parkings souterrains ainsi que le syndicat des copropriétaires, lequel a également formé une demande en réparation du même chef.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal de la MAF
Enoncé du moyen
11. La MAF fait grief à l'arrêt de dire qu'elle était seulement fondée, en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage, à opposer à tous la réduction proportionnelle de l'article L. 113-9 du code des assurances en ne prenant en charge que 42 % des indemnités, après l'avoir condamnée, in solidum avec d'autres, à payer certaines sommes au syndicat des copropriétaires, alors « que l'assureur peut refuser sa garantie lorsque la clause subordonnant l'acquisition de la garantie à la réalisation d'une étude technique n'est pas satisfaite ; qu'au cas présent, la MAF avait fait valoir que
la garantie dommages-ouvrage était subordonnée au « respect des recommandations du BET Sols pour la création du parking (?) notamment au niveau de l'étanchéité » et que cette condition n'avait pas été respectée ; que la cour d'appel, qui a appliqué la sanction de l'article L. 113-9 du code des assurances sans répondre à ce moyen pertinent, a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
12. La cour d'appel a souverainement retenu, répondant aux conclusions prétendument délaissées, que l'avenant n° 1 daté du 23 juin 2005 du volet de la police assurance dommages-ouvrage, comportant une mention suivant laquelle « les recommandations du BET sols pour la création, du parking devront être prises en compte notamment au niveau de l'étanchéité et des sous-pressions », figurant parmi des dispositions diverses faisant suite aux exclusions de garantie, ne subordonnait pas celle-ci au respect des recommandations du bureau d'études techniques de sols.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal de la MAF
Enoncé du moyen
14. La MAF fait grief à l'arrêt de juger qu'elle était seulement fondée à opposer à tous, en sa qualité d'assureur décennal de la société SRI, la réduction proportionnelle de l'article L. 113-9 du code des assurances, en ne prenant en charge que 85 % des indemnités, après l'avoir condamnée, en cette qualité, à payer, in solidum avec d'autres, certaines sommes au syndicat des copropriétaires, alors :
« 1°/ que le contrat d'assurance est nul en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle de la part de l'assuré, quand cette réticence ou cette fausse déclaration change l'objet du risque ou en diminue l'opinion pour l'assureur ; que la cour d'appel a constaté qu'« il est certain que le montant définitif de 2 072 040,23 euros déclaré le 23 juin 2005 pour la création du parking souterrain est inférieur de plus de 20 % au montant de l'enveloppe financière prévisionnelle de 2 600 000 euros HT, soit 3 109 600 euros TTC, mentionnée dans le « contrat d'architecte pour travaux sur existant » du 9 novembre 2005 afférent au parking souterrain à 2 niveaux, remplaçant le précédent contrat et précisant que "le montant des travaux est déterminé", et a fortiori à la somme de 3 054 547,39 euros HT, soit 3 653 238,68 euros TTC à laquelle l'expert judiciaire indique que le coût de la construction du parking souterrain, hors études, est signalé avoir été arrêté » ; qu'en excluant, en dépit de ces constatations dont il résultait que l'assuré n'avait pas informé l'assureur d'une aggravation du risque, « toute fausse déclaration relative à ce budget », au motif inopérant que la clause du « contrat de l'architecte contractant général obligeant celui-ci à mettre tout en oeuvre pour réaliser l'opération selon le budget initialement prévu qui s'élevait à 1 080 250,17 euros HT pour le parking souterrain (?) n'a fait l'objet d'aucun avenant de révision », la cour d'appel a violé l'article L. 113-8 du code des assurances ;
2°/ que le contrat d'assurance est nul en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle de la part de l'assuré, quand cette réticence ou cette fausse déclaration change l'objet du risque ou en diminue l'opinion pour l'assureur ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que la décision des maîtres d'oeuvre « de s'affranchir des recommandations du CEBTP a été acquise au plus tard le 29 novembre 2006, date de la réunion de chantier lors de laquelle a été validé le dispositif de mise hors d'eau étudié par la SA Fugro Géotechnique, en toute connaissance de ce que celui-ci n'assurait pas l'étanchéité de la structure du parking souterrain et conditionnait sa mise hors d'eau » et que « cette information déterminante pour l'appréciation du risque qu'elle aggrave notablement n'a pas été transmise à l'assureur en cours de contrat » ; qu'en écartant néanmoins le caractère intentionnel de cette fausse déclaration au motif inopérant que « l'équipe de maîtrise d'oeuvre s'est, malgré tout, attachée à adopter un dispositif de mise hors d'eau remédiant au problème des sous-pressions à défaut d'assurer l'étanchéité de l'ouvrage », la cour d'appel a derechef violé l'article L. 113-8 du code des assurances ;
3°/ que, subsidiairement, à supposer même que la déclaration inexacte du risque par la société SRI n'ait pas été intentionnelle, et dès lors qu'elle était révélée après le sinistre, l'indemnité devait être réduite « en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues, si les risques avaient été complètement et exactement déclarés » ; que la cour d'appel a constaté l'aggravation du risque résultant de « l'augmentation conséquente » du budget du parking mais a refusé de tenir compte de cette omission s'agissant de la société SRI, au motif que « seul le maître d'ouvrage vendeur (?) peut se voir reprocher de n'avoir pas informé l'assureur avant (?) la déclaration de sinistre qu'il a adressée le 10 mai 2010 (?) de l'aggravation du risque résultant de l'augmentation conséquente du coût de la construction » ; qu'en appliquant une réduction proportionnelle à hauteur de 85 % des indemnités mises à la charge de la MAF en sa qualité d'assureur décennal de la société SRI, de 67 % en sa qualité d'assureur décennal de la SCCV [Adresse 10] et de 42 % en sa qualité d'assureur DO, quand les déclarations erronées portaient sur des aggravations de risques identiques, la cour d'appel a violé l'article L. 113-9 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
15. En premier lieu, la cour d'appel a retenu que, si le montant du marché déclaré le 23 juin 2005 par la société SRI à son assureur pour la création du parking était inférieur de plus de 20 % au montant de l'enveloppe financière prévisionnelle mentionné dans le contrat de sous-traitance conclu le 9 novembre suivant avec l'architecte et a fortiori au coût final de la construction du parking, d'une part, le contrat de contractant général obligeait la société SRI à tout mettre en oeuvre pour réaliser l'opération selon le budget initialement prévu, lequel était inférieur au montant déclaré à l'assureur, d'autre part, que ce contrat n'avait fait l'objet d'aucun avenant, enfin qu'il avait été résilié par le maître de l'ouvrage le 9 novembre 2007, qui avait alors poursuivi l'opération en direct avec des entreprises après cette rupture.
16. Ayant ainsi fait ressortir que le coût des travaux réalisés résultait du montant des engagements conclus avec d'autres entreprises, après la rupture, le 9 janvier 2007, de la convention conclue avec la société SRI, elle a pu en déduire qu'aucune fausse déclaration de nature à diminuer l'opinion du risque pour l'assureur relative au budget de l'opération ne pouvait, avant cette date, être imputée à celle-ci.
17. En deuxième lieu, ayant retenu que l'équipe de maîtrise d'oeuvre s'était attachée à adopter un dispositif de mise hors d'eau remédiant aux sous-pressions évoquées par le CEBTP, la cour d'appel, devant laquelle la MAF, en sa qualité d'assureur de responsabilité décennale de la société SRI, soutenait que la réalisation d'un cuvelage et d'une étude d'impact, préconisée par cet organisme, n'était pas nécessaire, en a souverainement déduit que l'omission de déclaration de l'aggravation du risque résultant du dispositif retenu n'était pas intentionnelle.
18. En troisième lieu, la cour d'appel n'ayant pas retenu, pour faire application de la réduction proportionnelle d'indemnité à des contrats distincts, des omissions déclaratives d'aggravation de risque identiques selon le souscripteur ou le bénéficiaire de la police, le grief de la troisième branche manque en fait.
19. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen du pourvoi principal de la MAF
Enoncé du moyen
20. La MAF fait grief à l'arrêt de la condamner, en sa qualité d'assureur responsabilité professionnelle de la société Vincent Douriez, à payer in solidum avec d'autres, certaines sommes au syndicat des copropriétaires, alors « qu'en l'absence de déclaration par l'assuré du chantier concerné par les désordres litigieux et du paiement des primes afférentes, l'indemnité due par l'assureur doit être réduite en proportion du taux de la prime annuelle par rapport à celui de la prime qui aurait été due si la mission avait été déclarée, peu important que cette réduction n'ait pas été sollicitée ni précisément calculée par l'assureur ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que « lorsqu'il a déclaré ses activités professionnelles 2006 à l'assureur, le maître d'oeuvre n'a pas déclaré le chantier litigieux » et que « la sanction applicable résiderait dans la réduction proportionnelle de l'article L. 113¿9 du code des assurances », sanction que la cour d'appel a néanmoins refusé d'appliquer au motif inopérant qu'elle n'avait pas été sollicitée ; que, partant, elle a violé l'article L. 113-9 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
21. N'ayant été saisie par la MAF, en sa qualité d'assureur de la société Vincent Douriez, d'aucune demande, même à titre subsidiaire, tendant à voir appliquer la réduction proportionnelle d'indemnité prévue à l'article L. 113-9 du code des assurances, résultant d'une omission de déclaration de chantier par son assuré, la cour d'appel n'était pas tenue d'opérer d'office une telle réduction.
22. Le moyen, qui postule le contraire, n'est, par conséquent, pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en ses première, troisième et quatrième branches, du pourvoi principal du syndicat des copropriétaires
Enoncé du moyen
23. Le syndicat des copropriétaires fait grief à l'arrêt de condamner in solidum la MAF, en qualité d'assureur décennal de la société [Adresse 10], d'assureur dommages-ouvrage, d'assureur décennal de la société SRI et d'assureur de responsabilité professionnelle de la société Vincent Douriez, la SMABTP, en sa qualité d'assureur décennal de la société BTP ingénierie et coordination, la société D2I et son assureur de responsabilité civile la société AXA France IARD à lui verser seulement certaines sommes à titre de réparation et de rejeter le surplus de ses demandes indemnitaires, alors :
« 1°/ que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent sa solidité ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; qu'en excluant de l'indemnité due par les constructeurs au titre de leur responsabilité décennale le montant des travaux de reprise des ouvrages endommagés par l'ennoiement des parkings, la cour d'appel, qui a laissé à la charge du syndicat des propriétaires une partie du montant des travaux nécessaires pour remédier aux désordres, a violé l'article 1792 du code civil et le principe de la réparation intégrale ;
3°/ qu'en toute hypothèse, l'entrepreneur, qui doit réaliser un ouvrage conforme à la réglementation, répond des désordres décennaux résultant d'une telle non-conformité ; qu'en retenant, pour écarter l'obligation des professionnels de réparer les conséquences de l'ennoiement du parking, qu'il résultait d'une décision administrative qui avait interdit le pompage des eaux de la nappe phréatique, quand il appartenait à ces professionnels de concevoir un ouvrage conforme à la réglementation, de sorte qu'ils devaient répondre des conséquences d'une interdiction de procéder au pompage des eaux adoptée par les autorités administratives, la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil ;
4°/ qu'en toute hypothèse, est causal tout évènement sans lequel le dommage ne se serait pas produit ; qu'en retenant, pour limiter la responsabilité des constructeurs, que l'ennoiement ne constituait pas une « conséquence directe des désordres » mais « résult(ait) de la décision de stopper le pompage des eaux de la nappe et leur rejet dans le réseau d'évacuation des eaux pluviales, sans laquelle ces travaux auraient pu être évités en engageant en temps utile les travaux de mise en conformité », quand le rôle causal de la décision administrative ne suffisait pas à exclure le rôle causal initial du choix des constructeurs de réaliser les travaux sans autorisation administrative, sans lequel ni la décision de l'administration, ni l'ennoiement ne seraient intervenus, la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1792 du code civil :
24. En application de ce texte, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent sa solidité ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
25. Pour rejeter la partie des demandes formées par le syndicat des copropriétaires au titre des travaux de reprise des ouvrages affectés par l'ennoiement du parking, l'arrêt retient que ces travaux ne sont pas la conséquence directe des désordres, mais résultent de la décision administrative ayant mis en demeure le maître de l'ouvrage de cesser tout prélèvement dans les eaux souterraines et tout rejet des eaux dans le réseau pluvial, sans laquelle ces travaux auraient pu être évités en engageant en temps utile les travaux de mise en conformité.
26. En statuant ainsi, après avoir retenu que les désordres de nature décennale affectant le parking souterrain résultaient du non-respect, lors de la conception de l'ouvrage, des dispositions de la loi sur l'eau, qui soumettaient à autorisation tout dispositif de pompage des eaux de la nappe phréatique avec un débit d'exhaure supérieur à 8 m3/h et que, ces autorisations ne pouvant plus être obtenues, le maintien hors d'eau du parking ne pouvait pas être assuré, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, dont il ressortait que le dispositif constructif du parking retenu par les constructeurs constituait la cause déterminante et directe du dommage résultant de la détérioration des ouvrages par l'inondation du second niveau du parking, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Sur le premier moyen du pourvoi incident des sociétés D2I et AXA France IARD
Enoncé du moyen
27. Les sociétés D2I et Axa France IARD font grief à l'arrêt d'infirmer le jugement qui avait mis hors de cause la société D2I et de les condamner, in solidum avec d'autres, à payer certaines sommes au syndicat des copropriétaires à titre de réparation, alors « que seul le préjudice en relation causale avec la faute est indemnisable ; que la cour d'appel constate que « l'installation de pompage finalement constituée, au vu du débit d'exhaure de 20 à 30 m3 /h relevé en phase chantier, de deux pompes de relevage immergées d'une capacité chacune d'environ 25 m3/h a fonctionné de manière permanente depuis mai 2006 sans bénéficier d'une autorisation administrative au titre de la loi sur l'eau, pourtant rendue obligatoire par les articles L. 214-1 et suivants, R. 214-1 et suivants du code de l'environnement en zone de répartition des eaux pour tous ouvrages, installations, travaux entraînant des prélèvements sur les eaux superficielles ou souterraines, restitués ou non, d'une capacité supérieure ou égale à 8 m3/h » ; qu'elle constate également que « ce dispositif de mise hors d'eau a été validé lors de la réunion de chantier n° 60 du 29 novembre 2006 » et que « l'importance du débit d'exhaure suffisait à soumettre l'installation de pompage déjà conçue comme permanente au régime d'autorisation au titre de la loi sur l'eau en zone de répartition des eaux » ; qu'elle constate encore que le maître d'ouvrage-vendeur [la SCCV [Adresse 10]] a confié le 19 janvier 2007 une mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) à la société D2I, assurée auprès de la société Axa France IARD ; qu'en retenant la responsabilité de la société D2I pour n'avoir pas attiré l'attention du maître d'ouvrage-vendeur « sur la nécessité d'obtenir compte-tenu du pompage permanent indispensable au maintien hors d'eau du parking souterrain situé en zone de répartition des eaux, une autorisation administrative au titre de la loi sur l'eau en fonction du débit d'exhaure constaté et des modalités de rejet des eaux pompés », quand, en l'état de ses constatations, la délivrance de cette information n'aurait pas été de nature à éviter la réalisation du dommage consécutif au refus d'accorder l'autorisation administrative et imposant les travaux de reprise du parking puisque les travaux illicites, auxquels la société D2I n'avait participé ni en qualité de constructeur ni de maître d'oeuvre, étaient achevés avant la prise d'effet du contrat d'assistant à maîtrise d'ouvrage, la cour d'appel a violé les articles 1147, devenu 1231, et 1382, devenu 1240, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1147, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1382, devenu 1240, du code civil :
28. En application de ces textes, seul le préjudice en lien de causalité avec la faute est réparable.
29. Pour retenir la responsabilité de la société D2I et la condamner avec son assureur, in solidum avec d'autres, à payer certaines sommes au syndicat des copropriétaires, l'arrêt retient qu'il lui revenait d'attirer l'attention du maître d'ouvrage-vendeur sur la nécessité d'obtenir, compte tenu du pompage permanent indispensable au maintien hors d'eau du parking souterrain situé en zone de répartition des eaux, une autorisation administrative au titre de la loi sur l'eau en fonction du débit d'exhaure constaté et des modalités de rejet des eaux, après s'être renseignée, au besoin, afin de pouvoir informer utilement son mandant sur l'état d'instruction d'éventuelles demandes en ce sens qui, en réalité, n'ont été déposées qu'après la notification du procès-verbal d'infraction du 19 février 2009 et qu'en s'en abstenant, elle a fautivement contribué à exposer le maître de l'ouvrage au risque, qui s'est réalisé, que cette autorisation administrative lui soit refusée.
30. En statuant ainsi, après avoir relevé que le choix constructif avait été arrêté et que les opérations de pompage avaient démarré avant le début de la mission de la société D2I et que l'impossibilité d'obtenir les autorisations requises par la loi sur l'eau était, à la date à laquelle elle a statué, acquise, la cour d'appel, qui n'a pas établi le lien de causalité entre la faute retenue à la charge de celle-ci et le dommage du syndicat des copropriétaires, a violé les textes susvisés.
Et sur le second moyen du pourvoi incident des sociétés D2I et AXA France IARD
Enoncé du moyen
31. Les sociétés D2I et Axa France IARD font grief à l'arrêt de les condamner à rembourser à la SMABTP une certaine somme au titre des frais d'investigation géotechniques avancés pour le compte de qui il appartiendra, alors « qu'en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation qui interviendra du chef de dispositif critiqué par le premier moyen de cassation entraînera la cassation du chef de l'arrêt attaqué par le second moyen qui est dans sa dépendance, la condamnation étant justifiée par l'engagement de la responsabilité de la société D2I, sous la garantie de la société Axa France IARD. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
32. Aux termes de ce texte, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce. Elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
33. La cassation du chef de dispositif condamnant la société D2I et Axa France IARD à payer certaines sommes au syndicat des copropriétaires entraîne la cassation du chef de dispositif critiqué par le moyen, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
Portée et conséquence de la cassation
34. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de la disposition de l'arrêt qui condamne in solidum les sociétés D2I et Axa France IARD à payer certaines sommes au syndicat des copropriétaires entraîne la cassation des chefs de dispositifs qui statuent sur les recours en garantie entre coobligés tant sur la demande principale du syndicat des copropriétaires que sur les dépens et les frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi principal du syndicat des copropriétaires :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :
- infirme le jugement en ce que celui-ci condamne in solidum la Mutuelle des architectes français, en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage, constructeur non réalisateur, d'assureur décennal de la société civile de construction-vente [Adresse 10], des sociétés SRI et Vincent Douriez et la SMABTP, en qualité d'assureur décennal de la société BTP ingénierie et coordination à payer au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 10] la somme de 1 288 995,12 euros TTC, outre indexation, et limite la condamnation, prononcée in solidum contre la Mutuelle des architectes français, en qualité d'assureur décennal constructeur non réalisateur de la société civile de construction-vente [Adresse 10], d'assureur dommages-ouvrage, d'assureur décennal de la société SRI et d'assureur de responsabilité professionnelle de la société Vincent Douriez, la SMABTP, en qualité d'assureur décennal de la société BTP ingénierie et coordination, la société D2I et son assureur de responsabilité civile la société Axa France IARD, au profit du syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 10], aux seules sommes de 904 668 euros au titre du coût des travaux de reprise, 71 865 euros au titre des honoraires de maîtrise d'oeuvre, 88 020 euros au titre des honoraires du bureau d'études hydrogéologie, 3 528 euros au titre des honoraires du bureau de contrôle, 2 194 euros au titre des honoraires de coordination sécurité santé, 47 218 euros au titre des honoraires d'assistance à maîtrise d'ouvrage, 22 617 euros au titre de l'assurance dommages-ouvrage,
- infirme le jugement qui avait mis hors de cause les sociétés Ducatel interventions immobilières et Axa France IARD et condamne celles-ci, in solidum avec d'autres, à payer certaines sommes au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 10] à titre de réparation,
- dit que la charge finale des condamnations prononcées au profit du syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 10] sera répartie entre la Mutuelle des architectes français, en qualité d'assureur de la société SRI, à concurrence de 30 %, la Mutuelle des architectes français, en qualité d'assureur de la société Vincent Douriez à concurrence de 30 %, la SMABTP, en qualité d'assureur de la société BTP ingénierie et coordination à concurrence de 30 % et la société Ducatel interventions immobilières, in solidum avec la société Axa France IARD, à concurrence de 10 %,
- condamne la Mutuelle des architectes français, en qualité d'assureur de la société SRI, à rembourser la somme de 35 893 euros, la Mutuelle des architectes français, en qualité d'assureur de la société Vincent Douriez à rembourser la somme de 35 893 euros, la société Ducatel interventions immobilières et la société Axa France IARD ensemble à rembourser la somme de 14 357,20 euros, le tout à la SMABTP au titre des frais d'investigations géotechniques avancés pour le compte de qui il appartiendra,
- condamne les sociétés Ducatel interventions immobilières et Axa France IARD, in solidum avec la Mutuelle des architectes français, en qualité d'assureur des sociétés SRI et Vincent Douriez, et la SMABTP aux entiers dépens de l'instance d'appel suivie sous le numéro RG 18/00087,
- dit que la charge définitive des condamnations in solidum prononcées au titre des dépens et frais irrépétibles d'appel se répartira dans les rapports entre coobligés dans les mêmes proportions que le principal,
l'arrêt rendu le 5 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes ;
Condamne la Mutuelle des architectes français et la SMABTP aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la Mutuelle des architectes français et la SMABTP à payer la somme de 3 000 euros au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 10] et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept mars deux mille vingt-quatre.